Allocution de Fernand Devaux pour le 70è anniversaire de la libération du camp de Rouillé et du massacre de Vaugeton
29 juin 2014. Publication sur le site de VRID (Vienne Résistance Internement Déportation, association loi 1901, un collectif pour un média de l’Histoire et de la Mémoire de la Seconde Guerre Mondiale dans le département de la Vienne, collectif constitué de représentants d’associations mémorielles de résistants, d’internés et de déportés, et d’historiens).
Déclaration préliminaire de Fernand Devaux avant son allocution
« Avant d’entrer dans le vécu des internés, il est nécessaire de rappeler brièvement la décision de l’ouverture de ces camps, face à l’activité croissante des communistes. Le premier camp ouvre à Aincourt dans le Val d’Oise. Le 30 septembre 1940, le chef de la Police de sécurité du Reich envoie le télégramme suivant à Berlin : « Tous les chefs communistes actifs, connus et fonctionnaires dont on peut attendre que, directement ou indirectement, ils puissent rédiger et distribuer des tracts ou puissent être actifs d’une autre façon, doivent être arrêtés et transférés dans un camp. Le projet a été discuté avec l’ambassadeur Abetz qui a donné son accord à condition que les arrestations, le transfert dans le camp, la surveillance, le ravitaillement soient effectués par les autorités françaises ». Le 3 octobre, le chef de la gestapo Muller lui répond : « Après l’entretien avec le Führer, l’Ober Muller ne s’oppose pas aux propositions de la police parisienne sur les mesures à prendre, mais il faut s’assurer : 1- Qu’on épargne nos indicateurs 2- Que les listes des arrêtés soient obtenues 3-Que le matériel soit examiné et que tout ceci soit très discret. Il faut nous informer du succès ». Les nazis vont donc tenter de ne pas apparaître dans la répression. C’est Vichy qui s’en charge. Pétain va utiliser le décret de septembre 1939 qu’il a aggravé le 2 septembre 1940 ».
Allocution de Fernand Devaux Rouillé 29-6-2014
Cette année, notre pays commémore le 70èanniversaire de la Libération après quatre années terribles d’occupation des forces hitlériennes avec la complicité de Pétain et des forces françaises d’extrême droite. La guerre totale des nazis était en voie d’être battue. La victoire de l’Armée Rouge, un an plus tôt à Stalingrad, avait été un premier grand tournant de la guerre, l’Allemagne nazie n’était plus invincible.
Il faudra encore un an pour que cette Allemagne nazie capitule sans conditions et que le nazisme soit vaincu.
Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants périront encore en Europe et dans le monde avant que cesse le plus grand conflit armé qu’a connu l’humanité. Puis seront connus les pires crimes contre l’humain durant cinq ans au nom d’idéologies de races pures, de races supérieures, de peuples inférieurs.
Tant de propos que l’on croyait éteints et pourtant qui renaissent aujourd’hui dans des discours, des manifestations, des attitudes.
Le racisme, la xénophobie, l’homophobie, l’antisémitisme sont mis en exergue par des médias avides de se vautrer dans le sensationnel au nom du seul objectif de se faire de l’argent. Les médias sont les nouveaux colporteurs du ventre encore fécond de la bête immonde.
L’extrême droite n’a pas changé, elle masque son histoire, ses racines, ses objectifs. Elle piège toutes celles et tous ceux qui souffrent des choix politiques qui donnent aux marchés financiers des pouvoirs dictatoriaux sur les peuples.
Comment ne pas penser à tous ces résistants internés, fusillés, déportés qui avaient proclamé: « Plus jamais çà ». Personnellement, je pense à mes camarades de Rouillé, d’Aincourt, de Voves, de Châteaubriant, d’Auschwitz. 219 internés de Rouillé sont transférés à Compiègne au printemps 1942. 151 seront déportés le 6 juillet 1942 à Auschwitz, 14 survivront. Je pense aussi aux 10 fusillés du camp de Rouillé avant notre départ pour Compiègne.
– Le 7 mars 1942 : 3 jeunes venant du camp d’Aincourt (Huart, Jurquet et Martin).
– Le 30 avril 1942 : Bréant, Dejardin, Grinbaum, Pentier, Vedzland.
– Le 5 mai 1942 : Giraudon André est fusillé au Mont-Valérien.
Venant d’Aincourt où nous étions isolés dans une forêt, l’arrivée à Rouillé nous a rapproché de l’humain.
A Aincourt, nous avions une organisation clandestine du Parti Communiste. Très vite, elle se restructura et participera au développement d’activités diverses. Nécessaire au moral mais aussi au développement intellectuel de chacun.
A Rouillé nous sommes accueillis par la population, de la gare au camp, venus nous témoigner sa sympathie. Vous savez, pour un résistant, pour un prisonnier interné, cela marque. Ce soutien ne s’est jamais arrêté, y compris par les cheminots qui ouvraient le sifflet des locomotives chaque fois qu’ils passaient devant le camp. Pour nous, cela signifiait que des liens étaient possibles avec
l’extérieur. Au fil des semaines s’ouvrent des cours de littérature, de philosophie, d’allemand.
Des groupes de théâtre se créent, des compétitions sportives voient le jour. La solidarité est pour nous essentielle. Elle est une règle de vie dans le camp des internés politiques.
Parler du camp, c’est aussi parler du docteur Cheminée, de Sœur Cherer, de Camille Lombard qui étaient les contacts directs avec nous. Des habitants nous procuraient de la nourriture, des renseignements. Les évasions des politiques étaient aidées par leur biais puis mises en liaison avec la résistance locale. J’apprendrai à mon retour de déportation, le drame de la forêt de Saint Sauvant et le massacre de Vaugeton.
Oui, si la France se libère, c’est certes grâce à la coalition des alliés, c’est indéniable et il est normal que l’on commémore le débarquement et honore les soldats morts pour libérer notre pays. Mais il ne faut pas oublier que la Résistance intérieure et extérieure unie prendra une part décisive, directe à cette libération.
Que de chemin parcouru par cette résistance qui n’était au départ que de petites lumières, qui essayait de redonner espoir au peuple de France lequel doutait de l’avenir.
Pendant quatre années, cette résistance a connu une terrible répression. Les exécutions de Châteaubriant, de Nantes, du Mont Valérien, de Souges, d’internés et d’otages avaient montré alors le vrai visage de l’occupant nazi et de la collaboration.
Ils sont nombreux les internés, fusillés, déportés qui n’ont pas connu la Libération et pourtant ils ont contribué à cette Libération. Nous ne pouvons les oublier et les internés du camp de Rouillé étaient de ceux-là.
Parler de Libération, c’est rappeler combien cette résistance avait souhaité que la France se reconstruise sur des bases nouvelles. Le Conseil National de la Résistance, mis en place un an avant le 15 mai 1944, élaborera un programme qui servira à bâtir cette République nouvelle. Son contenu ouvrira des avancées sociales, économiques, démocratiques qui, malgré de multiples remises en cause hier et aujourd’hui, sont de formidables progrès de société.
Quelle injure à la Résistance, à toutes celles et tous ceux qui ont donné leur vie, de vouloir réduire ou anéantir ces avancées comme la Sécurité Sociale, le système des retraites, les services publics. Ces avancées sont partie intégrante des droits de l’Homme et du citoyen. Elles sont des références pour d’autres peuples du monde qui souhaitent l’égalité, la fraternité, la justice sociale, la liberté.
Au nom de qui, de quoi, devrions-nous aujourd’hui accepter une dictature économique qui asservit et appauvrit les peuples.
Pour moi, pour nous, au nom des résistants, des internés, des déportés, des fusillés, se libérer est de nouveau posé aujourd’hui ».
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