Matricule « 46 149 » à Auschwitz
Robert Tiradon : né en 1908 à Pierrefitte (Seine / Seine-Saint-Denis), où il est domicilié ; maçon ; communiste ; arrêté le 26 octobre 1940 ; interné à la caserne des Tourrelles, au camp d’Aincourt, à la maison d’arrêt de Gaillon, aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 6 décembre 1942.
Robert, Célestin Tiradon est né le 27 juillet 1908 à Pierrefitte (Seine / Seine-Saint-Denis) au domicile de ses parents, au 22, rue de Paris.
Robert Tiradon habite avec son épouse et la famille de son frère Marcel au 7, chemin (ou sentier) des Rosaires à Pierrefitte, au moment de son arrestation.
Il est le fils de Célestine, Juliette Dupil, 20 ans, journalière née à Sarcelles en 1884 et de Gustave, Antoine Tiradon, 30 ans, maçon, son époux, né à Saint-Quentin (Aisne) en 1878. Robert Tiradon a un frère, Marcel (3), né en 1906 à Sarcelles et deux sœurs : Léone, née en 1910 à Pierrefitte et Odette, née en 1912 ou 1913 à Pierrefitte.
Robert Tiradon est ouvrier maçon. Il s’inscrit en 1930 sur les listes électorales de Pierrefitte, où il est domicilié chez ses parents au 3, Sentier des Rosaires. Son frère, également maçon, est alors domicilié au 42, rue de Paris depuis 1928 (liste électorale).
Robert Tiradon épouse Germaine Brunet le 21 juin 1930 à Sarcelles (Seine-et-Oise). Elle est née le 25 février 1906 à Paris 6ème. Le couple a deux fils, Jacques, né en 1931 et Claude, né en 1932. En 1931 la famille habite au 5, Sentier des Rosaire, juste à côté des parents Tiradon et de son frère Marcel. Celui-ci a épousé Césarine Brunet, née en 1907 à Paris 11è.
En 1936 la famille De Robert Tiradon habite au 7, chemin des Rosaires. Son frère Marcel, avec sa femme et ses quatre enfants ont déménagé au n° 1 de la même petite rue de Pierrefitte.
Il est membre du Parti communiste et les services des renseignements généraux le désignent comme un « militant particulièrement actif« .
Conscrit de la classe 1928, on ignore s’il a effectué son service militaire et s’il a été mobilisé en 1939. Son métier, très physique, laisse cependant à penser qu’il n’a pas été ajourné ou réformé. On sait néanmoins qu’il a subi une lourde opération avant son arrestation.
Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Pantin. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Suivant les instructions du régime de Vichy, et devant la recrudescence de distributions de tracts et d’inscription communistes dans l’Est parisien, la police surveille systématiquement les militants communistes connus de ses services avant-guerre.
Robert Tiradon est arrêté à son domicile par des policiers français du commissariat de Saint-Denis, le 6 décembre 1940 (1) avec 15 autres « militants communistes en vue de leur internement à Aincourt ». Il est interné à la caserne des Tourrelles (boulevard Mortier à Paris 20è). Son arrestation s’inscrit dans le cadre d’une importante rafle de 69 militants communistes de la région parisienne, opérée conjointement par 8 commissariats de banlieue et 8 commissariats parisiens.
Robert Tiradon est interné administrativement (2) avec ses camarades au camp de « Séjour surveillé » d’Aincourt, ouvert le 5 octobre 1940 par le gouvernement de Vichy pour y enfermer les communistes du département de la Seine.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt .
Son numéro de dossier à Aincourt est le « 28.361 ».
Sur la liste « des militants communistes internés le 6 décembre 1940» reçue des Renseignement généraux par le directeur du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C 331/7). Pour Robert Tiradon on lit : « militant communiste particulièrement actif ».
Son frère, Marcel Tiradon (3) et un autre pierrefittois, Camille Watremez, sont internés à Aincourt le même jour que lui, depuis la caserne des Tourelles.
Marcel Tiradon fait une demande de commission d’enquête concernant son internement (il n’est pas arrêté en flagrant délit et comme la plupart de ses camarades il l’est uniquement sur la base des rapports de police antérieurs à la guerre et à l’Occupation). D’autres internés ont fait la même démarche et Germaine Tiradon va la relayer auprès du Préfet de la Seine.
Le 9 mai 1942, à la demande des « autorités d’Occupation » Robert Tiradon est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) au sein d’un groupe d’une quinzaine d’internés venant d’Aincourt ou Mantes.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Fin juillet son épouse reçoit une carte-formulaire imprimée en allemand envoyée par le Frontstalag 122 aux familles des déportés du convoi : « Le détenu ci-dessus dénommé a été, sur ordre de nos autorités supérieures, transféré dans un autre camp pour y être mis au travail. Le lieu de destination ne nous est pas connu. Vous devrez donc attendre d’autres nouvelles du détenu« .
Depuis le camp de Compiègne, Robert Tiradon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Robert Tiradon est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 149» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Robert Tiradon meurt à l’infirmerie d’Auschwitz le 6 décembre 1942 selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Un arrêté ministériel du 6 septembre 2000 apposant la mention Mort en déportation sur son acte de décès et paru au Journal Officiel du 2 janvier 2001, porte la mention « décédé en décembre 1942 à Auschwitz (Pologne) ». On sait que dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Par un arrêté de 1950 paru au Journal Officiel du 22 juillet 1950, il est homologué comme « Soldat » à titre posthume au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 5 décembre 1940.
Robert Tiradon a été déclaré « Mort pour la France» et homologué « Déporté politique » en 1953. La carte est délivrée à Germaine Tiradon, son épouse.
Robert Tiradon est homologué (GR 16 P 571887) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance .
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune.
Sa veuve s’est remariée en 1965 avec Jules Le Coëdic. Elle est décédée en 1978 à Saint-Denis.
- Note 1 : Sa fiche au DAVCC porte un mois sans doute erroné (octobre), qui est vraisemblablement la date de l’arrestation de son frère Marcel, né le 3 juin 1906 à Sarcelles. Pour Fernand Devaux (rescapé, arrêté comme Jeune communiste de Saint-Denis), Robert Tiradon est arrêté en même temps que Marcel Poullain et Camille Watremez. Les documents consultables aux archives de la Préfecture de police de Paris et au DAVCC à Caen indiquent que Camille Watremez est arrêté le 26 octobre. Et ni le nom de celui-ci, ni celui de Marcel Poullain ne figurent sur la liste de la Préfecture de police des militants communistes arrêtés le 6 décembre en vue de leur internement à Aincourt. Par contre on trouve les noms de Marcel Tiradon (son frère) et de Camille Watremez sur la liste des militants qui sont qui sont transférés à Aincourt le 6 décembre 1940 depuis la caserne des Tourelles. Les deux frères Tiradon et Camille Watremez arrivent bien à Aincourt le 6 décembre 1940.
- Note 2 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
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Note 3 : Marcel Tiradon a été arrêté le 10 octobre 1940. Il est ensuite retenu à la caserne des Tourelles. Comme son frère Robert, il va être « interné administratif » au camp d’Aincourt le 6 décembre 1940. A la suite du décès de son épouse, étant père de 4 enfants, il est libéré le 26 février 1941.
Sources
- Etat civil de Pierrefitte. Remerciements à Mme Jacqueline Rousselet.
- Courrier de M. Daniel Biotton, maire de Pierrefitte (18 octobre 1989).
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, cartons occupation allemande, BA 2374 et BA 1837.
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, où seul son numéro matricule est publié.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- ©Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014, 2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Merci pour tout ce travail. Robert Tiradon était mon arrière grand-père. Ma mère, qui est sa petite fille n’avait pas tous ces détails. Nous sommes très émues d’en avoir maintenant connaissance.