Fiche de police © Préfecture de police de Paris.
Eugène Thédé : né en 1901 à Argenteuil (Seine-et-Oise) ; domicilié à Paris 20ème ; cuisinier ; arrêté le 2 février 1941 ; condamné à 6 mois de prison (Fresnes, Poissy) ;  interné aux camps de Rouillé et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 28 août 1942.

Eugène Thédé est né le 7 décembre 1901 à Argenteuil (Seine-et-Oise / Val d’Oise). Il habite au 14, rue des Partants à Paris (20ème) au moment de son arrestation. Il est le fils de Louise, Joséphine Launay (1877-1950) et de Charles, Henri Thédé (1874-1933) son époux. Il est l’aîné d’une fratrie de cinq enfants : Charles est né en 1903, Robert en 1906, Gaston, en 1907, Madeleine en 1911. Charles et Henri sont comme lui nés à Argenteuil, Gaston et Madeleine sont nés au Mans, ce qui sous-entend un déménagement familial (3, vieux chemin d’Arnage, Le Mans).
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 63 a les cheveux blonds et les yeux bleus, le front ordinaire le nez moyen, le visage plein. Au moment de l’établissement de sa fiche (établie sous le nom de Thidé), il est recensé dans le département de la Sarthe, au Mans (matricule 582), il est mentionné qu’il travaille comme cuisinier. Il habite avec sa famille au Mans, 3 vieux chemin d’Arnage.
Conscrit de la classe 1921, il est ajourné trois années consécutives pour tachycardie et classé « service auxiliaire ». Le 12 mai 1923, il est incorporé à l’école d’artillerie de Fontainebleau. Après l’instruction militaire (les « classes »), il est transféré le 1er octobre 1923 au Petit état-major de l’École militaire d’artillerie de Poitiers. Il est « renvoyé dans ses foyers » le 7 mai 1924, « certificat de bonne conduite accordé ».

Le  10 avril 1926, à Paris 10ème, Eugène Thédé épouse Léa, Julia Noir (elle est née le 23 mars 1906 à Evian en Haute-Savoie). Le couple a un garçon, Michel, qui naît en 1926.
En janvier 1928, Eugène Thédé habite au 7, avenue d’Hill, à Joinville-le-Pont (Seine / Val-de-Marne).
En mai 1931, la famille a déménagé au 29, rue Duris, à Paris 20ème. Léa Thédé est concierge et Eugène travaille comme chef cuisinier chez Romans à Joinville-le-Pont. Léa Noir-Thédé décède le 16 février 1935 à Paris 20ème
En mars 1936, il revient habiter à Joinville-le-Pont, au 27, avenue de la Plage. En 1937, il est toujours cuisinier.
Après le décès de son épouse, il vit maritalement avec Juliette Boissonnade (née en 1904). Elle travaille comme fille de salle.
Le 16 novembre 1939, il habite à nouveau Paris, au 8, rue Gasnier-Guy dans le 20èmearrondissement.
Eugène Thédé est membre du Parti communiste, décrit ainsi par les Renseignements généraux en 1941 : « militant notoire et meneur actif ».

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Eugène Thédé est arrêté le 2 février 1941 à Paris (20ème), par la police française (sa fiche au DAVCC porte toutefois la mention Gestapo) pour propagande communiste : il est accusé d’avoir installé une banderole : « Le communisme sauvera la France » dans les arbres de l’avenue Girardot (qui est soit l’ancien nom d’une rue du 20ème ou celui d’une rue existant toujours à Bagnolet ou Montreuil, communes limitrophes).  Inculpé d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939, il est mis à la disposition du Procureur en attente de jugement, vraisemblablement incarcéré à la Santé.
Eugène Thédé est condamné le 2 avril 1941 à six mois de prison par le Tribunal correctionnel de la Seine. Il est d’abord écroué à la prison de Fresnes puis à la Maison d’arrêt de Poissy où il finit de purger sa peine.

Mais depuis le 21 mai 1941, le directeur de la Centrale de Poissy transmet, « en exécution des notes préfectorales des 14 novembre 1940 et 18 février 1941 », à Marc Chevalier, Préfet de Seine-et-Oise, les dossiers de détenus communistes de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours des mois suivants. Comme pour la plupart des détenus communistes libérables, le Préfet ordonne alors leur internement administratif, en application de la loi du 3 septembre 1940 (1).

Le 5 juillet 1941, trois jours après la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, le Préfet ordonne l’internement administratif d’Eugène Thédé. Toutefois, il demande au directeur de Poissy qu’Eugène Thédé soit « interné à sa sortie de Poissy dans cet établissement, en attente qu’une place soit disponible à Aincourt » (photo ci-contre). Le CSS d’Aincourt, ouvert en octobre 1940 est en effet complètement saturé. Cette disposition concernera plusieurs autres détenus.
Finalement c’est au camp de « Séjour surveillé » de Rouillé (2) ouvert en septembre 1941, qu’Eugène Thédé et sept de ses co-détenus de Poissy sont transférés puis internés le 28 novembre 1941. Six d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui : Alfred Chapat, François Dallet, Albert Faugeron, Raymond Langlois, Pierre Marin, Marcel Nouvian. Le septième est Georges Deschamps. Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé ‎
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés Le nom d’Eugène Thédé (n° 72 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) le 22 mai
1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Thédé est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Le numéro d’immatriculation d’Eugène Thédé lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu.  Le numéro « 46 135 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reiz, 1946

Eugène Thédé meurt à Auschwitz le 28 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1245 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique). Henri Marti, qui avait été emprisonné avec lui à Fresnes et également interné en même temps que lui à Rouillé et Compiègne a témoigné de sa mort à sa famille.

Un arrêté ministériel du 18 avril 2000 paru au Journal Officiel du 24 juin 2000 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Cet arrêté qui corrige le précédent qui indiquait mort le 6 juillet 1942 à Compiègne, mentionne néanmoins encore une date erronée : décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz, soient
les 5 jours prévus par les textes en cas d’incertitude quant à la date réelle de décès à Auschwitz. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible
depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz.

Genweb DR

Eugène Thédé est homologué comme « Déporté politique ». Une plaque a été apposée sur l’emplacement de son ancien domicile, aujourd’hui remplacé par un bâtiment neuf.

  • Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  •  Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
  • Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François,
    Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit
    libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.

Sources

  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1992).
  • Généanet : © arbre généalogique de M. Lionel Ridoux apparenté à Madeleine Thédé.
  • Maison centrale de Poissy, © Archives départementales des Yvelines.
  • Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation Juive Contemporaine XLI-42).
  • Témoignage d’Henri Marti.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande,C.331-7
  • Camp de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet Généanet.
  • © Site Internet Legifrance.
  • © Site Internet MemorialGenWeb.
  • © Le CCS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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