Matricule « 45 835 » à Auschwitz
Alfred Marinelli : né en 1903 à Paris 19ème où il est domicilié ; tôlier en aviation ; adhérent CGT et communiste ; envoyé à la "ferme Saint-Benoit" en mai 1940 ; arrêté le 5 mars 1941 ; condamné à 10 mois de prison ; écroué à Fresnes; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
Alfred Marinelli est né le 6 janvier 1903 à Paris 19ème, où il est domicilié au 31, rue de Nantes au moment de son arrestation. Il est le fils de Livia Cadasei, 28 ans, journalière et d’Augustin Marinelli, 42 ans, journalier.
Il a une sœur jumelle, Angèle, Rosine (elle est décédée le 14 janvier 1994 à Romainville) et un frère cadet, Georges, né le 8 septembre 1907, également à Paris 19ème. Leurs parents habitent au 139, rue d’Allemagne à Paris 19ème. Ils ont reconnu et légitimé leurs enfants par leur mariage, le 23 mai 1908.
En 1924, après son service militaire, Alfred Marinelli s’installe au 31, rue de Nantes à Paris 19ème. Il s’inscrit alors sur les listes électorales de cet arrondissement.
Il travaille comme chaudronnier tôlier aux usines C.A.P.R.A. à La Courneuve (Compagnie Anonyme de Production et Réalisation Aéronautique), ancienne Société des Avions Bernard, qui deviendra MATRA en 1941 (elle fabriquera alors de l’armement pour le compte de l’armée d’occupation).
Le 24 juin 1933, il épouse Germaine, Louise Gay à la mairie du 18ème. Elle a 17 ans, née le 3 juillet 1915 à Paris 10ème, domiciliée chez ses parents, 16, rue Bussolin. Lui, âgé de 30 ans, est alors tôlier et habite avec sa mère au 41, rue de Nantes.
Il est membre du Parti communiste depuis 1935 et adhérent à la CGT.
A la déclaration de guerre, conscrit de la classe 1923 travaillant pour une usine œuvrant pour la Défense Nationale (loi Dalbiez d’août 1915), Alfred Marinelli est “affecté spécial” sur son lieu de travail à l’usine C.A.P.R.A. de La Courneuve.
Le 8 mai 1940, il participe a un mouvement de grève en protestation au licenciement d’un vieil ouvrier à l’atelier des coques le 6 mai. Il y a 700
grévistes. On parle de 250 ouvriers interpellés et de 38 arrestations opérées (in les Français de l’an 40).
Alfred Marinelli est alors rayé de l’affectation spéciale et affecté à la compagnie disciplinaire du camp militaire dit « la ferme Saint-Benoît » (1) pendant plusieurs mois.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Alfred Marinelli est démobilisé « Libéré, il avait remis à la disposition de l’usine où il avait été employé » (extrait du PV. de mise à disposition du mars 1941). On sait par une note manuscrite (datée du 5 mars 1941) des inspecteurs des Renseignements généraux qui le surveillent, qu’il est devenu « propagandiste actif clandestin en relation avec Timbaud, Le Lay et Millet (aujourd’hui décédé) » (2) .
En effet, à l’hiver 1940-1941, la recrudescence d’inscriptions à la craie, collage de papillons gommés et diffusion de tracts dans le 19ème arrondissement a alerté les services de la Préfecture de police. Des enquêtes et filatures sont effectuées dans les milieux communistes du 19èmepar les inspecteurs du commissariat du quartier Pont de Flandre, Combat et ceux de la Brigade spéciale des Renseignements généraux.
Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.
Début mars 1941, le commissaire André Cougoule (3) charge ses hommes « d’identifier et d’appréhender tous individus se livrant à la propagande communiste clandestine s’effectuant» dans cet arrondissement.
Deux inspecteurs de la brigade spéciale des Renseignements généraux (« T » et « G ») interpellent le 5 mars 1941 Alfred Marinelli, qui habite depuis deux mois chez ses beaux-parents, au 34, boulevard Ney.
Il a cherché à dissimuler la brochure « Nous accusons » qu’il avait sur lui. Il a reconnu détenir à son domicile légal un lot de tracts, brochures, papillons et carnets de souscription, le tout de provenance communiste clandestine (extrait du PV). Emmené dans les locaux de la Préfecture, il est en outre, après fouille, « trouvé porteur d’un tract de la Vie Ouvrière n° 19 du 11 janvier 1940 et d’une lettre dactylographiée traitant des tâches d’organisation clandestine ».
Les inspecteurs ont saisi à son domicile 31, rue de Nantes : seize tracts, dix listes de souscription à La Vie Ouvrière, deux carnets à souches de souscription, une brochure Le Bulletin du Métallo, une brochure La Vie du Parti et un brouillon de lettre. Soient 14 scellés et 4 procès verbaux.
Inculpé par le commissaire Cougoule d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939, il est écroué le 6 mars 1941 à la Maison d’arrêt de la Santé (n° d’écrou 15048), et mis à disposition du Procureur.
Le 7 mars, il comparait devant la 12ème chambre du tribunal correctionnel de la Seine avec Camille Delattre arrêté le 6 mars pour les mêmes motifs. Alfred Marinelli est condamné à 10 mois de prison. Il fait appel de la sentence. Le 29 avril, la 10ème chambre de la Cour d’appel confirme la sentence. Il se pourvoit en cassation.
Alfred Marinelli est alors transféré le 2 mai 1941 à la Maison d’arrêt de Fresnes. Son pourvoi est rejeté le 23 août. Le 21 octobre 1941, à la veille du mois correspondant à l’expiration normale de sa
peine d’emprisonnement, le Préfet de police de Paris, François Bard, ordonne son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940 (4).
Le 10 novembre, Alfred Marinelli ,qui a été maintenu entre temps au Dépôt de la préfecture de Paris est interné au CSS de Rouillé (5), avec un groupe de 57 autres militants communistes parisiens.
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé .
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (le Frontstallag 122).
Le nom d’Alfred Marinelli (n° 122 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (6) qu’il arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, Alfred Marinelli va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Alfred Marinelli est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Alfred Marinelli est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 835» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz et sur le site © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner au camp principal d’Auschwitz (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date, ni sa date de décès. Il est néanmoins possible qu’étant chaudronnier tôlier de profession, il ait été ramené à Auschwitz I.
Un arrêté ministériel du 7 octobre 1994 porte apposition de la mention Mort en déportation sur son acte de décès, paru au Journal Officiel du 9 décembre 1994, avec comme date « décédé en 1943 à Auschwitz (Pologne) ». Dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Alfred Marinelli est homologué « Mort pour la France » et homologué « Déporté politique ». La carte est attribuée à Mme Casader – Marinelli, sa mère. Alfred Marinelli est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 394587.
- Note 1 : La ferme Saint-Benoît (Seine-et-Oise), prés de Rambouillet : il s’agit d’un camp militaire composé de plusieurs compagnies spéciales pour les appelés communistes « récalcitrants » regroupés au sein de la 1ère Compagnie Spéciale de Travailleurs Militaires Indésirables. Rayé de l’affectation spéciale, Alfred Marinelli doit rejoindre une unité dans le cadre de la mobilisation générale… Et c’est dans celle-ci qu’il est affecté.
- Note 2 : Jean Pierre Timbaud (secrétaire de la Fédération des Métaux CGTU (1931-1934), puis CGT (1936-1939) de la région parisienne, militant
communiste, fusillé comme otage le 22 octobre 1941 à Châteaubriant). Le Lay : il s’agit sans doute de Désiré Le Lay (membre du comité régional
de Paris-Nord du Parti communiste et secrétaire de la Fédération CGT des Métaux. Arrêté le 4 décembre 1940, torturé au commissariat de
Saint-Denis, il fut envoyé à la Santé puis à Fresnes. Interné au camp de Rouillé, il s’en évade le 4 mars 1943. Décédé le 21 mars de la même année). Il y a certes un Le Lay Alain dans le convoi du 6 juillet 1942, mais celui-ci militait en Bretagne. Je n’ai pas trouvé mention d’un Millet ou Miller, militant syndicaliste ou communiste décédé entre 1940 et 1941. - Note 3 : André Cougoule, inspecteur principal en 1939, dont le zèle anticommuniste lui vaudra de passer rapidement commissaire principal (dès juin 1941 c’est lui qui a la responsabilité de la « Brigade spéciale n°1 »).
- Note 4 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 5 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
- Note 6 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
Sources
- Archives en ligne de Paris, état civil, élections et recensements.
- Liste (incomplète) du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (archives des ACVG).
- Camp de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne.
- Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation
Juive Contemporaine XLI-42). - ©1940-1945, La Résistance dans le 19e arrondissement de Paris, Ouvrage présenté par l’ANACR 19ème, Ed. « Le temps des Cerises », 2005, page 136.
- Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Site Internet Généanet.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, C-131-24.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Archives de la Préfecture de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux, registres journaliers.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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