René Solard : né en 1892 à Paris (15ème), où il habite ; mécanicien ; mutualiste, communiste selon les RG ; arrêté le 17 avril 1941 ; condamné à 8 mois de prison effectués à Fresnes ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
René Solard est né au domicile de ses parents au 105, rue Cambronne, le 9 janvier 1892 à Paris (15ème).
Il habite au 63, rue du Théâtre, dans le 15ème arrondissement de Paris au moment de son arrestation.
René Solard est le fils d’Hermence Vincent, 28 ans et de Constant, Auguste Solard, 35 ans, son époux. Ses parents sont merciers.
Sa mère décède le 16 juin 1904. Son père épouse en secondes noces Gabrielle Renée Marie Brière, 32 ans, institutrice, divorcée, mère de trois garçons.
Le registre matricule militaire de René Solard indique qu’il habite au 53, rue Fondary dans le 15ème arrondissement de Paris, au moment du conseil de révision (l’année de ses vingt ans).
Il mesure 1m 66, a les cheveux châtain et les yeux bruns, le front haut et le nez moyen, le visage rond. Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Il sera mécanicien auto, puis, représentant de commerce, puis chauffeur en 1937.
Il est venu habiter dans l’Eure (canton de Verneuil) sans doute fin 1911, puisque, conscrit de la classe 1912 recensé à Paris, il est appelé au service militaire le 10 octobre 1913 au 1er régiment du Génie à Evreux. Il y fait ses classes. Le lendemain du décret de mobilisation générale du 1eraoût 1914, René Solard est envoyé sur le front avec son régiment.
Il est fait prisonnier le 22 août 1914 à Ville-Houdlémont, un village de Meurthe et Moselle pendant la « bataille des frontières » (une rue de la ville porte cette date du 22 août : 93 soldats français sont tués au cours de ces combats, 37 sont portés disparus, dont René Solard).
Il est emprisonné au camp de prisonniers de guerre deb Grafenwöhr en Bavière. Le 22 décembre 1916 René Solard est transféré au camp de Reslz-am-Augsbourg (pas recensé dans la liste des KL).
Il ne sera libéré et rapatrié que le 15 décembre 1918. Il part alors en permission jusqu’au 21 février 1919 et rejoint le dépôt du 1er régiment du Génie. Selon les usages militaires (après des circonstances exceptionnelles telles que blessure, prisonnier de guerre), il est changé de régiment et « passe » au 19ème escadron du Train.
Il est démobilisé le 24 août 1919, « certificat de bonne conduite accordé ». Il revient à Paris au 83, rue Fondary. Il travaille alors comme mécanicien.
René Solard épouse Germaine Gastel, le 2 octobre 1919 à la Mairie du 15ème. Elle a 24 ans, est lingère, née le 9 août 1895 à Paris (15ème), fille de bijoutiers. Le couple a une fille, Marcelle qui naît en 1920.
Il travaille comme chauffeur-livreur. Dès 1923, René Solard est inscrit sur les listes électorales du 15ème arrondissement. La famille s’installe au 63, rue du Théâtre (Paris 15ème) en août 1929.
René Solard, chauffeur livreur, est délégué pour Paris de la Société de Secours mutuels « les Chauffeurs français ». A ce titre il reçoit une récompense honorifique (mention honorable) du Ministère du travail (JO. du 1er septembre 1931). Il est inscrit à un club de « cyclo-camping » (le « Tourist club travailliste ») qui préfigure la vogue du cyclotourisme des congés payés de 1936, et participe assidûment aux sorties du club, notamment en Bretagne (son nom figure dans un concours d’assiduité du TCT relaté dans le Populaire du 11/091934).
En 1936, il travaille comme employé de commerce chez Greffrei (nom peu lisible sur le registre de recensement). Il est connu comme communiste par les Renseignements généraux. Il participe à des conférences et projections de films organisées par le « Groupe d’études du cinéma soviétique » et l’association des « Amis de l’Union soviétique » (AUS). Il y rencontre Benjamin Dutkiewicz, élève en classe de rhétorique au lycée Buffon (né en Allemagne), présumé communiste par les Renseignements Généraux.
Placé dans la position militaire « sans affectation » en 1930 et 1937, il n’est pas mobilisé pendant la guerre 1939 / 1940.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Militant connu des Renseignements généraux et présumé communiste, René Solard est arrêté par la police française le 17 avril 1941 pour possession de tracts communistes, en même temps qu’un autre présumé militant, Benjamin Dutkiewicz né en Allemagne en 1923, ancien adhérent des Amis de l’Union Soviétique », devenue clandestine depuis son interdiction en 1939.
Les inspecteurs de la Brigade spéciale des Renseignements généraux ont appris à la suite de filatures que René Solard, « ancien membre de l’association des « Amis de l’Union Soviétique » avait repris des contacts avec des membres de cette ancienne association« .
Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.
Au cours de l’interrogatoire, le 18 avril, René Solard déclare ne se livrer à aucune propagande clandestine.
Au cours de la perquisition de son domicile les inspecteurs de la BS ont trouvé trois tracts dans une pile de livres., enveloppés de papier journal : « Peuple de France », « Les conseillers de Pétain » et « Les camps de concentration ».
« Convaincus d’avoir participé directement à la diffusion du matériel clandestin et des mots d’ordre de la IIIème Internationale communiste et des organisations qui s’y rattachent« , ils sont inculpés par le commissaire de Police du 15ème arrondissement d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste et propagande notoire des doctrines de la IIIème Internationale), et sont mis à la disposition du Procureur et sont écroués à la Santé le 19 avril en attente de jugement.
Condamné le 7 mai à une peine d’emprisonnement (dont il fait appel), René Solard est transféré à Fresnes le 21 juin 1941, puis à la Maison centrale de Poissy où il purge sa peine.
Depuis le 21 mai 1941, le directeur de la Centrale transmet au Préfet de Seine-et-Oise, « en exécution des notes préfectorales des 14 novembre 1940 et 18 février 1941 », des dossiers de détenus communistes de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours des mois suivants. Celui de René Solar est transmis au Préfet le 2 octobre. Son dossier est envoyé aux Renseignements généraux via le Préfet de police de Paris le 10 octobre.
Comme pour la plupart des détenus communistes libérables, le Préfet prévoit leur internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939 et de la loi du 3 septembre 1940. Toutefois, il demande au directeur de Poissy que René Solard soit « interné à sa sortie de Poissy dans cet établissement, en attente qu’une place soit disponible à Aincourt ».
Le CSS d’Aincourt est en effet complètement saturé à cette époque. Cette disposition concernera plusieurs autres détenus (François Dallet, Georges Deschamps, Albert Faugeron, Raymond Langlois, Pierre Marin, Marcel Nouvian, et Eugène Thédé).
Le Centre d’Internement Administratif de Rouillé ayant ouvert en septembre 1941, le 8 novembre 1941, le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne « l’internement administratif » (1) de René Solard, en application de la Loi du 3 septembre 1940. Il est alors écroué au Dépôt de la Préfecture en attente de son transfert.
Un avis du 31 décembre 1941 stipule les conditions de ce transfert au camp de Rouillé avec 49 autres détenus : « Cinquante internés administratifs actuellement écroués au Dépôt seront transférés samedi 3 janvier 1942 au Centre de séjour surveillé de Rouillé (Vienne). Les internés se répartissent comme suit : 38 internés politiques (RG) et 12 « indésirables » (PJ). Ils quitteront Paris par la Gare d’Austerlitz à 7h55 (train 3). Le chef du convoi disposera d’une voiture directe avec 10 compartiments. En accord avec M. Le chef de la Gare d’Austerlitz les autocars arriveront par la rue Sauvage et pourront pénétrer jusqu’à la voie ou sera placé le wagon (voie 23). Le départ est fixé à 7h55, l’arrivée à Rouillé à 18h51. Départ à Poitiers à 18 h 10., arrivée à Rouillé à 18 h 51(il existe aux archives de la Préfecture de Police un deuxième avis, libellé différemment, mais avec les mêmes chiffres et les mêmes horaires).
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (le Frontstallag 122). Le nom de René Solard (n° 70 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
A Compiègne, René Solard reçoit le matricule n° « 5940 ». Il est affecté au Bâtiment A5, chambrée 7, dont le « chef de chambre » est Olivier Souef. On notera dans l’inventaire personnel des occupants de cette
chambrée (29 mai 1942), qu’il n’a qu’une assiette, 1 matelas et 1 polochon,
mais ni couverts, ni quart, ni couverture !
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, René Solard est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 46107 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner au camp principal (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date. Sa date de décès est inconnue.
René Aondetto (dont les témoignages sont très fiables) qui le connaissait depuis la Centrale de Poissy, pense qu’il est mort à Birkenau en 1943. Mais pour Auguste Monjauvis, militant parisien du treizième, c’était fin 1942.
A la Libération le ministère des Anciens combattants a fixé fictivement celle-ci au 15 octobre 1942 sur la base du témoignage de ses compagnons de déportation.
Un arrêté ministériel du 28 janvier 2003 paru au Journal Officiel du 18 mars 2003 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Le témoignage de compagnons de déportation a incité le Ministère à inscrire une date fictive de décès «mort le 15 octobre à Reisko» (4).
Il est homologué « Déporté Politique » et déclaré « mort pour la France ». René Solard est homologué (service historique de la Défense, Vincennes GR
16 P 552126) au titre des déportés et Internés résistants (DIR) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL).
Sa veuve tenta en vain d’obtenir son homologation comme « Déporté Résistant ».
- Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
- Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai 1942. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
- Note 4 : Raisko ou Reijko est le nom qui fut souvent donné au camp de Birkenau (nommé Auschwitz II en 1943) par les déportés en 1942. En juin 1943, c’est le nom d’un sous-camp de Birkenau où les SS font pratiquer dans un laboratoire des expériences de jardinage et la culture expérimentale de l’Hévéa pour l’usine de caoutchouc. Les françaises du convoi des « 31 000 » y travailleront.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Photo de René Solard transmise à Roger Arnould par René Aondetto (congrès du Havre de la FNDIRP, 12 avril 1980).
- Camp de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne.
- Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation
Juive Contemporaine XLI-42). - Photo de l’inventaire des « paquetages » de la Chambrée n°7 du Bâtiment A5 à Compiègne (29 mai 1942).
- Archives départementales de Paris, rôle correctionnel.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Registres matricules militaires de l’Eure.
- Archives de la Préfectures de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux, registres journaliers.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com