Matricule «46 263» à Auschwitz
Roger Tessier : né en 1918 à Malesherbes (Loiret) ; domicilié à Montreuil (Seine / Seine-Saint-Denis) ; encarteur, artisan photographe ; jeune communiste ; arrêté le 10 novembre 1940, condamné à 10 mois de prison (Fresnes) ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 18 mars 1943.
Roger Tessier est né le 2 juillet 1918 à Malesherbes (Loiret).
Il est domicilié chez sa mère au 47, rue des deux communes à Montreuil (Seine / Seine-Saint-Denis), ville où il travaille d’abord comme encarteur en 1936, puis comme artisan photographe au moment de son arrestation.
Il est le fils de Léocadie, Laure Sellier (45 ans, née en 1873 dans la Somme) et de Victor Tessier son époux.
Il est adhérent des Jeunesses communistes de Montreuil et en est un des responsables, avec Georges Guinchan.
Il est appelé au service militaire dont la durée est alors de deux ans en juillet 1938 et se trouve donc encore sous les drapeaux lors de la mobilisation générale de 1939.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Une fois démobilisé, Roger Tessier reprend contact avec ses camarades des Jeunesses communistes et distribue des tracts contre le régime de Vichy.
Georges Guinchan a raconté leur participation à une manifestation devant la Mairie de Montreuil en octobre 1940, pour le retour des élus communistes déchus de leurs mandats en février 1940. Les Allemands interviennent et font évacuer la place de la Mairie sous la menace de deux mitrailleuses. Au début novembre, le groupe des Jeunes communistes colle des affichettes célébrant le 23è anniversaire de la Révolution d’Octobre.
Plusieurs d’entre eux sont arrêtés entre le 6 et le 10 novembre (Combet, Gabarz, Georges Guinchan, Lazare Kletzkine, Leplame, Roland Martin).
Le 10 novembre 1940, Roger Tessier est arrêté à Montreuil en même temps que 7 autres membres des Jeunesses communistes clandestines. Les trois inspecteurs de la Brigade spéciale des Renseignements généraux (lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux) sont appuyés par des agents du commissariat de Montreuil.
Au cours de la perquisition à son domicile la police trouve la liste des triangles clandestins des Jeunesses communistes de Montreuil, qu’il a eu l’imprudence de conserver.
Cette opération avait été demandée par le commissariat de Montreuil comme en témoigne le registre journalier de la BS. Sur les 8 noms portés sur le registre figurent notamment celui de celui de Georges Guinchan (46 243, rescapé) et de Robert Aubert (déporté à Dachau – rescapé).
Roger Tessier est emmené au Dépôt du Palais de justice de Paris le 10 novembre 1940. Il est inculpé « d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 interdisant le Parti communiste et de propagande notoire des doctrines de la IIIè internationale ». En attente de jugement, il est incarcéré à la Maison d’arrêt de la Santé, dans le quartier des droits communs, comme Georges Guinchan. Il occupe son temps à apprendre l’allemand.
Georges Guinchan, Roger Tessier, et 13 autres co-inculpés (procès des JC de Montreuil) passent en jugement devant la 15è chambre des mineurs du tribunal correctionnel de la Seine, le 5 avril 1941 d’après le rôle du greffe (le 7 février selon Georges Guinchan).
Roger Tessier et Georges Guinchan sont condamnés à 18 mois de prison et sont emprisonné à Fresnes (Val de Marne). Ils font appel de la sentence. Le 9 juin 1941, la cour d’Appel de Paris réduit sa peine à 15 mois.
Le 17 octobre 1941, à sa levée d’écrou, il n’est pas libéré, mais interné administrativement dans le camp français de Rouillé (Vienne). Après avoir purgé sa peine, lors de sa levée d’écrou le 25 décembre, Roger Tessier est interné administrativement (1) au camp de Rouillé.
Lire dans ce site : le camp de Rouillé
Le 3 janvier 1942, il fait partie d’un groupe de 50 internés administratifs(38 internés politiques (RG) et 12 indésirables (PJ) transférés du dépôt vers le Centre de Séjour Surveillé de Rouillé. Un avis du 31 décembre stipule les conditions de ce transfert :Ils seront conduits en autocars par la rue Sauvage jusqu’à la gare d’Austerlitz, où ils pourront pénétrer jusqu’à la voie 23 au train de voyageurs n° 3. Le chef du convoi disposera d’une voiture avec 10 compartiments. Le départ est fixé à 7h 55, l’arrivée à Rouillé à 18h 51, après un arrêt de 45 minutes à Poitiers.
Le 18 mars 1942, Roger Tessier fait partie d’un petit groupe de 15 jeunes communistes (2) du camp de Rouillé qui – à la demande des autorités allemandes – sont transférés au camp de Royallieu à Compiègne (Oise) , le Frontstalag 122, en vue de leur déportation comme otages.
Il y il est enregistré sous le numéro matricule « 3797 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Roger Tessier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Roger Tessier est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 420» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Roger Tessier meurt à Auschwitz le 18 mars 1943.
Roger Tessier est homologué (GR 16 P 565804) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) appartenant à l’un des mouvements de Résistance (Front national).
Par arrêté du secrétaire d’Etat à la défense chargé des anciens combattants en date du 3 mars 2000, la mention « Mort en déportation » est apposée sur ses actes et jugements déclaratifs de décès.
- Note 1 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 2 : Il s’agit de Marcel Algret, Maurice Alexis, Henri André, Jean Bach, Roger Desjameau, Louis Faure, René Faure, André Giraudon, Georges Guinchan, Faustin Jouy, Henri Migdal, Marcel Nouvian, Jean Valentin. Tous sont déportés à Auschwitz sauf Jean Valentin. André Giraudon, de Bourges, est fusillé dans la forêt de Compiègne le 10 mai 1942.
Sources
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en juillet 1992.
- Photo de famille (DR)
- Témoignages de Georges Guinchan recueillis à son domicile des Hôpitaux-neufs, en février 2001.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Archives en ligne de Seine Saint-Denis, recensement de Montreuil.
- FNDIRP de Montreuil : courrier de Daniel Tamanini du 23 avril 1989.
- Liste de noms de camarades du camp de Compiègne, collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIè, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800) (DAVCC).
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Archives de la Préfecture de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux, registres journaliers.
Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014, 2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com