Matricule « 46 102 » à Auschwitz
André Sevens : né en 1910 à Paris 14ème ; domicilié à Paris (7ème) ; expert comptable ; communiste ; arrêté le 4 septembre 1941 ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
André Sevens est né le 28 décembre 1910 au domicile de ses parents, au 52, avenue d’Orléans, à Paris 14ème. Il habite au 71, rue de Grenelle à Paris (7ème) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Emilie, Françoise, Exiga, 24 ans, couturière et de Jean, Louis, Victor Sevens, 27 ans, comptable, son époux (il est né le 20 décembre 1883 à Bruxelles). Ses parents se sont mariés le 18 juillet 1908 à Bagnolet.
Il a quatre frères cadets et une sœur : Maurice (2) qui est né en 1913 (décédé en 2003), René qui est né en 1916, (décédé en 1982), et Théo et Pierre. Leur père décède en 1928.
Devenu soutien de famille, André Sevens obtient son diplôme d’expert-comptable en suivant des cours du soir.
Il est embauché en 1928 par la « Compagnie des Lampes » (1) connue pour sa marque Mazda, située au 29 rue de Lisbonne (Paris 8ème), et y travaille, jusqu’à son arrestation, comme «expert-comptable correspondancier» au salaire de 2000 francs par mois en 1941.
Le 7 septembre 1929 à Champigny-sur-Marne, André Sevens épouse Isis, Hortense, de Chatillon, née le 31 janvier 1908 à Mendoza (Argentine (elle est décédée en 1980). Le couple a deux enfants, Huguette et Jean, qui ont 11 et 7 ans au moment de son arrestation en septembre 1941.
André Sevens effectue son service militaire en 1930 (1er bureau du Centre de recrutement de la Seine, matricule « 6129 »). Revenu à la vie civile, il retrouve son emploi. Il est délégué syndical dans l’entreprise et devient secrétaire du syndicat CGT des employés de la métallurgie parisienne (selon les Renseignements généraux).
En 1937 les Sevens viennent habiter le 7ème arrondissement.
Membre du Parti communiste, André Sevens milite à la cellule du « Gros Caillou » (7ème section de Paris-Ville) jusqu’à la dissolution du Parti communiste.
Il diffuse régulièrement « l’Humanité » et la presse communiste (les RG citent un récépissé de colporteur sollicité à cet effet auprès de la Préfecture). Selon les souvenirs de sa fille, sa famille a hébergé pendant six mois une petite orpheline, par solidarité avec les Républicains espagnols.
André Sevens est mobilisé le 2 octobre 1939 et incorporé au centre mobilisateur 211 de Coulommiers.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
André Sevens est démobilisé le 25 juillet 1940. Son frère cadet René est alors prisonnier en Allemagne.
André Sevens reprend une activité militante au sein du Parti communiste clandestin (diffusion de tracts, etc). Ces activités lui vaudront le grade de sergent à titre posthume au titre de la Résistance Intérieure Française.
André Sevens et son épouse hébergent son frère Maurice Sevens (2), sa femme et sa fille, lorsque ceux-ci ne logent pas chez leur mère, Emilie Sevens, à Colombes au 1, rue Jacques Louis Bernier.
La recrudescence d’inscriptions à la craie, collage de papillons et diffusion de tracts dans le 7ème arrondissement alerte les services de la Préfecture. Des enquêtes et filatures sont effectuées dans les milieux communistes de l’arrondissement par trois inspecteurs de la Brigade Spéciale des Renseignements généraux.
Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.
C’est au cours de ces filatures que Pierre « P.. » est arrêté en possession de tracts «d’inspiration communiste». Au cours des interrogatoires, il avoue que des tracts de la « Vie ouvrière » lui ont été remis un mois et demi auparavant par André Sevens.
André Sevens est arrêté le 4 septembre 1941 avec 3 autres militants, dont son frère cadet Maurice.
Au cours de la perquisition à son domicile, les inspecteurs de la BS1 ne découvrent que des textes manuscrits reproduisant « des émissions de TSF de Radio-Moscou et de Radio Londres ».
Une ancienne « carte de permanence » de la section du 7ème arrondissement du Parti communiste est découverte au domicile de sa mère à Colombes.
Au cours des interrogatoires et de la confrontation avec « P.. », si André Sevens reconnaît avoir appartenu au Parti communiste avant sa dissolution, il nie fermement toute activité politique depuis son retour de la guerre. Il affirme également que ses frères n’ont jamais été membres du Parti communiste et que s’il reconnaît avoir rencontré P. il y a 3 mois dans un café, il ne le connaît que sous le prénom de « Pierre », et n’a jamais eu que des conversations générales et « certainement pas politiques avec lui ».
Il nie catégoriquement lui avoir jamais confié de tracts « je n’en ai d’ailleurs jamais eu en ma possession, sachant que la diffusion de tracts clandestins est sévèrement réprimée ». Concernant les retranscriptions manuscrites de bulletins de Radio-Moscou trouvées à son domicile, André Sevens affirme qu’elles sont de son seul fait, et qu’il écoute également Radio-Londres « dans le seul but de faire des comparaisons entre les textes des différents communiqués ».
André Sevens est inculpé d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste) en même temps que son frère Maurice, Henri Chauveau et Pierre P.
Tous les quatre sont retenus à la maison d’arrêt de la Santé. Le procureur ne requiert pas de peine d’emprisonnement à l’encontre d’André Sevens (sans doute en raison de l’absence de preuves matérielles d’une activité de propagande clandestine et grâce au témoignage de moralité de son employeur) et il obtient un non-lieu. Mais François Bard, préfet de police de Paris, ordonne néanmoins son internement administratif le 25 novembre 1941, en application de la Loi du 3 septembre 1940 (3).
Le samedi 3 janvier André Sevens est transféré du dépôt au Camp de séjour surveillé de Rouillé (4), via les gares d’Austerlitz et Poitiers, au sein d’un groupe de 50 internés administratifs composé de 38 politiques (RG) et 12 « indésirables » (PJ) (note de service de la police du 30 décembre 1941).
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au directeur du CSS de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (Frontstallag 122). Le nom d’André Sevens (n°69 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (5) qu’il arrive au camp de Royallieu à Compiègne le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)
Depuis le camp de Compiègne, André Sevens est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
André Sevens est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46 102». Ce numéro, que je lui avais attribué à titre d’hypothèse pour tenter de reconstituer la liste du convoi, a été confirmé par Huguette, la fille d’André Sevens, qui a reconnu son père sur la photo d’immatriculation du déporté correspondant à ce numéro (les photos d’immatriculations (7) que des membres de la Résistance intérieure du camp d’Auschwitz avaient camouflées pour les sauver de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp, transmises en France au Ministère des anciens combattants à la Libération, ont été remises aux familles ayant effectué des démarches en vue de l’homologations comme « Déporté politique » ou « Déporté résistant » de leur parent.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun document des archives SS ne permet de connaître la date exacte de son décès à Auschwitz. En janvier 1946, le ministère des Anciens combattants a fixé celle-ci au 10 mars 1942 sur la base du témoignage de deux de ses camarades de déportation, Henri
Marti et Roger Pelissou, qui ont par ailleurs porté témoignage et répondu dans la meure de leur possible aux questions des familles des disparus.
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 18 septembre 2002, paru au Journal Officiel du 29 octobre 2002).
Il est homologué comme « Déporté politique » puis comme « Déporté résistant » en 1962. André Sevens (GR 16 P 546867) est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance dont les services justifient une pension militaire pour ses ayants droit.
Homologué comme sergent au titre de la RIF, il est cité à l’ordre de l’armée en 1963 et reçoit la croix de guerre avec palme à titre posthume.
Son nom est inscrit sur la plaque de la mairie du 7ème arrondissement « Morts pour la France entre 1939 et 1945, tombés sur les champs de batailles, morts en captivité, en déportation et dans la Résistance ».
- Note 1 : La Compagnie des Lampes a été créée en 1921 par la Compagnie française Thomson-Houston et la Compagnie générale d’électricité qui lui ont remis leurs deux départements « Lampes ». En 1929, Compagnie des Lampes absorbe la Compagnie lorraine de lampes électriques et la société Lacarrière pour la fabrication des lampes électriques à incandescence. (Note publique d’information : 29 rue de Lisbonne, 75008 Paris).
- Note 2 : Maurice Sevens est né le 26 juillet 1913 à Rosny-sous-Bois. Il est employé de presse (porteur de journaux). Arrêté le 4 septembre 1941 en même temps que son frère, il est comme lui inculpé d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939. Il est écroué à la Santé et à Fresnes, puis interné administrativement aux camps de Clairvaux, Blois (18
septembre 1943) et Compiègne, d’où il est déporté le 22 mars 1944 vers Mauthausen. Il est transféré vers Wiener-Neudorf où il est libéré par la Croix-rouge le 22 avril 1945. Il est décédé en 1994. - Note 4 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 5 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste
dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé. - Note 6 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
- Note 7 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Archives de la Préfecturede police, Cartons occupation allemande, BA 2374 et
- Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris, Les Lilas.
- © Amicale de Mauthausen, 1èr monument.
- Témoignages d’Huguette Touitou pour l’Association « Mémoire Vive ».
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’Étatd’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne en mai 1942. Archives du Centre de documentation juive contemporaine : XLI-42). © Site InternetMémorial-GenWeb. Relevé de Sylvain Métivier
- © Site InternetLégifrance.gouv.fr © Site InternetWWW. Mortsdanslescamps.com
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / collection André Montagne.
- Action dela Compagniedes Lampes : © Scriponet, portail de la scritophilie.
- © Photo de la porte d’entrée du camp d’Auschwitz : Musée d’Auschwitz-Birkenau.
Notice biographique installée en octobre 2012 (complétée en 2017 et 2019), par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com