Extrait de « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 «  (p. 145-146), éd. Autrement, collection Mémoires, Paris, 2005, mis à jour en 2015, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, édité avec le soutien de la Direction du Patrimoine et de l’Histoire et de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.

"Les victimes les plus menacées par les actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les cinquante et un "45 000" morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l'arrivée, 34 d'entre eux avaient perdu la vie (soit 68% de leur nombre total) ; dans le même temps, 142 "45 000", appartenant aux autres catégories d'otages, avaient disparu, soit 13% d'entre eux. La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des «45000» rescapés".
Témoignages de rescapés du convoi du 6 juillet 1942
Raymond Montégu

« (Un) malheureux Juif qui, complètement dérouté, ne retrouvait plus sa colonne, est jeté à terre par un brusque croche-pied d’un chef de block ; il se relève, tente de fuir et se trouve entravé dans sa course par une pierre lancée à toute volée qui l’atteint en pleine tête. (…) Il s’affaisse, mais (…) sachant qu’il serait achevé s’il tombait, il tente de poursuivre sa route. Son bourreau vivement le rattrape et tout chancelant, il est jeté dans un fossé qui longe le block. Presque mourant, les mains jointes et à genoux, il implore une ultime pitié. Un nouveau coup de pierre, en plein visage, est la réponse à sa lamentable prière. Il s’écroule alors tout sanglant dans le fossé. Nous fûmes alors tous témoins de cette chose inouïe : un de ces sadiques du meurtre prit une énorme pierre et acheva d’écraser la pauvre tête sanglante » (Raymond Montégut).

Raymond Montégut

« Un soir, (…), le Blockführer du 22 A (au camp principal), d’accord avec le nôtre et (…) avec les deux (détenus) chefs de block, décidèrent de passer tous les Juifs des deux blocks à la bastonnade. Dès l’appel du soir terminé, les malheureux durent se mettre en colonne par un et monter dans une des grandes chambres du grenier. Tous les lits avaient été poussés pour laisser au milieu de la chambre un espace libre de la superficie d’un ring (…). Les portes étaient largement ouvertes et, de chaque côté, les chefs de chambre qui s’emparaient d’un Juif poussaient aussitôt celui-ci vers le ring sur lequel se trouvaient le SS du block et les deux chefs, tous les deux les manches retroussées et le bâton en main. La danse infernale commença : les coups pleuvaient et le malheureux devait sauter ; s’il s’écroulait, il était relevé à coups de pied (…) Nous dûmes quitter la chambre sous l’empire d’un indicible écœurement et d’une colère d’autant plus violente qu’elle était impuissante » (Raymond Montégut).

Au block 8-A, Franck, détenu politique polonais, avait pour distraction favorite de faire revivre les antiques combats de gladiateurs: « Les Juifs étaient les éternelles victimes désignées : deux malheureux devaient se battre jusqu’à ce que mort s’en suive. C’étaient de farouches corps-à-corps, poings et dents constituaient les armes. Le sang giclait de tout côté, les cris de souffrance remplissaient la chambre et, chose horrible entre toutes, autour, (…) des hommes riaient et applaudissaient.(..) Le vainqueur recevait en récompense un miski de soupe ou une portion de pain volée à la collectivité. Un pauvre Juif polonais qu’on nommait le « Feldwebel » était un de ces pitoyables héros. Malheur à celui qui aurait refusé le combat, il aurait été battu jusqu’à la mort, séance tenante (Raymond Montégut).

Georges Dudal

Des scènes analogues se déroulaient à Birkenau :
« Le chef du block 5, un bandit allemand interné pour avoir commis plusieurs crimes, était dans les camps depuis 13 ans. Ce n’était plus un homme, mais une véritable bête enragée ne pensant qu’à tuer. Sa voix était déformée et, de sa gorge, ne sortaient que des sons bestiaux. Le matin, il ne voulait pas absorber son petit déjeuner avant d’avoir tué 11 juifs. Oui 11, c’était son chiffre et le soir, il ne se couchait pas avant que 40 hommes ne soient allongés devant son block » (Georges Dudal).

Lire aussi dans le site : Trois « 45 000″assistent à l’ouverture des portes d’une chambre à gaz

 

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