Matricule « 45 826 » à Auschwitz Rescapé
René Maquenhen : né à Longroy (Seine-Maritime) en 1909 ; domicilié à Oust-Marest (Somme) ; ajusteur, cheminot ; syndicaliste Cgt, communiste ; arrêté le 24 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Sachsenhausen ; rescapé ; décédé le 15 mai 1982.
René Maquenhen est né à Longroy (Seine-Maritime) le 3 décembre 1909 au domicile de ses parents au hameau du Moulin à Reines.
Il habite à la Petite Cité à Oust-Marest (Somme) au moment de son arrestation. Ce bourg est situé à 3 km d’Eu en Seine-Inférieure.
Il est le fils de Francia, Alexandrine Beaudelin, 31 ans, (1878-1952) ménagère et de Raoul, Léopold, Alphonse Maquenhen 34 ans (1875-1915), tourneur en cuivre.
Il a trois aînés : Odile (1896-1978), Marcel (1901-1979) et Roland (1904 né à Bouvaincourt sur Bresle, Somme).
Leur père, soldat au 14e d’Infanterie est tué au combat le 5 octobre 1915 : il est déclaré « mort pour la France ». Le 28 août 1919, par jugement, René Maquenhen est déclaré « Pupille de la Nation ».
René Maquenhen épouse Bernadette Couillet à Longroy le 6 septembre 1930. Elle est née le 18 décembre 1909 à Yzengremer (Somme). Le couple a une fille, Renée.
Il est ajusteur et travaille à la fonderie-robinetterie Delabie à Friville-Escarbotin. Il y créé une section syndicale CGT et devient délégué du personnel dans cette entreprise familiale.
Puis il entre comme employé au dépôt SNCF du Tréport, après avoir été licencié pour ses activités syndicales. Il est membre du Parti communiste avant sa dissolution . « J’étais anti-nazi en 1935″ écrit-il. Il monte un Comité de femmes contre la guerre et le fascisme dont sa femme est secrétaire.
Pour alléger la tâche de Bernadette ouvrière à l’usine, il se charge de la distribution de la vingtaine d’exemplaires du journal (Femme).
En 1939, après la dissolution du Parti communiste, à La SNCF, il demeure syndiqué et fait de la propagande pour le parti communiste clandestin. « Comme j’étais bon diffuseur, je recevais du camarade secrétaire de Mers, Boubert, des tracts que je distribuais dans les casiers ou les poches des agents des trains« . Il est suspecté par le chef du dépôt et « mis à l’index« .
Il est mobilisé le 1er octobre 1939 à Cherbourg. Arrivé au dépôt de Cherbourg, il est dirigé à la caserne Dixmude d’Équeurdreville . 6 mois après, il est renvoyé au dépôt du Tréport (peut-être comme affecté spécial). Le 1er mai 1940, il est remobilisé au dépôt des équipages à Cherbourg. Il y est témoin du désordre qui y règne : « la cinquième colonne y jouait son rôle désorganisateur« .
Le 1er juin il est désigné pour embarquer sur un bateau de pêche « La Madelon ». Ecœuré par la pagaille et la confusion qui règnent à Cherbourg, il décide de partir. En civil, il est pris pour un parachutiste allemand, arrêté par des gendarmes de Mainville. Renvoyé sous escorte au Dépôt de Cherbourg, il y est enfermé avec les « antimilitaristes ». A l’évacuation du dépôt, « nous ne nous sommes pas dégonflés… et en route au devant des Frisés » armé d’un révolver, avec deux de ses codétenus. Il réussit à regagner Paris à bord d’une voiture « réquisitionnée » par Paul Chilis, un Lorrain. Avec un de ses camarades, ils se dirigent à vélo vers Persan Beaumont.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ».
Revenu à Oust-Marest, il place pour vivre, pendant trois mois, des collets et va ramasser des pommes de terre dans les champs où l’arrachage venait d’être fait.
Pendant cette période (du 22 juin 1940 à la fin septembre) je me suis livré, écrit-il, à des actes de sabotage, retiré des accumulateurs des voitures et camions et aussi chez Delabie, détérioré du matériel de vélo« . A la suite d’une enquête, diligentée pense-t-il par le chef du dépôt SNCF du Tréport, il réintègre son poste de travail où il est fermement décidé à continuer les sabotages : « toutes les pièces sérieuses que je devais confectionner en acier, je les faisais en fer« .
Avec Rosine Cousin, il continue les distributions de tracts dans les placards et les poches des chauffeurs et mécaniciens au dépôt.
Il a le projet de faire dérailler le train de munitions « qui descendait régulièrement tous les deux jours« . Il confectionne deux clefs et deux pinces pour retirer le rail situé entre le chemin de la Croix et de Meneslie. Il ne lui manque plus que l’heure du passage du train.
Le 23 octobre, en revenant de « faire du bois » avec son chef, il est prévenu par Georges Guest qu’un camion allemand est stationné à Marest. Il évite alors de justesse l’arrestation.
Il décide alors de partir avec sa femme et sa petite fille.
Au moment du départ, en présence de plusieurs membres de sa famille et d’amis, il apprend que les Allemands ont menacé de revenir et d’enlever deux membres de sa famille s’il demeurait introuvable, il décide alors de rester.
René Maquenhen est arrêté le 24 octobre 1941 à 4 heures du matin à son domicile par des Feldgendarme et des gendarmes français. Il est emmené au siège de la Kommandantur à Abbeville.
Après interrogatoire, il est incarcéré pendant 9 jours à la prison d’Abbeville (du 24 octobre au 3 novembre).
Il écrira 3 lettres à son épouse depuis cette prison. Celle qui est reproduite ci-contre n’est pas passée par la censure de la Kreiskommandantur.
Il dit à Bernadette (« Dedette ») qu’ils sont 3 « dans le même cas ». L’essentiel de sa lettre est consacré aux moyens pour lui faire parvenir de quoi écrire… et manger. Il lui explique comment laisser un colis à l’hôtel de la gare à remettre à madame Vasseur, pour que ce colis lui soit ensuite remis.
Il est transféré le 3 novembre 1941 au camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122), où il reçoit le matricule « 2121 ».
Il a raconté ses 44 mois d’incarcération dans les camps dans un cahier de souvenirs. Interrogé à plusieurs reprises à Compiègne, il nie avoir appartenu au Parti communiste.
La Française qui l’interroge en présence de trois Allemands est pourtant bien renseignée : « vous avez également milité au syndicat et vous étiez même responsable et premier délégué chez M. Delabie« .
Il est affecté au bâtiment 8, chambre 10, où il est bien reçu par les anciens.
Il fait gamelle commune avec Doury du Petit Quevilly, Lefranc de Dieppe et Gillot de Basse-Charente.
Il est un mois sans colis. Il décrit les effets bénéfiques de l’organisation clandestine du camp, les cours d’algèbre, de mathématiques, de dessin, de géographie. Il se perfectionne en calcul. « Je réussis à faire ceux du cours supérieur en technique. J’avais commencé à apprendre l’Esperanto. Il y avait également du théâtre, du cirque, des mascarades et concours. » Le théâtre fonctionnait deux ou trois fois par semaine, mais les jours où les boches venaient chercher des camarades pour les fusiller, c’était pour remonter le moral des autres et pour prouver aux boches combien nous Français nous avions du courage devant la mort, et que nous resterions unis (…) ».
Il raconte avec verve le succès qu’il remporte avec un jeune copain de Dieppe (20 ans, fusillé peu après) qui était déguisé en « diable rouge » et pourvu d’une formidable paire de cornes en ressorts dans « Le Diable par la queue« .
Il raconte aussi la venue de sa femme et de sa petite fille âgée de 11 ans, venues sans autorisation « qui ne perdait pas de temps sans me dire bonjour et me bourrait les poches d’oeufs, de beurre et de tabac en me disant « cela avant, le reste après » et c’est après qu’un Allemand demanda si elle avait une autorisation (…) ». Il peut encore une autre fois, toujours sans autorisation, embrasser sa femme et sa fille. Après l’évasion du 22 juin, il raconte le bombardement de représailles : « un avion est venu nous arroser de bombes. Nous en avons compté douze. Quelques unes tombèrent sur les bâtiments et nous avons eu 9 morts et ce fut une vraie défaite (pour les Allemands) car cela aurait pu être pire. Dans le camp américain il ne tomba qu’une seule bombe qui fit 2 victimes » (1).
Lire dans le site : Le bombardement du camp de Compiègne dans la nuit du 23 au 24 juin 1942
Il décrit avec précision le départ de Compiègne, les gardes armés qui menacent les habitants, l’état des wagons couverts de 3 cm de poussière de ciment, les maigres rations (1 boule de pain et 3 camemberts).
Il est dans le même wagon qu’Adélard Ducrocq « bon père songeur ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, René Maquenhen est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Dans le convoi, il veut s’évader, mais Adélard Ducrocq le retient, lui montrant le danger qu’il ferait encourir à ses camarades. « Nous arrivâmes près de la frontière allemande. C’est là, quand fut venue la brune, que je voulus passer à travers la lucarne et me jeter sur le bord de la voie. J’aurais pu réussir, car à cet endroit passait un canal, mais je me fis agonir par les copains qui avaient peur d’être sanctionnés en arrivant ». Dans le wagon une moitié des détenus entassés reste debout pendant que l’autre s’assoit, et alternativement. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif. «Une légère pluie tomba. Tous les camarades se précipitèrent vers la lucarne pour essayer de récupérer quelques gouttes d’eau dans les mains. On les léchait ensuite, quoiqu’elles fussent sales. On se disputait même pour avoir une place, mais la pluie cessa».
Il est enregistré à leur arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 (11 heures du matin) sous le numéro matricule « 45.826 ».
Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard. « Les premiers en tête du convoi faisaient la queue tout nus, excepté la ceinture. Nous passâmes 5 par 5 à la tondeuse. Nous fumes complètement tondus, cheveux, dessous de bras et moustaches ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Après 5 jours passés à Birkenau, il est désigné avec la moitié de ses camarades pour retourner au camp central (le futur Auschwitz-1) après l’appel du soir.
Il est affecté au block 19, un Kommando qui travaillait à charrier de la terre dans des wagonnets. « Le régime était aussi bestial qu’à Birkenau » (…) « Un jeune chef de block (…) nous fit mettre sur 10 et nous compta. Puis il fit demander un interprète qui nous traduisit ces mots : « Vous êtes ici avec moi, je suis entièrement responsable de vous. Si vous êtes raisonnables et que vous obéissiez bien, cela suffira peut-être à quelques-uns pour sortir vivants d’ici » (…). Dix minutes s’étaient à peine écoulées que les gars se bousculaient ; ils ne savaient pas où aller pour éviter les coups que donnait le chef de block. Celui-ci riait de bon cœur de nous voir ainsi effrayés. Il se ruait sur nous à coups de canne (…). Puis de nouveau, il nous fit mettre en rangs par dix et nous dit que, pour un seul qui ferait une blague, tout le monde paierait ».
Il est témoin de l’horreur au quotidien, qu’il a décrite minutieusement (lire dans le blog, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz
« De chaque Block sortaient 10, 30, 40 cadavres, morts la nuit pendant leur sommeil des suites des coups reçus la veille, mourants de faim et de fièvre« .
Il est témoin du barbare assassinat d’un déporté Juif (lire son récit L’horrible assassinat d’un déporté Juif ) et du sadisme d’un SS à l’égard de plusieurs femmes, travaillant à la construction des voies de chemin de fer, qu’il fait se déshabiller, harceler et déchiqueter par ses chiens et qu’il achève à coups de pieds.
Dans ce Kommando composé majoritairement de Polonais, où avec Legagne et Gillot, ils sont les seuls Français, il est témoin du vol d’une bouteille de champagne par un Polonais lors du déchargement de caisses en carton. Suspectés par le Kapo, les français nient et refusent de dénoncer le coupable. Sévèrement battus, ils sont expulsés du Kommando.
René Maquenhen se retrouve alors dans un kommando particulièrement dur : il ne lui reste d’autre ressource que de tenter d’en changer, bien que ceci soit formellement interdit (plusieurs « 45 000 » ont pris ce risque) : « Je tombais dans un horrible kommando, appelé à cette époque le « kommando de la mort ». Le travail consistait à transporter des pommes de terre sur la voie de débarquement pour les mettre en silos. (…). Que l’on travaille ou l’on ne travaille pas, on recevait en moyenne par jour 40 à 50 coups de manche de pioche ou de fourche cassée. J’y ai travaillé environ un mois, mais il m’aurait été impossible d’y rester 8 jours de plus. (…). Je me dis : « Si je reste, dans 10 jours, je suis fichu. Je ne peux tomber plus mal. Si je change, j’ai la chance de tomber mieux ». Je cherchais donc à rentrer au block 17 au triage des pommes de terre qui se faisait dans une cave. Mais le premier matin, les Vorarbeiter firent l’appel de leur Kommando et après avoir relevé le numéro matricule de chacun, ils s’aperçurent que c’était moi qui étais en trop. Je fus frappé à coups de pied et de fourche et jeté dehors. Je me mis debout de mon mieux et, après être rentré au block en cachette du chef, je me couchais sur ma paillasse jusqu’au soir. Le lendemain, je retournais au même Kommando, mais au block 15 et procédais autrement. J’arrivais un des premiers et demandais à voir le Vorarbeiter, un Russe, m’expliquais avec lui. Il barra un nom et mit le mien à sa place. Je pus ainsi me retaper pendant 10 jours. Nous recevions une raclée de temps en temps, mais ce n’était rien à côté du dernier kommando« .
Il est affecté aux Blocks 27 puis 13, il travaille au Kommando « Voies ferrées« . En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité d
e correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, René Maquenhen comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du blog « les 45000 au block 11.
Il reçoit le 4 août 1943 la première lettre de sa femme datée du 20 juillet. Celle qui est reproduite ci-contre est la quatrième qu’il a envoyée du Block 11 : « Ta lettre m’a donné à nouveau la vie ». Elle est en allemand (soumise à la censure).
« Ma chère femme et fille. Je te donne réponse à ta lettre du 20 juillet, que j’ai reçue le 4 août. Tu me dis que ce fut un beau jour pour quand tu as reçu ma lettre. Je le crois Dédette et pour moi aussi ta lettre m’a donné à nouveau la vie, surtout de vous savoir en bonne santé. Ma lettre est la quatrième que je t’écris et j’attends le le premier paquet cette semaine. Enfin ma chère femme et fille.
Je veux te dire que dans un temps prochain quelque chose va changer et je pense bientôt venir à la maison et vous revoir, toi et ma chère fille et certainement avant le mariage de Nénée ». Maintenant toujours m’écrire, mais ne m’envoie pas de nouveau paquet jusqu’à ce que tu reçoives une nouvelle lettre de moi. Recevez vous deux, Dédette et Nénée mes meilleurs saluts et meilleurs baisers, ainsi que toute la famille. Ton mari, Chut gaie. P.S. J’ai reçu ta 2ème lettre aujourd’hui ».
Dans cette lettre (2), il fait état d’une libération prochaine… « Avant le mariage de Nénée ». Le bruit a en effet couru que s’ils sont au Block 11, sans être astreints au travail en Kommando, c’est qu’ils vont être libérés prochainement. Il n’en n’a rien été.
Il reçoit, écrit-il, « un paquet toutes les semaines » et le partage avec Gustave Raballand de Nantes « malgré la faim ». Il fait des parties d’échec avec Georges Jourdan de Creil, Francois Viaud d’Amiens et Raymond Montégut de Chatellerault. Mais l’horreur du camp est toujours présente : « Un ordre vint de sortir immédiatement des chambres et de s’allonger dans le corridor. C’était le signe d’une fusillade. Nous avons compté jusqu’à près de 200 le nombre de fusillés en une journée« .
Lire dans le site son récit : Block 11 : René Maquenhen témoigne des fusillades et tortures des civils polonais
Un jour il voit par les fenêtres du Block, une mère et ses deux fillettes à la « promenade » dans la cour située entre le Block 11 et le Block 10. A la suite d’une de ces fusillades il raconte. « Je vis les deux petites se diriger vers la « Trag » où étaient habituellement les vêtements des fusillés. La plus grande, en fouillant, saisit la robe de sa mère. Les larmes jaillirent de ses yeux. Sa maman n’était plus. La plus petite trouva la combinaison. Elle se retourna, prit la main de sa soeur et continua, la tête baissée, à faire la ronde habituelle ». Trois semaines passent. René Maquenhen aperçoit deux paires de petits souliers dans le tas de vêtements entassés dans la cour.
Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos. S’étant fait passer pour menuisier René Maquenhen intègre le Kommando « Menuiserie » de la fin 1943 au mois d’août 1944. Il réussit à y faire venir d’autres Français. Même si le régime est devenu plus « doux » au Block et le travail au Kommando meilleur « il fallait se défendre pour vivre« . Avec quelques camarades il vole des pommes de terre dans les caves des Blocks « il fallait user de « culot » et devant le SS du mirador avec son phare et sa mitraillette, attendre le moment propice (…) Plus d’une fois je me suis vu reprendre connaissance dehors, la figure dans la boue, rempli de douleur, et la figure en sang conséquence des coups reçus« .
Le Kapo de son Block, après l’avoir fouillé, lui vole un jour ses pommes de terre en se moquant de lui « qui lui amène un bon repas », le gifle et le frappe à coups de poings, puis lui administre 25 coups de schlague sur les fesses et le prive de pain.
Il raconte longuement ce qu’il a appris sur les chambres à gaz, l’extermination des Juifs hongrois, celle de leurs enfants de moins de 10 ans brûlés vifs dans des fosses par manque de place dans les chambres à gaz, l’extermination de Tziganes.
Du 3 août 1944 au 29 août il est à nouveau mis en quarantaine au Block 10.
« A l’approche de l’armée Rouge aux portes d’Auschwitz, ils commencèrent à évacuer le camp et divisèrent les Français en 4 groupes« .
Le 29 août 1944, Il est transféré à Sachsenhausen (appelé souvent Oranienburg par les détenus) avec 28 autres « 45000 » : « Nous reçûmes un bout de pain, de saucisson et de margarine pour notre voyage ». Dernière vision du camp. « D’un wagon du train voisin, les SS traînaient des cadavres par les pieds afin de les tasser dans un camion. Ils montèrent même une femme seule, encore vivante mais squelettique sur les cadavres« .
A Sachsenhausen, il raconte comment il essaie de ralentir la production des pièces de fonderie.
A partir du 25 septembre, il est affecté au kommando Siemens de Berlin-Siemenstadt (kommando de Sachsenhausen), avec Henri Marti, Auguste Monjauvis et René Petitjean. « Ce camp était tout récent, il ne comptait que 4 blocks comprenant 700 à 800 prisonniers« .
Il mentionne la présence de 20 Français, « M. de Dainville, Bourguignon d’Abbeville et le « petit camarade Dutertre ».
Il s’agit d’Antoine Dutertre, déporté à 20 ans le 29 juin 1944 à Dachau puis d’autres camps dont celui de Sachsenhausen, photographié ci-contre peu après leur libération.
ll y fait également la connaissance d’un gars de Gamaches (80), Bernard Linquet. Celui-ci, né en 1909 est déporté à Sachsenhausen par le convoi du 24 janvier 1943. Il y sera libéré en mai 1945.
« La vie de ce camp était très dure question nourriture et nous étions fatigués par le travail et les alertes qui tous les soirs interrompaient notre maigre repos. Le matin, le réveil ne se différenciait pas des autres camps. Ils nous sortaient à coups de schlague tous nus pour aller nous laver. En plein hiver, torse nu, il fallait faire sa toilette au robinet ».
A Noël, avec ses camarades Petitjean et Magoire, ils sont à l’initiative d’un arbre de Noël aux Blocks 4 A et B.
Ils sont ramenés en direction de Sachsenhausen le 29 mars 1945. Après deux jours passés au camp Gartenfeld (près de Siemensstadt), ils sont ramenés à Sachsenhausen-Oranienburg le 2 avril 1945. Ils y restent jusqu’au 21 avril. « Le 20 avril 1945, les Russes approchèrent de Berlin. Il fallut préparer l’évacuation. On nous laissa sans manger, il fallut fouiller dans le fumier pour trouver quelques bouts de pomme de terre. Le 21 ce fut le départ. Le matin j’allais voir mon petit camarade Dutertre pour lui dire au revoir. Je le quittais le cœur gros.
Il était à l’hôpital, qu’allaient-ils faire des malades ? » (Antoine Dutertre est libéré le 29 mars 1945 à Dachau).
Il est avec René Petitjean, Magoire et Henri Mathiaud. « On entendait au lointain les mitrailleuses (…) Nous étions obligés de fuir devant ceux qui luttaient pour nous délivrer« . Commence une terrible marche qui dure nuit et jour jusqu’au 3 mai, et qu’il qualifie de « Marche ou crève« . « Ceux qui traînaient recevaient une balle derrière la tête et ils les poussaient dans les fossés. Ce ne fut que le 25 que nous eûmes une grange pour nous reposer« . A cette date ils arrivent non loin de la Baltique, dans la région de Schwering.
Le 1er mai ils voient deux camions de la Croix Rouge internationale qui leur donnent des vivres et des cigarettes et les informent qu’ils seront sans doute libérés la nuit : les Russes ne sont pas loin. Les SS les pressent de partir. La nuit du 2 au 3 mai, ils sont dans les hangars d’un château. La canonnade est proche. Les gardiens SS se sont enfuis pendant la nuit. Les Soviétiques qui les libèrent les installent au château de Traumark « le château est à vous dit le Russe, prenez ce dont vous avez besoin, aménagez une salle pour les malades, d’autres pour vous coucher. Vous avez en face vous 100 bêtes à tuer, plus que vous ne pourrez en manger (…)« . C’est la « vie de château » comme il l’écrit. Certains succombent à ce brutal changement de régime, la « suralimentation » succédant sans transition à la famine Après quelques déboires à cause de chevaux, ils sont conduits le 10 mai par les Russes à la caserne « Adolf Hitler » à Schwerin. Le 12, ils sont remis aux troupes américaines. Le 27 mai, ils sont rapatriés, par le chemin de fer, via Bréda, Anvers et Bruxelles
René Maquenhen revient chez lui par la vallée d’Eu : retour triomphal. A chaque petite station, des cheminots se relaient pour l’accompagner d’une gare à l’autre. Son village est en fête et l’accueille en héros.
« En arrivant à Gamaches, je fus salué par de nombreux camarades qui avaient eu des nouvelles de mon passage par téléphone. A Incheville ce fut la même réception. Je ne fus pas trop surpris de voir mon grand camarade Charles Geste monter dans le train avec moi jusqu’à Eu (…). A Eu, je fus reçu par la grande majorité des habitants de Oust-Marest. Je reçus des bouquets des enfants. C’était un accueil comme aucun autre prisonnier ou déporté ne reçut dans la région (…), feux de Bengale et pétards« .
Il est soigné à son retour par le docteur René Deborie, d’Eu, qu’il tint à remercier pour ses soins et ceux qu’il apporta aux Résistants pendant l’Occupation.
« Je me retrouvai à la maison après 44 mois d’absence. Aucune déception ne m’attendait. Je trouvai ma petite femme qui durant mon exil ne manqua pas de courage. Elle n’abandonna pas la campagne anti-allemande que j’avais toujours menée jusqu’à mon arrestation. A toute heure de la nuit, elle était disponible pour distribuer du matériel et aider les FTP (…) Elle a gagné mon estime politique, c’était en plus de ma femme « une bonne camarade », elle avait également l’estime de la population qui en avait fait une des premières conseillers« .
La cellule remontée par son camarade Hurtelle est baptisée de son nom. On lui propose d’en devenir le secrétaire, ce qu’il décline « n’étant pas bien au courant et puis j’avais trop de travail à faire auprès des familles des copains de la région morts aux camps d’Auschwitz et d’Oranienburg« .
René Maquenhen reprend son travail au dépôt SNCF du Tréport, après cinq mois de repos, le 3 novembre 1945.
En novembre 1945, il est photographié avec son camarade François Viaud, cheminot d’Amiens, rescapé du même convoi.
Il participe avec son épouse Bernadette aux commémorations célébrant la victoire sur le fascisme et le martyr des déportés. Militant de la FNDIRP, il prend la parole lors des cérémonies.
« Pêcheur, il avait baptisé ses barques qu’il avait construites de ses mains « Auschwitz » et « Marche ou crève » avec son matricule » (Patrick Grosjean).
Il rédige un cahier de souvenirs sensibles et documentés, qu’il termine par ces lignes : « Réflexion : on peut faire le bien comme le mal. J’ai constaté qu’un grand nombre d’individus, aussi bien des hommes que des femmes, pouvaient se conduire de façon indigne les uns envers les autres. Des êtres en proie à une méchanceté inimaginable, poussés par on ne sait quel sombre instinct, étaient capables de martyriser des pauvres êtres humains comme eux. La grande loi de fraternité et de douceur était loin. Pourtant, comme tout serait mieux et possible, si chacun pouvait aimer n’importe quel autre mieux que soi-même. S’entraider, tant au point de vue moral, qu’au point de vue de son travail. Même s’entraider jusqu’à la mort« .
Un infarctus l’emporte le 15 mai 1982 à Oust-Marest (Somme).
Son épouse décède le 27 mars 1984 à Oust-Marest.
La photo ci-contre a été prise 3 mois avant sa mort.
Il est homologué « Déporté politique« , reçoit de nombreuses distinctions « Combattant volontaire de la Résistance, etc, etc… et même une médaille russe… Mais pas la légion d’honneur » écrit sa fille Renée Grosjean.
- Note 1 : Les internés restent terrés dans leur chambre, craignant d’être massacrés par leurs gardiens s’ils sortent dans la cour. A leurs yeux, il s’agit d’une mesure de représailles à l’évasion du 22 juin décidée après la venue au camp, le 23 juin, d’Otto von Stülpnagel, Commandant militaire en France (cf. André Poirmeur, Compiègne 1939-1945, 1968, p.128). Lire dans le site : Le
bombardement du camp de Compiègne dans la nuit du 23 au 24 juin 1942 - La lettre d’Auschwitz m’a été envoyée par un collectionneur de Vitry (novembre 2005) qui me confie cette correspondance et m’écrit. « Chère dame. Je suis heureux de vous confier cette « correspondance venue de l’enfer. Votre livre sur les 45.000 est d’une qualité telle que cette missive ne pouvait que revenir entre vos mains. Encore une fois merci d’avoir réalisé un tel travail de mémoire...« . Nous avons rendu cette lettre à son petit-fils Patrick Grosjean, qui nous écrit « C’est avec émotion que je l’ai dépliée ainsi que la traduction. C’est en les tenant en main que j’ai réalisé l’immense valeur sentimentale qu’elles représentent pour nous. Je vous remercie ainsi que le collectionneur qui vous les a restituées pour ce beau geste qui me touche énormément » (31 mai 2018).
Sources
- Cahier de souvenirs de René Maquenhen que m’a confié sa fille Renée Grosjean (4 novembre 1987).
- Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Renée Grosjean le 15 octobre 1987.
- Les récits de René Petitjean recoupent ceux de son camarade, dont il a partagé les derniers avatars.
- « Sachso » p.252
- « Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942 », pages 15, 16, 110, 112, 119, 129 à 131, 149, 154 et 155, 185 et 186, 256, 284 et 285, 314 et 315, 322, 345, 348 et 349, 359, 379 et 412.
- Etat civil de Seine-Maritime.
- Mail de Madame Martine Dégardin (un des frères de René Maquenhen, Marcel, est le grand-père de son mari) qui me
met en rapport avec Patrick Grosjean, fils de Renée Grosjean, fille unique de René Maquenhen (octobre 2017). - Photos de © Patrick Grosjean, petit fils de René Maquenhen, droits réservés (2017). Je le remercie pour sa gentillesse.
- photo de deux lettres d’Auschwitz
Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com