François Viaud  © Patrick Grosjean
Sa carte personnelle de détenu, transfert d’Auschwitz à Flossenbürg

Matricule « 46 190 » à Auschwitz   Rescapé

Francois Viaud, dit « Francis » : né en 1908 à Cordemais (Loire Inférieure / Loire-Atlantique) ; domicilié à Amiens (Somme) ; cheminot ; communiste ; arrêté comme otage le 8 ou 9 mai 1942 ; maison d'arrêt d'Amiens ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Wansleben, Flossenbürg, rescapé, décédé à Amiens le 16 septembre 1982

François, Marie, Michel Viaud, dit « Francis », est né le 19 novembre 1908 au hameau de La Grande Fontaine à Cordemais (Loire Inférieure / Loire-Atlantique). Il habite au 26, rue Dhavernas à Amiens (Somme) au moment de son arrestation. Il indique néanmoins le 274, rue Riolan lors de son transfert au camp de concentration de Weimar-Buchenwald.
Il est le fils d’Augustine Doussin, 23 ans, née le 22 avril 1885 à Basse-Goulaine (Loire Inférieure), décédée le 28 février 1958 à Liévin (Pas-de-Calais), ménagère, puis tailleuse et de François Viaud, 31 ans, son époux, né le 21 août 1877 à Bouée (Loire Inférieure) décédé le 27 octobre 1959 à Paimboeuf (Loire Atlantique).
Son père, sabotier est ensuite employé à la drague à Cordemais. Il a une sœur aînée, Albertine, Francine (1903-1998).
Francis Viaud est employé du Chemin de fer au Dépôt d’Amiens.
Françis Viaud est membre du Parti communiste.
En 1936, il n’est recensé à aucune des deux adresses précitées (la rue Riolan s’arrête alors au n° 123, et comme le n° 274 existe bien de nos jours, cela signifie que la rue Riolan a été prolongée avec des petites maisons d’un étage entre 1936 et 1939.
Après l’interdiction du Parti communiste, il continue d’y militer clandestinement. Il distribue des tracts. Il héberge des clandestins (motifs portés sur sa fiche au DAVCC).

Amiens : chars allemands sur la route de Paris

Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens. Située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris : la ville est un nœud ferroviaire et routier de première importance. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…

Les conditions d’occupation sont très dures. Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.

Une grue de « relevage du matériel accidenté », octobre 1939, RGCF, site Retronews

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1942, une grue de relevage de 32 tonnes est sabotée au dépôt d’Amiens. La plaque tournante du dépôt d’Amiens saute le 11 mai 1942, ce qui paralyse pour longtemps le trafic (témoignage de Noël Baheu, membre de l’OS, responsable des Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP).
A titre de représailles, les Allemands arrêtent au total 37 cheminots du dépôt d’Amiens pour ces deux sabotages.

Francis Viaud est arrêté le 8 ou 9 mai 1942 en même temps que deux autres cheminots. Selon son propre témoignage il s’agit de Fernand Charlot, qui sera déporté avec lui à Auschwitz et de Bernard Boulanger. Sept autres cheminots du dépôt d’Amiens-Longueau arrêtés entre le 3 et le 20 mai seront également déportés à Auschwitz : Roger Allou, Clovis Dehorter, Paul Baheu, Fernand Boulanger, Albert Morin, Georges Poiret, Emile Poyen.
Lire l’article du site: Des cheminots d’Amiens-Longueau dans la Résistance.

François Viaud est transféré rapidement au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». 

Depuis le camp de Compiègne, Francis Viaud est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Francis Viaud est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 190 », qui lui sera tatoué sur l’avant-bras gauche, au début de l’année 1943. Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka en polonais), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi.
Les autres restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il fait partie de ceux ramenés au camp central après l’appel du soir.

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, François Viaud, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz (140 « 45 000 » environ), reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, Francis Viaud est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants.
Lire l’article du site « les 45 000 au block 11
Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".

Le 28 août 1944, il fait partie du groupe de trente et un « 45 000 » qui quittent Auschwitz pour Flossenbürg.
Lire dans le site. En 1944-1945 : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945).

Sa carte de détenu du KL Buchenwald

Il est enregistré au sein d’un groupe de trente et un « 45 000 » au camp de  Flossenbürg le 31 août 1944 : il reçoit le matricule « 19 905 ».  il s’agit de Georges Hanse (45653-19907), Jules Le Troadec (45766-19887), Albert Morel (45895-19885), Louis Paul (45952-19902), Henri Peiffer (45956-19 878), Roger Pelissou (19 908), Etienne Pessot (19 880), Gustave Raballand (19 904), Maurice Rideau (19 888), Mario Ripa (19 884), Jean Rouault (19 890), Georges Rousseau (19 895), Camille Salesse (19 898), André Seigneur (19 892), Stanislas Slovinski (19 883), Stanislas Tamowski (19 886), Jean Tarnus (19 881), Marcel Thibault (19 889), Léon Thibert (19 894), Gabriel Torralba (46264-19900), Lucien Tourte (19 906), Antoine Vanin (19 899), Lucien Vannier (46173-19903), Pierre Vendroux (46184-19 879), Francis Viaud (46 190-19 905). Jean Bach (46217-19882), Roger Debarre (46231-19893), Louis Faure (46234-19896), André Gaullier (46238-19891).

Sa carte de détenu à Wansleben

Le 28 (ou 29) octobre 1944 il est transféré avec 10 autres «45 000 » à Wansleben (kommando de Buchenwald, ouvert en mars 1944, pour la fabrication de pièces pour les avions Heinkel) où il est enregistré sous le numéro matricule « 93 428 ». Ils y arrivent le 1er novembre 1944 . Il s’agit de André Gaullier (93 417), Jules Le Troadec (93 419), Henri Peiffer (93 420), Gustave Raballand (93 418), Maurice Rideau (93 421), Jean Rouault (93 422), Georges Rousseau (93 423), Stanislas Tamowski (93 413), Lucien Tourte (93 425), Lucien Vannier (93 427), Françis Viaud (93 428).

Les « marches de la mort »

Le 12 avril 1945, Wansleben est évacué à marche forcée devant l’avancée des armées américaines. Les « 45 000 » contournent Halle par le Nord.

Francis Viaud est libéré par les troupes américaines avec Jules Le Troadec, Henri Peiffer, Gustave Raballand, Jean Rouault, Georges Rousseau, Stanislas Tamowski, Lucien Tourte et Lucien Vannier le 15 avril 1945, entre les villages de Quellendorf et de Hinsdorf.
Il regagne la France le 25 mai 1945.

Novembre 1945 François Viaud et René Maquenhen

Six mois après son retour de déportation, en novembre 1945, Francis Viaud est photographié avec René Maquenhen, un autre cheminot (habitant Oust-Marest dans la Somme). Ils sont les deux seuls rescapés de la Somme du convoi du 6 juillet 1942, sur 21 déportés.

Manifestation organisée à la Libération par les cheminots du dépôt d’Amiens en hommage à leurs camarades

Francis Viaud est homologué « Déporté politique ». Peut-être figure-t-il – en tenue rayée – sur la carte postale de la manifestation organisée par les cheminots du dépôt d’Amiens en hommage à leurs camarades « livrés par des traîtres » (la photocopie m’a été communiquée par Madame Jacqueline Jovelin, fille de Clovis Dehorter en 1990).

Francis Viaud est mort à Amiens, le 16 septembre 1982.

Sources

  • Carnets de Roger Abada.
  • Lettre de Maurice Rideau (25 février 1982).
  • Familles de 45000 de la Somme (De Horter, Journel)
  • Archives de l’ADIRP d’Amiens : M. A. Lalou.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en novembre 1993, au Val de Fontenay.
  • Photo de Francis Viaud et René Maquenhen © Patrick Grosjean, petit fils de René Maquenhen, droits réservés.
  • Archives du Centre Arolsen.
  • Recensements 1936, Amiens.

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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