Alphonse Rousseau © VRID
Alphonse Rousseau dessin d’Alfred Quinqueneau (1) mai 1942 à Compiègne

 

Alphonse Rousseau : né en 1889 à Neuville-de-Poitou (Vienne) ; domicilié à Châtellerault (Vienne) ; cultivateur,  conducteur de machines outil, décolleteur, marchand de charbon ; syndicaliste, communiste ; arrêté le 23 juillet 1941, interné aux camps allemands de la Chauvinerie, puis de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt, le 21 août 1942.

Alphonse Rousseau est né le 15 février 1889 au domicile de ses parents au lieu-dit Furigny, à Neuville-de-Poitou (Vienne).
Il habite au 16, rue de
 la Tranchée à Châtellerault (Vienne).
Il est le fils d’Honorine Sornin, 39 ans, née en 1850 et de Jean, Baptiste Rousseau 49 ans, né en 1839 cultivateur, son époux.
Il a un frère et une sœur ainés : Adrien, né en 1868 et Alphonsine, née en 1884.
Conscrit de la classe 1909, Alphonse Rousseau est appelé au service militaire le 5 octobre 1910.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Neuville-de-Poitou où il travaille comme cultivateur au moment du conseil de révision. Puis il sera conducteur de machines outil , puis décolleteur (le décolleteur en série des pièces de précision) et enfin marchand de charbon.

Il mesure 1m 64, a les cheveux et les sourcils châtains foncé, les yeux gris, le front ordinaire, le nez et la bouche moyens, le menton rond et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction
primaire développée). Le 5 octobre 1910, il est dirigé sur le 23ème régiment d’infanterie à Châtellerault. Il est nommé caporal le 25 septembre 1911 et
« renvoyé dans ses foyers », « certificat de bonne conduite accordé » le 27 septembre 1912, en attendant son passage effectif dans la réserve de l’armée active (1er octobre 1912).

Le 4 octobre 1913 à Neuville, Alphonse Rousseau épouse Marie, Mathilde Fouqueteau
. Elle est fille de cultivateur, née le 30 mai 1890 à Furigny / décédée le 6 mars 1979 à Châtellerault.

Alphonse Rousseau et Madeleine, in VRID

Le couple a une fille, Madeleine, qui naît le 16 novembre 1914.
Alphonse Rousseau est « rappelé à l’activité » militaire par le décret de mobilisation générale du 1er août 1914. Il est dirigé sur le régiment d’infanterie de Châtellerault (le 32è) qu’il rejoint le 3 août. Son régiment est engagé en Lorraine, puis par Troyes et Euvry, il se retrouve le 7 septembre en bivouac à La Fère-Champenoise, en réserve des régiments du 11è corps d’armé.

Alphonse Rousseau est blessé par balle (plaie perforante à la cuisse gauche) à La Fère-Champenoise, le 8 septembre 1914, au cours d’une attaque éclair allemande : 15 officiers et 620 hommes sont tués ou blessés : 

Combats de La Fère-Champenoise

« Le 8 septembre, vers 3 heures, inattendue, une fusillade violente éclatait à notre gauche. Dix minutes après, elle s’étendait a tout le front, et au bout d’une demi-heure, sans qu’on ait eu le temps de prendre aucune disposition en vue du combat, nous nous trouvions en contact avec I’ennemi, d’une façon inexplicable pour nous. Les balles claquaient de toutes parts, éprouvant particulièrement les cadres » (in historique du 32è RI).
Après son hospitalisation, Alphonse Rousseau est détaché à la
Manufacture d’armes de Châtellerault (n° 219), le 18 juin 1915. Il est classé « service auxiliaire » par la commission de réforme de Châtellerault, le 17 septembre 1915, pour « raccourcissement de la cuisse gauche, suite de brûlure ». Il est maintenu au corps « service auxiliaire » (8 janvier 1916).
Il est envoyé en congé illimité de démobilisation le 21 mars 1919 par le 125è RI.
Il « se retire » à Poitiers au 7, rue du Cuvier. En décembre 1919, il est proposé par la commission de réforme de Poitiers pour une pension permanente d’invalidité de 15 % pour « séquelle de fracture ouverte du fémur gauche au tiers inférieur consolidé avec pied en bonne position, raccourcissement de 3 cm, cal gros et irrégulier, liberté des articulations (suite de blessure par balle)… ». Il est admis à une pension de 365 F en septembre 1920.
En juillet 1919, il habite rue du Sanital à Châtellerault.
Militant syndical : « Alphonse Rousseau était en 1922 secrétaire de l’Union locale des syndicats de Châtellerault (Le Maîtron) et militant communiste : «Très ferme dans ses convictions» écrit Emile Lecointre, il est secrétaire de la section du PCF de Châtellerault.

En mai 1938, il est mentionné comme réserviste à la Manufacture nationale d’armes de Châtellerault, ce qui signifie qu’il y est encore employé. Sans doute licencié après la  grève nationale du 30 novembre 1938 (lancée par la CGT contre les décrets-lois du gouvernement Daladier qui remettent en cause les 40 heures, elle est très minoritaire. Des milliers de licenciements de militants sont prononcés). On sait qu’alors il tient un commerce de
bois et de charbon.
Il devient responsable du syndicat CGT des commerçants et artisans de la ville.
Après l’interdiction du Parti communiste (décret du 26 septembre 1939), il continue à militer dans l’illégalité.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre par la Porte de la Villette dans Paris. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. 3000 Allemands occupent Châtellerault le 23 juin 1940. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Dans le cadre de la réorganisation administrative opérée par Vichy le 19 avril 1941, Poitiers devient la capitale de la «région de Poitiers», qui comprend les départements de la Vienne, la Vendée, les Deux-Sèvres, la Charente et la Charente Maritime.

Pendant l’Occupation, il fait partie (avec André Perrin et Auguste Picard) du groupe qui deviendra le « groupe Blanzat » des FTP de la Vienne.
Il est « un des artisans de la lutte contre l’envahisseur » écrit le journal local lors de l’inauguration de la rue qui porte son nom.
Selon l’attestation d’Albert Marit (déporté le 16 avril 1943 vers Mauthausen, libéré en 1945), Alphonse Rousseau intègre le 6è groupe de l’O.S. (Organisation Spéciale du Parti communiste) de Châtellerault  à la mi-octobre 1940, participant à la propagande anti allemande (impression de tracts ronéotypés et la diffusion de journaux clandestins). En avril 1941, nommé chef de groupe, il contribue au recrutement et à la constitution de dépôts d’armes, d’explosifs et de matériels divers. À l’occasion du 1er mai 1941, il participe à l’organisation de la manifestation lancée contre l’occupant par la distribution de tracts et l’inscription de mots d’ordre sur la voie publique et les monuments de Châtellerault (dont le pont Henri IV). 

C’est à Auschwitz que Charles Limousin a raconté à Maurice Rideau une anecdote de leur clandestinité à l’hiver 1940 : contacté en urgence par Alphonse Rousseau qui lui a donné rendez-vous chez lui « à 19 heures précises« , Charles Limousin se croit victime d’un guet-apens car il se sent suivi rue de Thurée… Après une série de manœuvres destinées à en avoir le cœur net, il se rend compte que son suiveur – qui se croit lui aussi suivi -, est en réalité comme le lui présente Alphonse Rousseau « un camarade venu exprès de Paris pour savoir quelles sont les possibilités d’actions à Châtellerault contre les Allemands (…) Je ne sais pas si Limousin l’a revu par la suite et s’il a su qui il était, mais il ne me l’a pas dit… et par discrétion, je ne lui ai pas demandé« . Peut-être s’agissait-t-il d’Octave Rabaté (Octave, son épouse Maria et René Amand assuraient la direction clandestine communiste dans la Vienne), ou de Boisseau, le représentant du Comité central du Parti communiste à Niort avec lequel les Rabaté avaient repris contact).

Alphonse Rousseau est arrêté le 23 juin 1941 à son domicile par des Feldgendarmen et des inspecteurs français, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich».
Lire dans le site l’article « L’Aktion Theoderich dans la Vienne », sur l’arrestation des 33 militants communistes et syndicalistes de la Vienne. Liste et récits des internements à Poitiers et à Compiègne.

Alphonse Rousseau est transféré au camp allemand de la Chauvinerie-Poitiers, puis au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) le 11 juillet 1941. Il y reçoit le matricule n° « 1189 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Alphonse Rousseau est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro matricule « 46 077 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. De plus, il y a trois déportés du convoi nommés Rousseau et une seule photo correspondant à l’un de ces noms a été retrouvée parmi les 522 photos sauvées par la Résistance du camp de la destruction ordonnée par les SS. Or, il s’agit d’un rescapé, Georges Rousseau, dont nous avons pu comparer le visage avec la photo d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces).
Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il est affecté à Birkenau selon le témoignage de Raymond Montégut. « Il était notre doyen. Pour moi, il était « papa Rousseau« (2).

Alphonse Rousseau meurt à Birkenau le 21 août 1942 d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1031). Sa fiche d’état civil établie en France à la Libération porte toujours la mention «décédé le 15 septembre 1942 à Birkenau (Pologne)». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 27 janvier 1999), ceci étant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site : Les dates de décès à Auschwitz.

Une rue de Châtellerault rappelle sa mémoire (ci-contre, l’inauguration de la plaque de la rue Alphonse Rousseau. Photo coupure de journal). Emile Lecointre, arrêté en même temps que lui, interné à Compiègne, prononça l’allocution.

Son nom et celui des 3 autres Chatelraudais du convoi du 6 juillet 1942 morts à Auschwitz est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie en « Hommage aux victimes de la guerre 1939-1945 de la commune de Châtellerault ».

  • Note 1 : Alfred Quinqueneau, âgé de 44 ans, sera déporté à Sachsenhausen dans le convoi du 24 janvier 1943 (matricule 59255 à Saxo). Il est ensuite transféré dans un camp de Buchenwald (Halberstadt) et libéré à Chemnitz le 7 mai 1945.
  • Note 2 : Si Alphonse Rousseau est bien le doyen des Viennois, le doyen du convoi est Henri Berton, âgé de 56 ans (il est né le 20 juillet 1886).

Sources

  • Témoignages, de Maurice Rideau « 46 056 » (20 oct. 1971) et de Raymond Montégut « 45 892 » (27 novembre 1972.
  • Recherches de Raymond Jamain, de l’ADIRP de la Vienne, arrêté le 23 juin 1941 à Nantes, déporté à Sachsenhausen, (1973).
  • Recherches de Michel Bloch. Historien, professeur honoraire à l’université de Poitiers.
  • Lettre d’Emile Lecointre (23 février 1989) : souvenirs concernant 15 de ses camarades arrêtés avec lui le 23 juin 1941.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 40, p. 376.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Site www.mortsdanslescamps.com
  • © Diaporama journal de la grande guerre : 8 septembre 1914.© André Gadioux et Maurice Pouron « ce que nous avons fait », historique du 32ème RI pendant la campagne 1914-1919 (Tours). P. 8.
  • Site « Vienne Résistance Internements Déportation » (http://www.vrid-memorial.com/), lire les nombreux articles consacrés à cette répression à
    l’encontre des résistants et maquis de
     la Vienne jusqu’à fin août 1944.

Notice biographique rédigée à l’occasion de l’exposition organisée en octobre 2001 par l’AFMD de la Vienne à Châtellerault, complétée en 2011 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com .

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