Lettre jetée sur le ballast par Serge Marteau le 6 juillet 1942

 

Matricule « 45 839 » à Auschwitz

Serge Marteau : né en 1913 à Monthou-sur-Cher (Loir-et-Cher) ; domicilié à l'écluse de Thésée (Loir-et-Cher) ; éclusier ; communiste ; arrêté le 23 juin 1941; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 18 septembre 1942.

Serge Marteau est né le 2 janvier 1913 à Monthou-sur-Cher (Loir-et-Cher). Il habite à l’écluse de Thésée (Loir-et-Cher) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Anne Chipault, 19 ans et d’Édouard Marteau, vigneron, 31 ans, son époux.

Barrage écluse de Talufiau © Robert Malnoury

Serge Marteau est éclusier, employé d’Etat, au barrage-écluse de Talufiau (abîmé par les crues du Cher en 2000, il sera détruit en 2002).

Le 25 août 1935 à Thésée, il épouse Hélène
, Elisabeth, Clémentine Darvaux (acte de naissance de Serge Marteau) (ou Hélène Davaux selon les tables décennales de Thésée, et la date du mariage est le 24 août 1935).
Il est membre du Parti communiste
(information ARAC 41).

La Wehrmacht défile à Blois

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Les 15 et 16 juin 1940, bombardements allemands sur Montrichard, Blois et Vendôme. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 1er juillet, elle passe par le département du Loir-et-Cher en suivant le cours du Cher, de Châtres jusqu’à Chissay (à l’exception de Selles-sur-Cher qui demeure en zone occupée). Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

La carte des« passeurs » de la ligne de démarcation Collection Villa in blog © Tharva

Avec l’Occupation allemande, son écluse se trouve sur la ligne de démarcation. Comme d’autres éclusiers (Doris, Émile Mandar, Pierre Pinon, Jean Sentou, Georges Sirot, Tardiveau), Serge Marteau devient « passeur », c’est-à-dire qu’il fait passer la ligne de démarcation à son écluse. « Les réseaux de résistance belges avec Louisette Carlier-Lambert, ainsi que nombre de citoyens, d’habitants de Monthou, souvent autour de l’abbé Godin ou des FTPF, auront recours à leurs services, pour faire passer la ligne« .
On lira dans le blog de la famille Villa (©Tharva) l’histoire de plusieurs d’entre eux (Émile Mandar, Pierre Pinon, Jean Sentou).


Serge Marteau est arrêté à son domicile le 23 juin 1941
, par des gendarmes français et allemands, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Trois autres militants sont arrêtés le même jour et seront comme lui déportés à Auschwitz : Roger Clément, Francis Gauthier et Clotaire Paumier. Son oncle, Désiré Marteau sera également arrêté  et déporté à Buchenwald (voir plus loin).
Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes et syndicalistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (la Maison d’arrêt de Blois pour les Loir-et-Chérins arrêtés), certains, dont Serge Marteau, sont envoyés sans jugement au camp allemand de Royallieu (le Frontstalag 122), à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.

Liste d’arrestations opérées sur l’ordre des autorités allemandes dans la nuit du 1er au 2 mai (préfecture du Loir-et-Cher).

Selon le document ci-contre, Serge Marteau devait faire partie des arrestations opérées sur ordre des autorités allemandes dans la nuit du 1er au 2 mai 1942 à la suite des événements de Romorantin.
Lire : Romorantin le 1er mai 1942 : un Feldgendarme est tué, un autre blessé. Arrestations, exécutions et déportations .
Mais la Préfecture remarque qu’il est « déjà en prison depuis 10 mois« …

A Compiègne, Serge Marteau reçoit le numéro matricule « 1032 ».
Il figure sur la liste de recensement (décembre 1941) des communistes du camp de Compiègne nés entre 1912 et 1922 « aptes à être déportés à l’Est », en application de l’avis du 14 décembre 1941 du commandant militaire en France, Otto Von Stülpnagel (archives du CDJC IV 198).Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».


Depuis le camp de Compiègne, Serge Marteau est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
.

Lettre jetée sur le ballast par Serge Marteau

Depuis le wagon, Serge Marteau a lancé sur le ballast un petit mot à destination de son épouse. Ce mot, ramassé et posté par un cheminot malgré les risques encourus à cause des consignes allemandes, est arrivé à destination.
Lire dans le site : Les lettres jetées du train. 

L’épouse de Serge Marteau, à la demande de son mari fait savoir à madame Vieugé, épouse de Fernand Vieugé interné comme lui à Compiègne, que leurs maris sont partis travailler en Allemagne et qu’ils sont de 1100 à 1200 du camp (le FT 122).

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Serge Marteau est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 839 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Dessin de Franz Reisz 1946

Serge Marteau meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 (date inscrite dans les registres du camp et transcrite à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 784). Cette date est celle d’une importante «sélection» des «inaptes au travail» destinés à être éliminés dans les chambres à gaz de Birkenau, « sélection » au cours de laquelle près de 150 « 45 000 » ont été assassinés.
Il a été déclaré « Mort pour la France ».
Le titre de « Déporté Résistant » lui a été attribué. 

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Thésée.
Un autre déporté nommé Désiré Marteau est honoré à Thésée : il est né le 27 décembre 1897 à Thésée (et non à Amboise, comme indiqué sur d’autres sites). Il est un des oncles de Serge Marteau (il est le fils de Silvain Marteau et de Marie Augustine Doreau, comme Edouard, le père de Serge).
Il est déporté le 27 janvier 1944 depuis Compiègne à Buchenwald, matricule « 44154 ». Il est affecté au kommando de travail d’Ellrich sur des chantiers dépendants du « Sonderstab Kammler » (creusement de galeries souterraines ou de tous les travaux de génie civil en surface). Il meurt à Ellrich le 28 janvier 1945.

Sources

  • « La Résistance dans le Loir-et-Cher « , Op. édité par l’ANACR en 1964.
  • Liste établie en 1977 par le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, et communiquée à la commission d’histoire de la FNDIRP.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Bureau de la division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (fiche individuelle consultée en juillet 1992).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen).
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Site www.mortsdanslescamps.com
  • ©Tharva

Notice biographique rédigée en février 2011, complétée en 2014, 2017, 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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