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Les déportés juifs du convoi
Birkenau (@ montage photo Pierre Cardon) |
Les cinq premiers convois de Juifs, partis de France en mars, mai et juin 1942 avaient été présentés comme convois de représailles au Commandant militaire en France et au gouvernement de Pétain par les services d’Eichmann, chargés de la déportation et de l’extermination des Juifs.
Extraits de « Triangles rouges à Auschwitz ».
La solidarité à Compiègne envers les Juifs du camp Cp. 94-95
[La] solidarité ne s’applique pas uniquement aux internés du « camp des politiques ». Elle s’exerce aussi en direction des mille Juifs arrivés dans la nuit du 12 au 13 décembre 1941, comme le raconte Jean-Jacques Bernard qui se trouve parmi eux : Les communistes et les Russes (…) furent, les premiers jours, chargés de notre subsistance et marquèrent à notre égard, les uns comme les autres, des sentiments inoubliables. S’il y eut, les premiers temps du moins, des adoucissements à notre sort, c’est à eux que nous les dûmes. Notre ordinaire se composait d’une soupe à midi et nous touchions le soir un quart de boule de pain avec un petit morceau de margarine.(…) Nous eûmes le premier jour cette surprise agréable qui se prolongea une partie de la première semaine. Bien mieux, les communistes, ayant touché suffisamment de légumes, proposèrent de nous envoyer une seconde soupe le soir, comme pour eux-mêmes. Je dois dire que le commandant du camp ne se montra pas inhumain et donna son consentement. Trois jours de suite, nous bénéficiâmes de cette soupe supplémentaire. Puis nous apprîmes qu’elle est supprimée. La Kommandantur de Compiègne, mise au courant, avait interdit cet adoucissement. On entoura notre camp de barbelés. Interdiction de pénétrer chez les politiques et aux politiques de pénétrer chez nous, sauf nécessités de service indispensables. Ces nécessités se firent de plus en plus rares. Notre camp fut transformé peu à peu en camp autonome pour les corvées, pour la cuisine, pour l’infirmerie. (…). Nous perdîmes beaucoup au change ».
La situation déplorable du camp juif inquiète Georges Cogniot : L’état d’esprit n’y est pas bon ; un climat de peur et de désespoir tendait à y prévaloir (…). Nous fîmes passer quelques vivres, des encouragements, des informations, des témoignages de solidarité. (…) Quand vint le jour de Carnaval, nous organisâmes une grande mascarade, mais, comme par hasard, nous nous arrangeâmes pour qu’elle se déroule au fond de la cour, sous les fenêtres du camp juif. Les détenus de ce camp, d’abord surpris, goûtèrent fort le divertissement ; ils se pressaient aux fenêtres et applaudissaient. Quant aux Allemands, ils mirent une heure avant de s’apercevoir que nous nous jouions d’eux et que nous tournions en dérision l’interdiction d’avoir des rapports avec les Juifs ; quand ils intervinrent pour nous disperser, la fête est finie. Ce défilé est décrit par Maurice Foubert à la date du dimanche 15 mars 1942. Douze jours plus tard, la quasi-totalité des internés juifs est déportée à Auschwitz.
Les Juifs rapidement décimés après leur arrivée à Auschwitz p. 145-146
Les victimes les plus menacées par [les] actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les 51 « 45 000 » morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l’arrivée, 34 d’entre eux avaient perdu la vie (soit 68 % de leur nombre total) ; dans le même temps, 142 « 45 000 », appartenant aux autres catégories d’otages, avaient disparu, soit 13 % d’entre eux.
La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des « 45000 » rescapés :(Un) malheureux Juif qui, complètement dérouté, ne retrouvait plus sa colonne est jeté à terre par un brusque croche-pied d’un chef de block ; il se relève, tente de fuir et se trouve entravé dans sa course par une pierre lancée à toute volée qui l’atteint en pleine tête. (…) Il s’affaisse, mais (…) sachant qu’il serait achevé s’il tombait, il tente de poursuivre sa route. Son bourreau vivement le rattrape et tout chancelant, il est jeté dans un fossé qui longe le block. Presque mourant, les mains jointes et à genoux, il implore une ultime pitié. Un nouveau coup de pierre, en plein visage, est la réponse à sa lamentable prière. Il s’écroule alors tout sanglant dans le fossé. Nous fûmes alors tous témoins de cette chose inouïe : un de ces sadiques du meurtre prit une énorme pierre et acheva d’écraser la pauvre tête sanglante (Raymond Montégut).
Un soir, (…), le Blockführer du 22 A (au camp principal), d’accord avec le nôtre et (…) avec les deux (détenus) chefs de block, décidèrent de passer tous les Juifs des deux blocks à la bastonnade. Dès l’appel du soir terminé, les malheureux durent se mettre en colonne par un et monter dans une des grandes chambres du grenier. Tous les lits avaient été poussés pour laisser au milieu de la chambre un espace libre de la superficie d’un ring (…). Les portes étaient largement ouvertes et, de chaque côté, les chefs de chambre qui s’emparaient d’un Juif poussaient aussitôt celui-ci vers le ring sur lequel se trouvaient le SS du block et les deux chefs, tous les manches retroussées et le bâton en main. La danse infernale commença : les coups pleuvaient et le malheureux devait sauter ; s’il s’écroulait, il était relevé à coups de pied (…) Nous dûmes quitter la chambre sous l’empire d’un indicible écœurement et d’une colère d’autant plus violente qu’elle était impuissante(Raymond Montégut).
Au block 8-A, Franck, détenu politique polonais, avait pour distraction favorite de faire revivre les antiques combats de gladiateurs :Les Juifs étaient les éternelles victimes désignées : deux malheureux devaient se battre jusqu’à ce que mort s’en suive. C’étaient de farouches corps-à-corps, poings et dents constituaient les armes. Le sang giclait de tout côté, les cris de souffrance remplissaient la chambre et, chose horrible entre toutes, autour, (…) des hommes riaient et applaudissaient.(..) Le vainqueur recevait en récompense un miski de soupe ou une portion de pain volée à la collectivité. Un pauvre Juif polonais qu’on nommait le « Feldwebel » était un de ces pitoyables héros. Malheur à celui qui aurait refusé le combat, il aurait été battu jusqu’à la mort, séance tenante(Raymond Montégut).
Des scènes analogues se déroulaient à Birkenau :Le chef du block 5, un bandit allemand interné pour avoir commis plusieurs crimes, était dans les camps depuis 13 ans. Ce n’était plus un homme, mais une véritable bête enragée ne pensant qu’à tuer. Sa voix était déformée et, de sa gorge, ne sortaient que des sons bestiaux. Le matin, il ne voulait pas absorber son petit déjeuner avant d’avoir tué 11 juifs. Oui 11, c’était son chiffre et le soir, il ne se couchait pas avant que 40 hommes ne soient allongés devant son block(Georges Dudal).
Lire aussi dans le blog : Trois « 45 000 » assistent à l’ouverture des portes d’une chambre à gaz
Note 1 : Dans le cadre
de son considérable travail mémoriel, Serge Klarsfeld a numéroté tous les
convois raciaux partis de France à direction d’Auschwitz, en reprenant les
numéros attribués par les Nazis. Les convois n° 1 et 2 sont partis les 27 mars
et 5 juin 1942 de Compiègne. 67 autres partiront de Drancy, 5 de Pithiviers, 2
de Beaune la Rolande et 1 de Lyon. Mais
on trouve dans les listes du Mémorial de la Shoah, un numéro – le n°
451 sans précision de sa date de départ – qui correspond au convoi du 6 juillet
1942. S’il s’agit d’un convoi composé pour l’essentiel d’otages politiques,
leur déportation s’inscrit dans le cadre de la politique allemande des otages
contre le « judéo-bolchevisme » qui s’applique directement aux
convois n° 1 et 2. Il comprend de plus 50 otages Juifs déportés comme tels, et
sa terrible mortalité (89 %) est proche de celle des convois raciaux. Il eut
certainement mieux valu ne pas le numéroter, car ce numéro 451 introduit une
confusion dans la chronologie : il est en effet historiquement le 3ème convoi
parti de Compiègne pour Auschwitz, et le 6ème des convois
partis de France pour Auschwitz selon sa date de départ.