Robert Levilion, caricature faite par un de ses anciens élèves au lycée de Poitiers

Matricule « 46 294 » à Auschwitz

Robert Levilion : né en 1906 à Paris 14è ; domicilié à Bordeaux (Gironde) ; professeur de philosophie ; anti nazi, sympathisant gaulliste ; arrêté le 16 décembre 1941 ; interné au fort du Hâ, puis à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 18 juillet 1942

Robert Levilion est né le 10 mai 1906 à Paris 14è.
Il habite Bordeaux (Gironde) au moment de son arrestation
Il est reconnu par le mariage de ses parents le 28 octobre 1906, fils de Marie, Joseph Gérard, 26 ans, vendeuse en modes, domiciliée 29, rue de Turin et de Baruch, Marcel, Salomon Levilion.
Né d’un père juif et d’une mère catholique, il est élevé dans la religion catholique, qu’il pratique régulièrement.
Conscrit de la classe 1926, il est ajourné à plusieurs reprises par le conseil de révision de la Seine.
Etudiant à la faculté des lettres de Paris, il habite alors au 12, rue Erlinger à Paris 16è (1).
Il est reçu troisième sur onze lauréats au concours de 1930 de l’agrégation de philosophie. Le deuxième est Maurice Merleau-Ponty (qui sera un philosophe renommé)…

Annuaire de l’amicale des anciens élèves de la faculté de Paris, années 1930 à 1935

Robert Levilion est nommé « professeur stagiaire » au Lycée de Charleville (Ardennes), puis titularisé « professeur de l’enseignement secondaire » le 1er mai 1932.
Il habite alors au 29, quai du Moulinet (devenu quai Arthur Rimbaud) à Charleville.
Il est muté au Lycée de Poitiers (Vienne), le 1eroctobre 1937. Il y habite au 15, rue des Ecossais.
Il enseigne dans une classe de Terminale littéraire (“Philosophie”) et dans une classe de Terminale scientifique (“Mathématiques Elémentaires”).
Des anciens élèves se souviennent de lui. M. Geoffroy De Clercq (résistant, déporté à Buchenwald-Wansleben), qui fut son élève à Poitiers, m’a transmis cette caricature « ma foi assez ressemblante » écrit-il.
Il le dit « germanophobe, anglophile, gaulliste« . Il aurait été atteint de poliomyélite « il avait une patte folle » dit-il.
En mars 1940, Robert Levilion est réformé définitif n°2 en raison de sa boiterie et de problèmes de vision.

Sentinelle allemande à Bordeaux

En mai et juin 1940, Bordeaux subit des bombardements quotidiens. Il y a plus d’un million de réfugiés en Gironde. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées.  Bordeaux est déclarée ville ouverte par le maréchal Pétain. Le 27 juin les premiers détachements allemands traversent la ville. Le 28, le général Von Faber du Faur installe l’administration allemande dans les grands hôtels du centre-ville et la Feldkommandantur à la cité universitaire. La ligne de démarcation coupe le département en deux.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Dès le début de l’Occupation, Robert Levilion tient des propos hostiles aux théories nazies pendant ses cours. Le premier octobre 1941, il est nommé professeur au lycée Montaigne de Bordeaux (Gironde), où il retrouve le même service d’enseignement de la philosophie (classes de Philo et de Mathématiques Elémentaires).

Il est arrêté à son domicile le 16 décembre 1941, pour «attitude anti-allemande et propagande gaulliste» et interné au camp de Mérignac (Gironde), puis au fort du Hâ, à Bordeaux.

Dans la nuit du 26 au 27 mai 1942, il est remis aux autorités allemandes à leur demande qui le transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage (il y arrive en même temps que Louis Abel de Bordeaux). Il y reçoit le matricule « 5968 ».
Il est affecté au camp C – le camp des otages juifs – bloc 2, chambre 6.

Il est mentionné à deux reprises dans le journal de l’avocat à la Cour d’appel François Montel, dans une de ces phrases sans nuance qui émaillent ses récits concernant les otages juifs (Levillion sanglote et s’indigne à l’idée qu’il doit partir (p.57) ou encore « Lévillion giflé par « Gueule d’Ange »  un gardien allemand, devient maboul« .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942 

Depuis le camp de Compiègne, Robert Levilon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Robert Levillion est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46.294 »Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont les 53 Juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement dans les marais et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Robert Lévilion meurt à Auschwitz le 18 juillet 1942, d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 716).
Il est parmi les premiers morts des “45 000”, sans doute le troisième d’après David Badache.

David Badache, «46 267», rescapé du convoi, a raconté l’assassinat d’un déporté, qui est peut être Robert Lévilion. «Le 9 juillet 1942 – le lendemain de notre arrivée – nous sommes transférés du camp principal à Birkenau. Pendant le trajet, les SS séparent les déportés de notre convoi qui parlent allemand, environ 200. Ils ridiculisaient chacun selon sa profession. Ils accompagnent leurs injures d’un coup de cravache. Le tour arriva au professeur de théologie (philosophie). Il cria “Vive de Gaulle”. Aussitôt il est abattu par un SS d’un coup de pistolet». On ignore si ce déporté est décédé ce jour là, ou si, grièvement blessé il a été conduit au Krankenrevier (l’infirmerie). Si c’est le cas, il peut alors s’agir de Robert Lévilion.

Lire dans le site les articles : Liste des Juifs du convoi et Les Juifs rapidement décimés après leur arrivée à Auschwitz

Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération a été modifiée à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 19 mars 1995). Mais seulement en « décédé le 11 juillet 1942, et non le 6 juillet 1942 à Compiègne ».
Une modification complète était pourtant possible depuis la parution de
l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le blog Les dates de décès à Auschwitz. On notera par ailleurs que la date de naissance qui est indiquée sur le J.O. est celle du 12 mai 1906. Toutefois, sa date de naissance pour l’Education nationale et celle qu’il donne à Auschwitz est bien celle du 10 mai 1906.

1943 : triste ironie de l’Histoire. Une lettre du directeur de l’Enseignement secondaire (M. Pierre Chenevier) en date du 22 mars 1943, à la chargée de mission au cabinet du ministère de l’Education nationale (Mlle Maurel) concernant « les professeurs juifs dans le secondairerelevés de leurs fonctions ou en instance », fait état de deux professeurs juifs réintégrés dans leurs fonctions, et de 19 autres professeurs (dont Robert Levilion) qui sont « en instance suite à une demande de dérogation après avoir cessé leur fonction » (in CDJC cote CVIII-29).

Le 12, rue Erlinger, Paris 16

Le décret du 29 novembre 1946 lui attribue la Médaille de la Résistance, à titre posthume.
Le nom de Robert Lévilion figure sur les plaques commémoratives du personnel du lycée Montaigne de Bordeaux. Il a été déclaré « Mort pour la France ».

  • Note 1 : Le 12, rue Erlinger. Concernant cette adresse à Paris, il s’agit d’un immeuble qui est vraisemblablement propriété de la famille Levilion. On trouve en effet mention de l’expropriation de M. « Levilion » par « aryanisation économique  » en 1942, à la suite d’enquêtes de « l’Institut d’étude des questions juives ».
    Rapport du 23/04/1942 du Capitaine Paul Sézille, secrétaire général de l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ) : « L’administrateur provisoire Monsieur Jouve est censé s’occuper de l’affaire de Monsieur Levilon, or il ne semble pas qu’il le fasse et Paul Sézille soupçonne fortement cette affaire de camouflage d’autant qu’il trouve « assez curieux » que Monsieur Levilon soit concierge de son propre immeuble. Il est également question d’une locataire, Mademoiselle Boyer, qui ne paye pas son loyer ». Lettre du 13/05/1942 du Commissariat général aux questions juives (CGQJ) au Capitaine Paul Sézille, secrétaire général de l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ) au sujet de « l’aryanisation économique » de l’immeuble de Monsieur Levilon : « L’immeuble de Monsieur Levilon, 12 rue Erlanger, Paris, est dorénavant géré par Monsieur Guasparre, administrateur provisoire ». In CDJC : cote XIc-736.
  • Note 2 : François Montel et Georges Kohn / in journaux de Drancy et Compiègne, édités par « Les fils et filles des déportés juifs de France ». François Montel est arrêté le 23 août 1941. Il est le représentant des internés auprès des autorités du « camp Juif » de Drancy. François Montel est destitué de sa représentation des internés par ordre de Dannecker, et transféré à Compiègne le 29 avril 1942. Il est ramené à Drancy et déporté à Auschwitz le 26 août 1942 (convoi n°24), où il meurt.

Sources

  • Correspondance avec M. Geoffroy de Clercq, ancien élève de Robert Lévilion, à Poitiers, résistant, déporté à Wansleben, qui a rencontré le Proviseur du Lycée Montaigne de Bordeaux et recueilli de précieuses informations auprès de celui-ci.
  • David Badache, entretien avec Claudine Cardon-Hamet.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés dans le camp.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Bulletins et annuaires de l’Amicale des anciens élèves de la faculté des Lettres de Paris.

Notice biographique rédigée en novembre 2010 (modifiée en 2011, 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées du site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Un Commentaire

  1. Un paragraphe du livre « le temps de l’école » de Louis Tamain, p 233 à 236, parle du passage de Robert Levillon (Levillon dans cet ouvrage) et met en lumière l’humanité de ce professeur.

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