Matricule « 45 879 » à Auschwitz
Charles Migeot : né en 1889 à Larivière-sur-Apance (Haute-Marne) où il habite au moment de son arrestation ; charpentier ; arrêté comme otage communiste le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 31 août 1942
Charles Migeot est né le 4 avril 1889 à Larivière (Haute-Marne). Au moment de son arrestation, il habite cette commune qui a pris le nom de Larivière-sur-Apance en 1924 (et Larivière-Armoncourt depuis 1973).
Il est le fils d’Adeline Migeot, âgée de 40 ans, vigneronne. Elle est veuve.
Lors du conseil de révision, Charles Migeot habite chez sa mère à Larivière.
Il y travaille comme charpentier, scieur de long.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 63, pèse 60 kg, a les cheveux noirs, les sourcils châtain, les yeux gris, le front découvert, le nez moyen, le menton rond, la bouche grande et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1909, Charles Migeot est incorporé 5 octobre 1910 au 152ème régiment d’infanterie, où il arrive le même jour. « Certificat de bonne conduite accordé », il passe dans la réserve de l’armée le 27 septembre 1912.
En mars 1913, il habite Bondy (Seine), au 7, rue du Chêne rond, puis place de la République chez M. Courageux.
En décembre, il a changé de pension et habite 75, rue nationale à Livry-Gargan, chez M. Lugue.
En janvier 1914 il déménage au 32, rue d’Aubervilliers à Paris 19ème, tous ces lieux étant proches des gares.
En avril 1914, il travaille aux Chemins de fer de l’Est : il est classé de ce fait « affecté spécial » en cas de mobilisation. Avec le décret de mobilisation générale du 1er août, il est considéré comme mobilisé sur son lieu de travail au titre des sections de chemin de fer de campagne du 2 août 1914 au 31 juillet 1919.
Le 3 juin 1916, Charles Migeot épouse Marie Rose Porte à Paris 18ème. Fille de vignerons, elle est née le 25 octobre 1892 à Larivière, où elle est domiciliée. Charles Migeot est domicilié alors au 9, rue Caillé à Paris 10ème.
Le couple a trois enfants : René (né le 6 octobre 1918), Alfred (né le 20 janvier 1920) tous deux nés à Paris, et Ginette (1933).
En juillet 1927, ils habitent près de la gare de Langres.
D’abord affecté pour la réserve militaire au Régiment d’infanterie de Langres, caserné à Gérardmer (Vosges), Charles Migeot est à nouveau classé comme « affecté spécial » aux Chemins de fer de campagne.
Puis il est retraité de la SNCF. Son fils aîné René est apprenti au centre de formation des chemins de fer de Chalindrey (Haute-Marne), puis chaudronnier aux ateliers du dépôt SNCF. Il est adhérent des Jeunesses communistes dès l’âge de 14 ans (cf. notes 1 et 2). Il est vraisemblable que son père ait été lui aussi membre du Parti communiste
Père de famille de trois enfants, Charles Migeot est ramené de ce fait de la classe 1909 à la classe 1903. Il n’est donc pas mobilisable à la déclaration de guerre en 1939.
Le 10 mai 1940, la Luftwaffe bombarde le terrain d’aviation de Saint-Dizier et la ville de Joinville. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Saint-Dizier. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 tout le département de la Haute-Marne est occupé. Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. La Haute-Marne est coupée en deux : l’est devient « zone interdite », destinée au repeuplement allemand comme le veulent les nazis, ou à la création d’un Pays Thiois ou Grande Flamande (comme le revendiquait le mouvement irrédentiste flamand), l’ouest se transforme en territoire de stationnement des troupes de la Wehrmacht. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 28 août 1941 René Bousquet, Préfet de la Marne nommé par Pétain en 1940, est nommé Préfet régional de la région de Châlons-sur-Marne (Marne, Haute-Marne et Aube). Il donne des instructions très précises pour la surveillance des « menées communistes ». En septembre 1941, avec l’institution de la « politique des otages », les autorités allemandes se font remettre les notices individuelles des communistes arrêtés et incarcérés par la police française. On lira sur le net les articles consacrés à Bouquet par Jean-Pierre et Jocelyne Husson : « René Bousquet et la politique vichyste d’exclusion et de répression ».
Charles Migeot est arrêté le 22 juin 1941 (« pour motif purement politique » témoignent après guerre l’instituteur et sa voisine) par la police allemande, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.
D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (la prison de Chaumont pour la Haute-Marne), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122, administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”. La liste d’Arrestation pour la Haute-Marne (LA 2667) porte la mention « comme communiste ».
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Charles Migeot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau. <
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45879 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Charles Migeot meurt à Auschwitz le 31 août 1942 d’après les registres du camp (Sterbebücher von Auschwitz (registre des morts).
Pour Armand Saglier, rescapé n° « 46 085 », il serait mort du typhus fin septembre. C’est cette date, sans doute inexacte, que retient l’arrêté du 18 septembre 1995 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès paru au Journal Officiel du 21 décembre 1995 : « décédé en septembre 1942 à Auschwitz ».
Charles Migeot a été déclaré « Mort pour la France ». Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Son nom est honoré sur le monument aux morts de Larivière-sur-Arpance.
Parmi ses enfants, son fils Jean-Alfred Migeot, employé SNCF à Langres, militant communiste, a été arrêté en septembre 1943 près de Lyon puis déporté à Dachau. Il est décédé au Kommando de Leitmeritz. Un autre fils également engagé dans la Résistance, René, a été fusillé à Bordeaux. Quant à son épouse Marie-Rose, elle aussi arrêtée, elle a été emprisonnée à Châlons-en-Champagne mais échappera à la déportation… (in Facebook © Club Mémoires 52).
- note 1 : René Migeot est né à Paris 10ème : chaudronnier aux Chemins de Fer Français. Il adhère aux Jeunesses communistes et au Parti communiste à l’âge de 14 ans. Il y milite activement et exerce de nombreuses responsabilités. Après le démantèlement des structures FTPF de la région bordelaise, dans le courant de l’année 1942, commandant des FTP en Champagne / Bourgogne, recherché dans cette région, est envoyé à Bordeaux en qualité d’inter-régional militaire (…) Il organise les opérations importantes dans toute cette zone : déraillements sur la ligne de ceinture de Bruges, déraillement d’un train de matériel allemand près d’Angoulême, sabotage à la bombe de deux navires dans le port de Bordeaux, câbles souterrains sectionnés près de Bayonne. Il est condamné à mort le 20 janvier 1944, par le tribunal allemand et fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge. Sa compagne Alice Cuvillers est déportée à Ravensbrück. Extraits in Association du souvenir des fusillés de Souge.
- Note 2 : Alfred Migeot, né le 22 janvier 1920 à Paris, a été déporté en 1944 à Flossembourg. Il est porté décédé au camp de Leitmeritz le 1er février 1945. Leur mère a aussi été internée pendant la guerre. in Association du souvenir des fusillés de Souge.
Sources
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Bureau des archives des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1992).*
- © « Club Mémoires 52 », association de recherches historiques consacrées au département de la Haute-Marne, créée, en 1991, par Jean-Marie Chirol (1929-2002). Les déportés Haut-Marnais. Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 38.
- Site internet Mémorial «GenWeb ».
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- © Archives en ligne : Etat civil et Registres matricules militaires de Haute-Marne.
- Photo avec son père © Ginette Motton in jhm | Une famille de résistants cruellement éprouvée.
Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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