Léon dit Fernand Toussaint : né en 1896 à Houdelaucourt-sur-Othain (Meuse) ; domicilié à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle) ; cheminot ; communiste ; arrêté comme otage communiste le 20 février 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 20 octobre 1942
Léon, Adolphe, Fernand Toussaint est né le 30 janvier 1896 à Houdelaucourt-sur-Othain (Meuse), commune rattachée depuis 1973 à Spincourt.
Il habite au 4, avenue de la République à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Julie Aubry, 37 ans, sans profession et de Émile, Pierre, Toussaint, 37 ans, charpentier, employé de chemin de fer, son époux, né le 7 mai 1859 à Lahaymex (Meuse).
Son registre matricule militaire indique qu’il habite à Saint-Hilaire d’Ozilhan (Gard) au moment du conseil de révision et y travaille comme ouvrier d’usine (il est vraisemblable que sa famille ait été évacuée et déplacée au moment de l’occupation allemande de 1914).
Fernand Toussaint mesure 1m 67, a les cheveux marron, le front moyen, le nez rectiligne et le visage rond. Conscrit de la classe 1916, Fernand Toussaint est déclaré « bon pour le service » et comme tous les jeunes hommes de sa classe le sont après la déclaration de guerre d’août 1914, il est mobilisable au début de l’année 1915.
Il est mobilisé le 9 avril 1915 au 147è Régiment d’infanterie, où il arrive le jour même. Il passe à la 25è compagnie le 5 juin 1915. Le 5 décembre 1915, il « passe » au 87è Régiment d’infanterie engagé dans la campagne de Champagne, puis dans la Somme en 1916. Le 1er août 1916 il passe à la 1ère compagnie de celui-ci. Du 7 septembre au 8 octobre 1916, il est malade, sans doute hospitalisé (pluie, froid, boue et bombardements à obus toxiques dans cette période selon l’historique du régiment).
En 1917, le 87è est à Verdun et engagé dans la Somme en 1918. Le 23 juillet, contre-attaque du 87è au bois des Arachis.
Fernand Toussaint est cité à l’ordre du régiment le 1er août 1918 «Mitrailleur d’une bravoure exceptionnelle et d’un très grand sang-froid à l’attaque du 23 juillet a contribué par son tir précis à la destruction d’un nid de mitrailleuses ennemie qui gênait la progression de son bataillon ». Il est décoré de la croix de guerre, étoile d’argent avec palme (décret du 14 août 1918). Il est démobilisé le 31 août 1919 et mis « en congé illimité de démobilisation » par le dépôt du 147è RI, « certificat de bonne conduite accordé » le 2 septembre 1919. Fernand Toussaint « se retire » à Blagny, canton de Mézières (Ardennes).
Le 6 juin 1920, il a déménagé à Nouvion-sur-Meuse,où se situent des ateliers ferroviaires de la compagnie des chemins de fer de l’Est où il a été embauché. Pour l’armée (le 5 août 1920), cet emploi le fait alors « passer » dans la réserve de l’armée active, aux chemins de fer de campagne en tant qu’« Affecté spécial » (il sera mobilisé à son poste de travail en cas de conflit).
Le 9 octobre 1920, Fernand Toussaint épouse Marie-Claire Dujardin à la mairie de Blagny. Elle est née en 1896 à Blagny. Le couple a un garçon, Pierre, qui naît en 1926 à Audun-le-Roman (il est décédé en 2000 à Audun-le-Roman, où il fut adjoint au maire).
Fernand Toussaint est chef de train à la Compagnie des chemins de fer de l’Est, à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle).
Il est délégué CGT. Membre du Parti communiste, il est secrétaire de la cellule communiste d’Audun, qui compte une vingtaine d’adhérents.
Fernand Toussaint est élu en 1935 conseiller municipal de cette ville.
En 1936, la famille habite au 3, rue de la République.
Au début juin 1940, l’armée allemande occupe Audun-le-Roman, et Auboué le 17. La Kommandantur est installée dans le logement de la directrice d’école, au dessus de la mairie. Puis elle sera installée à Briey.
Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée. Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).
Fernand Toussaint est «travailleur requis sur place». Il appartient au réseau Résistance-Fer et selon son dossier au DAVCC « avait facilité et convoyé des prisonniers de guerre évadés dans le fourgon du train dont il assurait le service« .
La résistance communiste est particulièrement active dans le « Pays-Haut » (in Magrinelli, Op. cité pages 229 à 251). Outre une spectaculaire action la nuit du 13 au 14 juillet 1941 (un drapeau tricolore de 4 mètres sur 4 fixé sur un pylône installé non loin du viaduc traversant Auboué, inscriptions hostiles à Vichy, à l’Allemagne ou appelant à adhérer la Jeunesse Communiste…) la résistance communiste, délaissant les incendies de récoltes, impopulaires, entreprend des sabotages. Dès le 18 septembre 1941, la préfecture relève des actes de sabotages sur la voie ferrée stratégique entre Meissein et Neuves-Maisons, le 18 novembre sabotage de signalisations à Chanteheux sur la ligne Paris-Strasbourg, freins d’un wagon coupés à Homécourt le 22 novembre. A chaque fois les autorités allemandes réagissent en punissant l’ensemble de la population ouvrière (à Homécourt, la Feldkommandantur annonce que les ouvriers seront exclus de la distribution de chaussures que devait faire la Préfecture ».
Le sabotage du transformateur d’Auboué, entraîne une très lourde répression. Lire dans le site :
Meurthe et Moselle Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué (février 1942).
Speidel à l’Etat major du MBF annonce qu’il y aura 20 otages fusillés et 50 déportations.
C’est dans la suite des 20 premières arrestations que Jean Manon et Léon Toussaint sont arrêtés. Tous deux sont cheminots, suspectés d’être communistes et d’être de possibles auteurs de sabotages.
Le 20 février 1942, il est arrêté par la Gestapo, comme Jean Manon, son collègue de travail.
La sœur de Jean Manon, Ida, en a témoigné. « J’étais ce jour là en visite chez mes parents. Il était 17 h, 17 h 30 et mon frère Jean venait de rentrer, son travail étant terminé. Un autobus dans lequel setrouvaient deux personnes d’Audun s’est arrêté devant la maison de mes parents. J’ai reconnu M. Toussaint. Deux militaires sont entrés dans la maison. L’un d’eux a demandé Jean Manon. Ma mère a dit « qu’y a-t-il ? Reviendra-t-il aujourd’hui ? Il lui a été répondu « Nix retour ». Mon frère a protesté, disant « je n’ai rien fait ».
Fernand Toussaint et Jean Manon sont écroués à la prison de Briey du 20 au 24 février, puis internés le 24 février au camp d’Ecrouves.
Marie Toussaint y obtient une autorisation de visite. Le 5 mars, ils transitent par la prison de Toul pour être remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci les internent le 5 mars 1942 au camp allemand de Royallieu à Compiègne, en vue de leur déportation comme otage.
A Compiègne il reçoit le numéro matricule « 3768 ».
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Fernand Toussaint est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Léon Toussaint meurt à Auschwitz le 20 octobre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1280). Lire dans le présent site l’article : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «en décembre 1943 à Birkenau». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du Journal officiel du 3 janvier 2001). Ceci était pourtant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995. Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué (il est homologué au titre des Forces Françaises Combattantes (FFC) constituées des agents des réseaux de renseignement, d’action et d’évasion.
Le titre de «Déporté résistant» lui a été refusé au motif : « pas arrêté en raison de son appartenance au Mouvement de Résistance-Fer « .
Son nom est honoré sur le monument commémoratif d’Audun, et une rue de la ville rappelle sa mémoire.
Son nom a également été donné à une salle municipale dans la rue éponyme.
En 1992, c’est son fils, Pierre Toussaint, qui répond à ma demande de renseignements : il est adjoint au maire communiste, Hubert Devèze, conseiller général.
Sources
- Mairie d’Audun le Roman (mars 1992), réponse remplie par Pierre Toussaint, adjoint au Maire.
- Témoignage de Giobé Pasini (rescapé du convoi).
- Lettre de son fils, Pierre Toussaint (10 mars 1992).
- Témoignage de Madame Ida Schmidts, sœur de Jean Manon.
- Liste Magrinelli.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen, juillet 1992.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom et Tome 42, page 290.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Registre matricule militaire.
- Photo du Monument aux morts d’Audun : M. Régis Lenoble.
Notice biographique rédigée en 1997, pour la conférence organisée par la CGT et le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997, complétée en 2015, 2018, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000.
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