Léon Lecrées au CSS de Gaillon, le 29 octobre 1941

Matricule « 45 755 » à Auschwitz

Léon Lecrées : né en 1888 à Cherbourg (Manche) ; domicilié à Equeurdreville (Manche) ; retraité de l’Arsenal de Cherbourg ; militant Cgt et communiste ; arrêté le 19 septembre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt le 15 août 1942.

Léon Lecrées est né le 13 juillet 1888 à Cherbourg (Manche).
Au moment de son arrestation il habite rue Félix Faure à Equeurdreville (Manche).
Il est le fils d’Henriette Abraham, son 32 ans et de  Louis Lecrées, 33 ans, charpentier, son époux. Il a un frère aîné, César (1881-1950) et deux autres décédés l’année de leur naissance (1882 et 1885).
Conscrit de la classe 1908, il effectue son service militaire de 1908 à 1910.

Il épouse Élizabeth, Juliette, Abraham le 5 avril 1913 à Carteret (Manche). Elle est née le 8 mars 1894 à Carteret.  Placé dans la réserve de l’armée active, il est mobilisé à la déclaration de guerre le 3 août 1914 (matricule 1020) au 1er Régiment d’infanterie coloniale à Cherbourg.

Engagé avec son régiment en Argonne, Léon Lecrées est blessé le 26 septembre 1915, lors de la bataille de Champagne, pendant l’offensive au moulin de Souain. Il est cité à l’ordre de l’armée.  Il a reçu la Médaille interalliée de la Victoire de la guerre 1914-1918, et la Croix de guerre 1914-1918.

Métallurgiste, il est retraité de l’Arsenal de Cherbourg.
Avant la guerre de 1939-1940, Léon Lecrées est un militant communiste et cégétiste connu des services de police. 

Cherbourg 1940 : le drapeau à croix gammée sur le fort du Roule (Dr)

Du 7 au 19 juin 1940 la Normandie est envahie par les chars de Rommel. Le 15e corps d’armée, commandé par le général Hotz investit Saint-Lô le 18 juin et Cherbourg le 19. Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 21 juin 1940, horloges et montres sont avancées d’une heure.  La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Dès le début de l’Occupation des tracts anti-allemands sont édités à l’initiative d’André Defrance, qui organise des groupes de patriotes sous l’égide du Parti communiste clandestin.

La Feldkommandantur 722 édite un Avis dès la fin juillet 1940 interdisant sous peine de sévères punitions « de se passer l’un à l’autre des objets de propagande anti-allemande, tracts, journaux… qui doivent immédiatement être remis à la Feldkommandantur ou a l’Ortskommandantur la plus
proche…
La police de Vichy surveille dès le débit de l’Occupation les syndicalistes, anciens élus, candidats ou militants communistes « notoires » et procède à des perquisitions et des arrestations.
Dès 1941, Léon Lecrées appartient au groupe « Valmy », un groupe très actif de militants communistes d’Équeurdreville. Selon son épouse et l’attestation d’André Defrance : il « tape à la machine et polycopie des tracts, diffuse les tracts journaux clandestins, participe aux réunions clandestines, héberge des résistants ».
A Equeurdreville, à partir d’avril-mai 1941, des réunions clandestines ont lieu régulièrement au domicile de Pierre Vastel (1) : c’est le groupe « Valmy » où se retrouvent entre autres : Henri Corbin, Maurice Fontaine, André Colas, Lucien Matelot, Raymond Pottier, Auguste Livory, Léon Lecrées dont la femme fait le guet. D’autres ont lieu, rue de Tocqueville, chez Émile Pinel (Jean Quellien). A l’été 1941 des membres du Front national, dirigés par Henri Corbin coupent à Gathémo  la ligne téléphonique aérienne à usage militaire (24 fils), établie par les Allemands entre Brest et Berlin.

Les rafles de la police française déciment les groupes à partir du 22 juin 1941 (date de l’entrée en guerre contre l’URSS : « Henri Corbin averti par son voisin Léon Lecrées, a pu échapper à la rafle, et muni d’une fausse identité délivrée par Jean Goubert, gagner Saint-Michel-de-Montjoie où il retrouve André Defrance chez Louis Hilliou (Jean Quellien).

Léon Lecrées est arrêté à son tour le 19 septembre 1941 à son domicile, par la police française le même jour que Louis Hamel (45 650 de Bricqueboscq), Auguste Marie (45 865 d’Avranches) et Charles Mauger (45 864, d’Octeville).

Le Camp d’internement administratif de Gaillon

Léon Lecrées est détenu à la prison maritime de Cherbourg, puis il est interné administrativement le 20 septembre 1941 au « Centre de Séjour surveillé »  de Gaillon (2). Il y est affecté au bâtiment F, 1er étage, chambre 3, lit n°1.

Le 4 mai 1942, Léon Lecrées est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne ‘le Frontstalag 122)  en vue de sa déportation comme otage. Il y reçoit le matricule n° 5143.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Son épouse effectue des démarches auprès de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés afin d’obtenir des nouvelles de son mari (mention au DAVCC, « dossier Brinon » : Fernand Brinon (dit marquis de Brinon) représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation).

Depuis le camp de Compiègne, Léon Lecrées est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

L’entrée du camp d’Auschwitz

Léon Lecrées est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 755 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d‘Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Léon Lecrées meurt à Auschwitz le 15 août 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 498).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Lors de son retour des camps, son camarade Victor Louarn a témoigné de sa mort à Auschwitz.
André Defrance (3) a multiplié les démarches peu avant son décès survenu en 1952, pour que ses camarades déportés de la Manche, et notamment Léon Lecrées, soient homologués comme Combattants Volontaires de la Résistances ou Déportés et Internés Résistants.
Lire le témoignage de son fils concernant les difficultés qu’il rencontra : « La carte de « Déporté-Résistant ».
Léon Lecrées est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Son nom est honoré sur le monument commémoratif de Saint-Lô « Aux Victimes de la répression nazie » (porte de l’ancienne prison détruite lors du bombardement du 6 juin 1944). Il est également gravé sur le monument aux morts d’Erquedreville, et  sur la stèle commémorative du cimetière Tôt Neuf d’Equedreville.

  • Note 1 : Pierre Vastel, dit « Paul », né à  en 1889, habite Équeurdreville où il est employé communal, gardien du cimetière. En juin 1940, il entre en contact avec Henri Corbin, responsable local du Parti communiste, et participe à la constitution de petits groupes de patriotes. Une part de l’activité de Pierre Vastel est consacrée à l’impression et à la diffusion d’écrits patriotiques et antinazis.
    Il cache des armes et le matériel d’imprimerie dans un caveau du cimetière. Il assure aussi l’hébergement de militants illégaux, notamment Louis Canton, dit «Henri», Roger Bastion dit «Louis», Alfred Bizet dit «Albert». Vers juillet 1941, il met en place un comité du Front national pour l’indépendance de la France, large mouvement initié dans la Manche par André Defrance. À la fin de 1941, Pierre Vastel intègre les FTP. Ses qualités de courage et de dévouement le désignent comme chef de section. En juin 1942, il participe à l’incendie de matériaux appartenant à l’armée d’occupation, entreposés à l’entreprise Grouard à Cherbourg, ainsi qu’à la destruction
    d’autres stocks allemands dans cette même ville. Il est arrêté le 14 août 1942 et fusillé par les nazis à Saint-Lô (extraits Wikipédia, Wikimanche).
  • Note 2 : Après avoir hébergé des réfugiés espagnols en 1939, le château de Gaillon (maison centrale) est, à partir de 1941, aménagé en centre de séjour surveillé. De septembre 1940 à février 1943, sont internés sur arrêtés préfectoraux des communistes, quelques gaullistes, des juifs et étrangers, des coupables d’infractions à la législation sur le ravitaillement (marché noir et abattage clandestin). On y interne les hommes de 1941 à septembre 1942, les femmes ensuite.
  • Note 3 : André Defrance, arrêté en janvier 1944, déporté à Flossenbürg via Auschwitz et Buchenwald. Homologué capitaine FFI-FTP, il était habilité après la Libération à délivrer des certificats d’appartenance à la Résistance au nom du FN et des FTP dans le département de la Manche. Ainsi, il rédigeait des attestations, constituait des dossiers, qu’il présentait ensuite aux commissions chargées
    d’attribuer les mentions CVR ou DIR. 

Sources

  • Souvenirs de Georges Gourdon 45 622) et d’Emile Bouchacourt (45 277).
  • « La Résistance dans la Manche » (Marcel Leclerc) P.39/41.
  • Les recherches de Madame Renée Siouville (résistante, veuve de Lucien Siouville (46106), rencontrée par Roger Arnould au pèlerinage à Auschwitz de 1971) effectuées auprès des Associations locales et des archives municipales et départementales, ont permis de dresser une première liste et éléments biographiques de 17 des 18 « 45 000 » de la Manche.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • « Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz » (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
  • Archives en ligne de la Manche.
  • Photographie anthropométrique du CSS de Gaillon le 29 octobre 1941. Archives départementales de l’Eure. © Wikimanche et In « Mémoire Vive ».
  • Internés au camp de Gaillon in Archives de la Préfecture de police / BA 2374
  • Mémoire de Maitrise d’Hervé Bertonchini «Le camp d’internement administratif de Gaillon», dirigé par Olivier Dumoulin, Université de Rouen, 1993.
  • © Musée d’Auschwitz Birkenau. L’entrée du camp d’Auschwitz 1.
  • Certificat d’appartenance à la Résistance Intérieure Française.

Notice biographique rédigée en avril 2001 (modifiée en 2012, 2018, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé),  pour le livre « De Caen à Auschwitz » (Collège Paul Verlaine d’Evrecy, Lycée Malherbe de Caen et Association Mémoire vive) juin 2001, Ed. Cahiers du temps. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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