Matricule « 45 744 » à Auschwitz
Pierre Lebreton : né en 1899 au Mesnil-Vigot (Manche) ; domicilié à Vire (Calvados) ; cheminot ; syndicaliste et communiste ; arrêté le 4 mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le 17 août 1942.
Pierre Lebreton est né le 4 février 1899 au Mesnil Vigot (Manche).
Il habite au 6, rue des Acres à Vire (Calvados), au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Élise, Aimée Ledouit et de Victor, Nicolas Le Breton.
Il est cheminot (cantonnier pelliste), depuis 1922.
Selon sa fiche matricule militaire Pierre Le Breton mesure 1m 68, a les cheveux châtain et les yeux bleus, le front moyen, le nez rectiligne. Il a le visage ovale. Au moment du conseil de révision, il travaille comme cultivateur chez ses parents à Lozon (Manche, non loin de Saint-Lô).
Il sera par la suite cheminot. Il a un niveau d’instruction « n° 2 » pour l’armée (sait lire et écrire et compter, instruction primaire).
Conscrit de la classe 1919, Pierre Lebreton devance l’appel et s’engage pour une durée de 4 ans le 18 mars 1918, à la mairie de Saint-Lô.
Il est incorporé le 19 mars au 1er dépôt des équipages de la flotte, à Cherbourg, comme apprenti-marin. Il est « renvoyé dans ses foyers » le 18 mars 1921, « en attendant son passage dans le réserve de l’armée active » (au 1er dépôt des équipages de la flotte). Embauché comme employé permanent des Chemins de fer (cantonnier de voie), cet emploi le fait alors « passer » le 19 juillet 1922, comme réserviste de l’armée active, à la 4è section des chemins de fer de campagne en tant qu’« affecté spécial » (c’est-à-dire qu’il serait mobilisé à son poste de travail en cas de conflit). En 1923, Pierre Lebreton habite à Vaudry (Calvados), au hameau de la Morlière.
Le 24 novembre 1923, à Vaudry, il épouse Marguerite Turgot née le 31 août 1903 à Grandville. Servante, elle habite à l’époque chez ses parents au hameau du Ronceret à Vaudry, voisin de celui de La Morlière. Elle est décédée le 3 novembre 2004 à Vire à l’âge de 101 ans.
Un article évoquant sa vie et celle de Pierre Lebreton est paru dans le journal local à l’occasion de ses 100 ans (1).
Fille de boulangers, servante au moment de son mariage, elle sera garde-barrière, puis comptable à la gare de Vire.
En août 1927, Pierre Lebreton dépend de la subdivision de Falaise et habite à Caen.
Militant communiste connu, il est délégué du personnel et secrétaire du syndicat CGT des cheminots.
Pierre Lebreton a vraisemblablement été rayé de« l’affectation spéciale » comme la plupart des cheminots syndicalistes et / ou présumés communistes. Il redevient alors mobilisable, «inscrit en domicile » le 1er octobre 1939.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militants communistes « notoires » et a procédé à des perquisitions et des arrestations (62 domiciles de militants sont perquisitionnés, dont ceux de 10 cheminots, et 18 arrestations sont effectuées). Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
Marguerite Lebreton a raconté à « Ouest-France » que son mari et son camarade Albert Miclon étaient engagés au sein de « Résistance Fer ». Ils procédaient à des changements de fléchage et d’affichage dans les gares, perturbant ainsi les horaires. Selon elle, ils ont également caché des fugitifs dans des wagons à bestiaux. Le chef de gare, M. Lecoq et son collègue M. Legeorges sont interpelés par les feldgendarmen. Marguerite Lebreton pense que son mari a été dénoncé par l’interprète de la Feldgendarmerie 723. En tout état de cause, Pierre Lebreton est connu des services de police, comme en atteste le courrier du sous-préfet au Préfet du Calvados..
Pierre Lebreton est arrêté par les gendarmes allemands de Flers le 4 mai 1942, à la différence des autres militants arrêtés à la fois par des gendarmes français et allemands.
Cette particularité s’explique par la lettre du sous-Préfet de Vire (M. Liard) au Préfet du Calvados (Henry Graux).
Objet : Arrestations effectuées par les autorités d’occupation.
Références : Mes communications téléphoniques des 2 et 5 Mai avec votre Cabinet.
J’ai l’honneur de vous confirmer les renseignements que je vous ai transmis verbalement au sujet des arrestations effectuées par les autorités d’occupation. Dans la nuit du 1er au 2 mai – conformément à l’avis qui m’en avait été donné téléphoniquement par M. le Secrétaire Général – la Feldgendarmerie de Flers s’est présentée à la Section de Vire requérant la Gendarmerie et la Police d’avoir à procéder à l’arrestation des Juifs et des communistes de l’Arrondissement. Je donnai ordre de surseoir à toute opération avant que le Chef de Section mandé à Caen par vos soins ne fut revenu. A son retour, et en dépit des violentes protestations de la Feldgendarmerie, je maintins l’ordre de ne procéder qu’aux arrestations mentionnées sur la liste remise par vos services, qui ne comptait que des Juifs.
Pour diverses raisons, aucun de ceux-ci ne put d’ailleurs être appréhendé.
Le Docteur Drucker, du Sanatorium de St Sever, avait été arrêté auparavant, comme je vous en avais rendu en compte verbalement.
Dans la nuit du 3 au 4 mai, la Feldgendarmerie a procédé, par ses propres moyens et sans en aviser les services français, aux arrestations suivantes : à Vire : Poirier, ancien communiste actif, Datin ancien communiste actif, Bossu et Lebreton.
A Condé-sur-Noireau : Frémont ancien communiste, et Bouvet suspect d’avoir sympathisé avec l’ex-Parti communiste.
Militant communiste connu des services de police, Pierre Lebreton figure en effet sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Pierre Lebreton est conduit à la Gendarmerie de Vire, Avec Jules Datin, Samuel Frémont et François Poirier, est conduit à la maison d’arrêt de Vire, puis à celle de Caen. Il est ensuite transféré au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.
Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne).
Pierre Lebreton y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
A la suite de l’arrestation de 27 cheminots du Calvados du 1erau 4 mai 1942 (dont 8 par tirage au sort), la Direction de la SNCF a sollicité l’intervention de l’ambassadeur de France, De Brinon, qui écrit le 15 mai 1942 au Général commandant les forces militaires allemandes en France, soulignant l’impact de ces mesures sur le personnel cheminot très sollicité et en sous effectifs, et demandant leur révision (en vain). Pierre Lebreton fait partie de la liste mentionnée, avec sa fonction : cantonnier.
Au camp de Compiègne, Marguerite Lebreton rapporte que son mari a fait passer au péril de sa vie deux morceaux de pain au Docteur Abraham Drucker, interné au camp Juif – séparé par des barbelés du camp des « politiques » – avec 27 autres Juifs Caennais, où ils souffrent de la faim. C’est le docteur Drucker qui s’en est souvenu et l’a rapporté à sa veuve (2).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Pierre Lebreton est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 744 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Affecté à Birkenau, Pierre Lebreton y meurt le 17 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2).
Ce certificat porte comme cause du décès « Sepsis bei Nackenkarbunkel » (septicémie par anthrax porté sur la nuque). L’historienne polonaise Héléna Kubica a révélé comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz».
Il convient de souligner que cent quarante-huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19, 20 ou 21 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp ont été enregistrés à ces mêmes dates.
D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection interne des inaptes au travail, opérée dans les blocks d’infirmerie. Lire dans le site : Des causes de décès fictives.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Une plaque en son honneur a été apposée au cimetière de Vire (elle porte le date de décès retenue par le Ministère des anciens combattants, le 31 décembre 1942… et le nom du camp est mal orthographié). En juillet 1945 son épouse étant sans nouvelles depuis 3 ans, écrit à un rescapé de Caen, André Montagne, pour lui demander s’il a connu son mari et s’il peut lui donner quelques détails.
C’est André Montagne qui lui apprend la mort de son mari (Pierre Lebreton n’était pas en effet parmi les 140 survivants au Block 11 en 1943).
Une rue Pierre Lebreton a été inaugurée en septembre 2000 en présence de Marguerite Lebreton, de sa famille, des élus et d’une délégation de cheminots.
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la
demande de David
Badache et André
Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Pierre Lebreton est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
Note 1 : Marguerite était garde barrière à Vaudry avant de devenir comptable. Elle était avec sa famille pour ses 100 ans, et Ouest-France a rapporté quelques uns de ses souvenirs de l’activité de son mari et de son arrestation que nous avons intégré dans la notice biographique ci-dessus.
Note 2 : Le docteur Drucker (père de Michel Drucker, l’animateur de télévision) animait un groupe de résistance. Interné à la prison de Flers, puis à Caen, il est transféré à Compiègne avec les 79 autres otages Caennais, en représailles au déraillement d’Aurain. Il est ensuite transféré à Drancy.
il est libéré le 18 août 1944.
Sources
- Document allemand concernant des cheminots arrêtes à la suite des déraillements des 16 avril et 1er mai, reproduit ci-dessus, en date du 15 mai 1942, référencé en juin 1942 et destiné à la place Beauvau.
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Fiche de renseignements FNDIRP établie par sa veuve Marguerite Lebreton. (N° 63997 / 8261).
- Lettre de Mme Lebreton à André Montagne (10/7/45).
- Archives de Brinon (AN).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, février 1992, Caen.
- Registres matricules militaires.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Plaque au cimetière de Vire in Généanet © Gntcim333.
- © Photos de famille et coupures de presse : remerciements à M. Roger Bessière, proche neveu de Marguerite Lebreton (plusieurs envois en 2017) et à la famille Courteille
Recherches généalogiques (état civil, recensement, registre matricule militaire, presse locale) effectuées par Pierre Cardon
Notice biographique rédigée en janvier 2001, complétée en 2016, 2017, 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
My thoughts are with this family. And for all that was lost.