Jules Datin : né en 1904, à Saint-Georges de Rouelley (Manche) ; domicilié à Vire (Calvados) ; commis charcutier ; ancien des Brigades internationales ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942.
Jules Datin est né le 29 avril 1904, à Saint-Georges de Rouelley (Manche).
Il habite au 2, rue Turpin à Vire (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est commis-charcutier chez M. Bossu, rue Turpin à Vire en 1941.
Il est le fils d’Aristide Datin né à Saint-Georges de Rouelley en 1874 et d’Eugénie Lesellier, mariés en 1902.
A plusieurs reprises (1926, 1932, 1933, 1936), Jules Datin a maille à partir avec la justice pour des « emprunts » (moto non payée, emprunt de la voiture d’une charcutière) et a subi de petites peines de prison. La presse locale le décrit également comme « exalté » (Le Bonhomme Normand mai 1926). En 1932, il est d’ailleurs placé en observation à l’hospice de Pontorson à cause de l’incohérence de ses propos lors de l’instruction d’un délit de grivèlerie dans un restaurant.
Pendant la guerre d’Espagne, Jules Datin s’engage dans les Brigades internationales. Sur le site de l’AVER (association des Volontaires en Espagne Républicaine) on trouve la mention d’une petite note, datée du 5 octobre 1938, qui le qualifie d’ « inorganisé » et « bon camarade ». La note précise que, commotionné par un bombardement de l’aviation, Jules Datin arrive dans ce centre (non nommé) le 24 août 1938 (1) et qu’« il ne voulait rien faire » et que « soigné ici, il fait preuve d’une grande activité. Toujours prêt à rendre service. Bon moral, mais très nerveux. S’intéresse à la presse, assez bonne discussion politique, bon élément ». On ignore à quelle date il est rapatrié. A son retour en France, il reprend son métier de commis charcutier.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
En septembre 1941, Jules Datin est en détention préventive pour « acte de rébellion ». En octobre, la presse locale (« Ouest Eclair et Le Bonhomme Normand« ) le présentent comme complice de deux femmes Suzanne B. , 20 ans et la veuve Amandine D. habitant toutes deux rue Turpin, pour vol de bijoux et vêtements de luxe… Il semble toutefois que le procureur ne soit pas assuré de cette complicité… Car Jules Datin était peut-être en préventive au moment des faits. Les deux femmes sont condamnées à 3 mois. On sait seulement qu’il est libéré en 1942.
Considéré par la police française comme « ancien communiste actif« , Jules Datin est arrêté le 3 mai 1942, à Vire, par des gendarmes allemands, avec Pierre Lebreton et André Poirier.
Une note du Sous-Préfet de Vire (M. Liard) au Préfet du Calvados (Henry Graux), en date du 6 mai 1942 explique que ce sont les seuls gendarmes allemands qui l’aient arrêté, alors que partout en France des policiers français les accompagnaient (voir le document ci-contre).
Objet: Arrestations effectuées par les autorités d’occupation.
Références : Mes communications téléphoniques des 2 et 5 Mai avec votre Cabinet.
J’ai l’honneur de vous confirmer les renseignements que je vous ai transmis verbalement au sujet des arrestations effectuées par les autorités d’occupation.
Dans la nuit du 1er au 2 mai – conformément à l’avis qui m’en avait été
donné téléphoniquement par M. le Secrétaire Général – la Feldgendarmerie de Flers s’est présentée à la Section de Vire requérant la Gendarmerie et la Police d’avoir à procéder à l’arrestation des Juifs et des communistes de l’Arrondissement. Je donnai ordre de surseoir à toute opération avant que le Chef de Section mandé à Caen par vos soins ne fut revenu. A son retour, et en dépit des violentes protestations de la Feldgendarmerie, je maintins l’ordre de ne procéder qu’aux arrestations mentionnées sur la liste remise par vos services, qui ne comptait que des Juifs. Pour diverses raisons, aucun de ceux-ci ne put d’ailleurs être appréhendé. Le Docteur Drucker, du Sanatorium de St Sever, avait été arrêté auparavant, comme je vous en avais rendu en compte verbalement. Dans la nuit du 3 au 4 mai, la Feldgendarmerie a procédé, par ses propres moyens et sans en aviser les services français, aux arrestations suivantes : à Vire : Poirier, ancien communiste actif, Datin ancien communiste actif, Bossu et Lebreton. A Condé-sur-Noireau : Frémont ancien communiste, et Bouvet suspect d’avoir sympathisé avec l’ex-Parti communiste.
Jules Datin figure sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes.
Son arrestation est ordonnée en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands.
Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43è RI.
Le 14 mai, 11 communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Avec Léon Frémont, PierreLebreton et André Poirier, Jules Datin est conduit à la maison d’arrêt de Vire, puis à celle de Caen. Il est ensuite transféré au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen.
Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne). Jules Datin y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jules Datin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro « 45 425 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Jules Datin meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Jules Datin est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
- Note 1 : Il est vraisemblable que la date de cette commotion reçue par Jules Datin au cours d’un bombardement franquiste corresponde à l’échec de l’offensive républicaine devant Gandesa, un important nœud de communication, qui était un de leurs objectifs prioritaires. Les franquistes, y jetèrent tous leurs moyens terrestres et aériens disponibles. Ce fut l’arrêt de l’avance républicaine.
Sources
- Etat de renseignement concernant les personnes arrêtées par la Feldgendarmerie (Caen 15 mai 1942)
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Divisions archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, juillet 1992, Caen.
- Brigades internationales : RGASPI (BDIC, Mfm 880/11, 545.6.1142).
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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