Matricule « 46 298 » à Auschwitz

Abram Lubeslki : né en 1893 à Baronowice (Pologne) ; domicilié à Oilly-le-Vicomte (Calvados) ; commerçant ; arrêté comme otage juif le 1er mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le  2 août 1942.

Abram Lubeslki est né le 20 décembre 1893 à Baronowice (Pologne). Il habite Oilly-le-Vicomte (Calvados) au moment de son arrestation, où il est venu s’installer en 1936 et où il habite dans le quartier Maison Rouge avec son épouse Sura, (ou Sarah), née Surer le 14 juillet 1895 à Krasoniek (Pologne) (1).
Dans les années 1930, il est propriétaire d’une fabrique de tricots au 52, rue Vilin à Paris 20è.
En 1931 (registre du recensement) le couple habite au 54, villa Faucheur à Paris 20ème.
Abram Lubelski y est indiqué « cordonnier à façon » et son épouse Sura, sans profession. Au n° 52 rue Vilin, adresse de son entreprise, habite une famille polonaise, les Aizen, Pinhus, Fraïda et Iryna, tisserand et boutonnières.

« Le Journal » du 19 septembre 1932

En septembre 1932, son entreprise de la rue Vilin est déclarée en faillite. Il signe alors une déclaration de concordat le 13 février 1933 (i.e. un remboursement à 50 % et paiement sur 5 ans). En 1934, ayant à nouveau lancé une fabrication de tricots au 12, rue des Envierges Paris 20ème, il est encore déclaré en faillite.
Abram et Sura Lubelski viennent alors s’installer en Normandie, à Oilly-le-Vicomte dans le quartier Maison Rouge et ils sont devenus marchands ambulants de tricots.
En 1938, habitant toujours Oilly-le-Vicomte, Abram Lubeslki est propriétaire d’une auto, « sujet polonais » comme l’indique le journal Ouest-Eclair (12/04/1938) : il a un accident à Lisieux avec une motocyclette, heureusement sans dégâts corporels.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.

A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par le gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile.

Des témoignages recueillis en 1992, par le maire d’Ouilly M. Descours Desacres disent Abram Lubelski marié, tenant un « petit commerce ambulant de vêtements et de chapeaux« . « Au bout de quelques mois après son installation, des hommes en voiture sont venus l’arrêter, et son épouse le fut ultérieurement».
Abraham Lubelski est arrêté comme otage juif le premier mai 1942 (lire l’article du site en cliquant sur ce lien) dans la nuit à son domicile d’Ouilly par la gendarmerie française. Sur le document de la préfecture, il est indiqué « ex-forain ».

En effet son nom figure sur la liste des Juifs arrêtés le 1er mai 1942 (120 otages « communistes et Juifs ») établie pour les autorités allemandes en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43ème régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43ème RI.  Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen. Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Il est indiqué Ludolski sur certaines listes d’arrestation allemandes, comme ex marchand forain.

Liste des Juifs arrêtés dans la nuit du 1er mai sur l’indication des Autorités allemandes et « remis » le 3 mai 1942. (montage photo à partir des documents du CDJC. Pierre Cardon).

A la demande des autorités allemandes, Abraham Lubelski  et les autres otages juifs, sont conduits le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen.
Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122(témoignage d’André Montagne). Abraham Lubelski  y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942 

Depuis le camp de Compiègne, Abram Lubeski est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Abram Lubelski est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 298 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont les 53 Juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement dans les marais et à la construction des Blocks.

Abram Lubeski meurt à Auschwitz le 2 août 1942 d’après les registres du camp.

Le nom d’Abraham Lubelski est inscrit sur la stèle située esplanade Jean Marie
Nouvel qui rend hommage aux otages fusillés et déportés du Calvados, arrêtés en
mai 1942. Cette stèle est située non loin de la plaque commémorative apposée le
26 août 1987 à la demande de David Badache, rescapé du convoi, en hommage
aux « 45000 ».
Son nom est également inscrit sur le Mur des noms au Mémorial de la Shoah, dalle n° 69, colonne n° 23, rangée n° 3 (et visible en tapant Lubelski Abram, notice 4 sur le site internet du Mémorial).

  • Note 1 Sura Lubelski (sous le nom de Sarah Lubelki dans le document de la Préfecture de Caen) est aussi arrêtée, le 9 octobre 1942, à Ouilly-le-Vicomte.
    Elle est transférée deux jours plus tard au camp de Drancy. Elle est déportée à Auschwitz le 4 novembre 1942 (convoi n°40. En 1945, seuls 5 hommes de ce convoi de 1000 déporté-es sont survivants).

Sources

  • Recherche de M. J. Descours Desacres, Maire d’ Ouilly, 13 juillet 1992.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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