Matricule « 46 316 » à Auschwitz

Jean Doktor, in « Caen à Auschwitz »
Jean Doktor : né en 1910 à Boguslav (Ukraine) ; contrôleur des impôts ; domicilié à Caen (Calvados) ; arrêté comme otage Juif le 1er mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 28 juillet 1942.

Jean, Isaac, Doktor est né le 12 juin 1910 à Boguslav, en Ukraine. Il habite 41,rue Bicoquet à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Szifra Londowski, étudiante en médecine et Szmerel Doktor futur ingénieur, son époux, tous deux Ukrainiens. Ses parents émigrent en France : sa mère y sera médecin et son père ingénieur.
En 1926, élève au lycée de garçons de Brest, où il a été inscrit au tableau d’honneur (Isaac Doktor, palmarès du lycée paru dans la Dépêche de Brest du 14 juillet 1926), il est reçu à la première partie du baccalauréat, série D, avec la mention « assez bien ». Cette même année, le futur écrivain Henri Keffelec obtient le bac de philosophie dans le même lycée. Il n’y a que 37 000 bacheliers pour toute la France cette année là.
Alors qu’il est étudiant à Brest (Finistère), Jean Doktor est naturalisé français en juillet 1928 (J.O. du 29 juillet 1938).
Licencié en droit, il devient contrôleur des Impôts, rédacteur des Contributions indirectes.
Le 27 janvier 1934, à Carrouges (Orne) il épouse Augustine Clouet, née le 26 août 1909 à Carrouges. Le couple a un garçon, Claude, qui nait le 30 avril 1935 dans l’Orne. La famille s’installe arrive à Caen en 1939.
Jean Doktor est mobilisé à la déclaration de guerre.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. Les troupes allemandes défilent à Caen. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.

Jean Doktor est démobilisé en juillet 1940, « avec citation à l’ordre du Régiment et Croix de guerre » (1).


Bien que de confession catholique, il est dans l’impossibilité d’exercer sa profession, en raison des lois antisémites de Vichy ; il est exclu de la Fonction publique (1) et travaille alors comme chef du service du contentieux chez Chrétien-Coulignon, entreprise de travaux publics de Caen.

Le 3 octobre 1940, les Juifs de nationalité française ont perdu en effet – par le décret du gouvernement de Vichy – leur statut de citoyens à part entière (obtenu le 21 septembre 1791). A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile. Dans certains départements les préfets ont transmis à la commission nationale de révision des naturalisations des listes d’étrangers naturalisés (et parmi eux de nombreux Juifs). Cela n’a pas été le cas dans le Calvados pour les Juifs déportés le 6 juillet 1942. Seul Jacques Grynberg est dénaturalisé en mai 1944, mais directement au plan national, la commission n’ayant pas connu son parcours depuis le Bas-Rhin à Paris puis à Caen.

Il est arrêté le 1er mai 1942 comme otage en raison de ses origines juives.
Il figure en effet sur la liste de 120 otages « communistes et juifs » établie par les autorités allemandes.
Selon le témoignage de son fils Claude, il connaît le professeur Emmanuel Desbiot, les frères Colin, David Badache, le docteur Pecker et Maurice Scharf, arrêtés en même temps que lui.
Leur arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands.

Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht.
28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43è RI.
Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).

Jean Doktor est détenu à la Maison d’arrêt de la Maladrerie (Caen), puis au Lycée Malherbe. Lire le récit de Marcel Cimier, qui est dans la même cellule que lui la première nuit suivant leurs arrestation « Dans ma cellule nous étions quatre, j’étais avec trois juifs français, le docteur Pecker que je connaissais depuis longue date, un fleuriste de la rue Saint-Jean et dont je ne me souviens plus du nom et un contrôleur des indirects nommé Doktor…« .  L’arrestation de Marcel Cimier à Caen.
Jean Doktor est remis aux autorités allemandes à la demande de la Feldkommandantur 723. Celles-ci l’internent au camp allemand (le Frontstalag 122) de Royallieu à Compiègne, le 9 mai, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Jean Doktor est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

A Auschwitz, Jean Doktor est enregistré le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 316« .
David Badache, rapporte que lors de l’immatriculation, il reçut un coup de matraque, et  » réagit mal « . Ce mouvement de révolte provoqua la colère des SS, et David Badache reçut à son tour des coups de cravache sur la tête.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Les autres, dont les 53 otages Juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Jean Doktor meurt le 28 juillet 1942 « lors d’une tentative de fuite « auf der Flucht erschossen » selon le Kalendarium d’Auschwitz, mais il se peut qu’il s’agisse en réalité d’un meurtre camouflé.

« Les victimes les plus menacées par [les] actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les cinquante et un « 45 000 » morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l’arrivée, 34 d’entre eux avaient perdu la vie (soit 68 % de leur nombre total) ; dans le même temps, cent quarante deux « 45 000 », appartenant aux autres catégories d’otages, avaient disparu, soit 13 % d’entre eux. La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des «45 000» rescapés ». (in « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942″, pages 145-146).
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942  et Les Juifs rapidement décimés après leur arrivée à Auschwitz

Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Il a été déclaré « Mort pour la France ». Il avait été cité à l’ordre du jour du Régiment en juillet 1940 et avait reçu la Croix de guerre 1939-40.
Une plaque commémorative collective est apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache, rescapé du convoi.

Le nom de Jean Doktor est inscrit sur la stèle collective nominative située au niveau de la Mairie de Caen (près des locaux de la police municipale) qui rend hommage à 100 déportés otages du Calvados, tous arrêtés en 1941 ou en 1942. Cette stèle est située non loin de la plaque commémorative inaugurée antérieurement en hommage aux « 45 000 ».
Cette stèle collective nominative a été inaugurée le 19 décembre 2008 : sur les 100 déportés du Calvados, 80 ont déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 (dit des « 45 000 »), 10 autres à Auschwitz mais dans d’autres convois et 10 autres transférés dans d’autres camps (information Dr. Claude Doktor).

Inauguration de l’allée Jean Doktor en mai 2015

Le 1er mai 2015, une allée située face au lycée Camille Claudel a été rebaptisée de son nom, à la suite des démarches répétées de son fils, Claude Doktor (discours de son fils, Claude Doktor et d’Yves Lecouturier, historien). FR3 Normandie a consacré une séquence à l’évènement.

André Montagne, un des 8 rescapés Caennais et calvadosiens du convoi du 6 juillet 1942 à destination d’Auschwitz a rédigé de nombreux témoignages concernant la mort de ses 71 camarades à l’intention de leurs familles. Il se souvenait de beaucoup d’entre eux.
Voici ce qu’il écrit de « Jean Doktor (46 316) dont j’ai découvert en étudiant il y a vingt ans la « Chronique des événements d’Auschwitz » qu’il avait été abattu (assassiné !) au cours d’une soi-disant « tentative de fuite » (auf der Flucht erschossen). Mort le 28 juillet 1942, vingt jours après notre arrivée au camp. Il avait 32 ans ».

  • Note 1 : Claude Doktor précise (mars 2014) : « Mon père est rentré après sa démobilisation en début Juillet 1940, avec citation à l’ordre du Régiment et Croix de guerre. Cette Croix de  guerre avait été instituée par le Décret-Loi 26/09/1939. Le  Décret du 28/03/1941 institua une nouvelle Croix de guerre qui supprimait la croix de  guerre  1939-1940.  Ce décret fut signé par Pétain et par les 3 chefs d’état-major (Terre, Mer, et Air). La conséquence fut rapide : mon père fut, quelques semaines plus tard,  éliminé de sa fonction de contrôleur principal des contributions indirectes à Caen (impôts  indirects). Comme  vous le  savez,  la  Fonction  publique  était  interdite  aux juifs, mais, par cette  Croix de guerre, il  bénéficiait d’une dérogation, après sa  démobilisation. Il conservait cependant sa citation à l’ordre du régiment après le décret du 28/03/1941, mais cela était insuffisant pour le réintégrer dans l’administration ».

Sources

  • Questionnaire rempli par son fils Claude (9 avril 1989).
  • Carte annonçant son départ de Compiègne (10 juillet 1942) fourni par son fils.
  • Fiche FNDIRP établie par sa veuve (N°21340)
  • Archives du CDJC.
  • Témoignage de David Badache.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Nombreux échanges téléphoniques avec M. Claude Doktor.
  • Photo de Jean Doktor parue in « De Caen à Auschwitz ».

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2016, 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

2 Commentaires

  1. MERCI DE PRECISER QUE LA STELE COLLECTIVE NOMINATIVE A ETE INAUGUREE LE 19/12/2008: 100 OTAGES DU CALVADOS : DONT
    80 45000
    10 POUR AUSCHWITZ AUTRES CONVOIS

    10 DESTINES A D'AUTRES CAMPS QU'AUSCHWITZ Dr Claude Doktor

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