Joseph Besnier le 8 juillet 1942

Matricule « 45 238 » à Auschwitz

Joseph Besnier : né en 1921 à Trun (Orne) ; domicilié à Mondeville (Calvados) ; cordonnier ; communiste ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau, le 19 septembre 1942. 

Joseph Besnier est né le 26 mai 1921 à Trun (Orne). Il habite route de Rouen (1) à Mondeville (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Solange, Alexandrine, Marie, Louise Dudoit, 18 ans et de Joseph, Jules, Francis, Eugène, 23 ans son époux. Ses parents habitent à Trun en 1921, cours Veillaux. C’est sa grand-mère paternelle, veuve  Moriceau,  qui l’a élevé à Mondeville.
Joseph Besnier est célibataire. Il travaille comme cordonnier-bottier.
Il est membre des Jeunesses communistes et connu comme tel par les services de Police.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus ou militants communistes « notoires », et procède à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.

Membre des Jeunesses communistes avant guerre, il est actif dans la clandestinité. Au moment de sa première arrestation, il habite rue Brière.
Le 28 janvier 1941, il est arrêté à son domicile, par la police de Caen.

Joseph Besnier, inculpé, avec sept de ses camarades dont et Raymond Guillard et André Montagne qui seront déportés à Auschwitz avec lui) pour «reconstitution de ligue dissoute, propagation des mots d’ordre de la IIIe Internationale, détention de tracts et collage de papillons», il est détenu à la prison de Caen en attente de leur procès qui a lieu le 14 mars : il est condamné à condamné à 4 mois de prison, qu’il effectue à Falaise (Calvados). Son nom et ceux d’André Montagne et Raymond Guillard, qui seront déportés avec lui à Auschwitz, sont mentionnés dans l’article de l’Ouest-clair du 30 janvier 1941. La presse locale fait ses choux gras de leur arrestation.

Ouest Eclair 2-02-1941

Sous le titre : Des militants communistes à l’ombre, l’Ouest-Eclair du 2 février 1941 écrit  :  La semaine dernière, un communiqué officiel apprenait que des tracts communistes avaient été collés en divers endroits de Caen. Deux employés des P. T. T. ayant participé à ce Travail, avaient été licenciés. Pour terminer ce communiqué, on laissait prévoir que ces deux individus auraient à répondre devant la Justice du délit de propagande communiste qui leur est reproché. En effet, ils viennent d’être arrêtés et en compagnie, d’ailleurs, de six autres personnes.
Les huit inculpés sont : Marcel Ducrot, 26 ans, employé des P. T. T., rue du Moulin ; Pierre Chardinne, 21 ans, manipulant-auxiliaire des P. T. T., habitant chez ses parents, rue de l’Oratoire ; André Montagne, 18 ans, aide-électricien, place de l’Ancienne-Comédie ; Serge Greffet, 18 ans, étudiant, rue Neuve-Saint-Jean ; Pierre Rouxel, 19 ans, étudiant, rue Grasse ; Raymond Guillard, 24 ans, comptable, rue de Falaise ; Joseph Besnier, 20 ans, ouvrier cordonnier, à Mondeville, rue Brière : Roger Bastion, 21 ans, forgeron, rue d’Auge. Bien entendu, ce ne fut qu’à la suite d’une longue et délicate enquête, dirigée par M. Charroy, commissaire central, que ces résultats purent être acquis. Dès le collage des tracts, la police enquêta. Le fait qui lui avait été signalé l’amena à Interroger Ducrot et à perquisitionner chez lui. On ne trouva rien, mais les policiers réussirent à lui faire reconnaitre qu’il avait eu en dépôt des tracts communistes.
Et ses aveux amenèrent la découverte et l’arrestation de tous les coupables. Ils reconnaissent tous, – à part Bastion qui, d’ailleurs, veut partager la responsabilité des faits – avoir trempé plus ou moins dans cette regrettable affaire. Chez Montagne, on découvrit cinquante et un tracts. Les cent cinquante qui faisaient partie du paquet avaient été distribués aux trois colleurs : Rouxel Louis, Besnier, Guillard. C’est Rouxel qui, sur demande de Greffet, convoquait les deux autres. Munis de leurs papiers à coller, ils s’étaient partagé les différents quartiers de la ville. A la suite de leurs aveux, ces huit individus ont été écroués ». Joseph Besnier et ses camarades sont libérés à l’expiration de leur peine. 

Il est condamné à 4 mois de prison en 1941

Mais ils figurent désormais dans les fichiers de la Préfecture, qui utilisera cette condamnation lorsque les autorités allemandes réclameront les noms de « communistes actifs » destinés à devenir des otages.

Joseph Besnier est à nouveau arrêté par la la Gestapo (information au DAVCC), dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, en même temps que les deux frères Besnier de Caen, avec lesquels il n’a pas de lien de parenté (2).

Selon son « dossier statut » au DAVCC, il est « arrêté chez Léopol, demeurant rue Calmette à Mondeville, mais activité résistante non démontrée« .
Joseph Besnier
 figure en effet sur la liste de 120 otages «communistes et Juifs» établie par les autorités allemandes : leur arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942)

Le « petit Lycée » de Caen

Il est emmené de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen, entassé avec d’autres militants arrêtés le même soir, au sous-sol dans des cellules exiguës.  A la demande des autorités allemandes, Joseph Besnier et ses codétenus sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.  Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne).

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Joseph Besnier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.238 ». 

Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Joseph Besnier meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz / Sterbebücher von Auschwitz / livre des morts Tome 2 page 82).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Dessin de Franz Reisz, 1946

Comme cent quarante huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre 1942 et qu’un nombre important d’autres détenus du camp ont été enregistrés à ces mêmes dates, il est vraisemblable qu’ils ont été tous gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée sans doute dans les blocks d’infirmerie.
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.

Trois Besnier arrêtés, seuls les 2 caennais sont frères

André Montagne, un des 8 rescapés caennais et calvadosiens du convoi du 6 juillet 1942 à destination d’Auschwitz a rédigé de nombreux témoignages concernant la mort de ses 72 camarades à l’intention de leurs familles. Il se souvenait de beaucoup d’entre eux et notamment de ceux qui, jeunes communistes, avaient été arrêtés avec lui en 1941.
Voici ce qu’il écrit de Joseph Besnier (45238) et de Raymond Guillard (45641) : « Mes deux camarades. Impliqués comme moi en 1941 dans la même affaire des Jeunesses communistes clandestines et comme moi condamnés à de longs mois de prison. Joseph, le doux, le gentil cordonnier de Mondeville est décédé le 19 septembre 1942. Il n’avait que 21 ans. Raymond, Caennais, handicapé léger, ne pouvait survivre aux conditions de Birkenau où il est mort à une date imprécisée, sûrement courant octobre 1942. Il avait 25 ans« .

  • Note 1 : Cette rue qui existait en 1931 a été rebaptisée rue Emile Zola en 1936. Peut-être a-t-elle été rebaptisée pendant l’Occupation. Elle existe à nouveau en 2020.
  • Note 2 : Ils n’ont pas de lien de parenté proche. Dans le livre « De Caen à Auschwitz », pour la notice biographique concernant Joseph Besnier il est fait mention de « deux frères Besnier dans le convoi du 6 juillet 1942 » (page 127). Il s’agit d’une confusion : trois Calvadosiens portant le nom de Besnier ont bien été arrêtés dans la nuit du premier au 2 mai 1942 et tous trois ont déportés. Deux le sont bien dans le convoi des « 45.000 », Joseph Besnier et Eugène Besnier. Mais Joseph Besnier n’est pas le frère d’Eugène Besnier. Par contre le troisième militant, Gaston Besnier, né le 25 mars 1905 à Caen, est le frère cadet d’Eugène Besnier. Ancien métallo, il est déporté par le convoi du 24 janvier 1943. Il est décédé en janvier 1945 à Sachsenhausen.
  • Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Fiche FNDIRP établie au nom de sa grand’mère, madame Moriceau. N° 5488 / 8382.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, déc.1992, Caen.
  • Marie de Trun, remerciements à Madame Aurélie Lobry.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2015, 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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