Matricule « 45 823 » à Auschwitz
Raphaël Manello : né en 1914 à Tabarka (Tunisie) ; domicilié à Puteaux (Seine) ; électricien ; communiste ; arrêté le 27 mars 1940 à Paris, prison de la Santé, évadé en juin, recherché ; arrêté le 18 avril 1941 (prisons de Sens et Montargis), libéré le 12 janvier 1942 ; arrêté le 28 avril 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 30 janvier 1943.
Raphaël Manello est né le 2 février 1914 à Tabarka (Tunisie). Il est domicilié au 7, rue Auguste Blanche à Puteaux en 1938.
Il est le fils de Francesca Toscano (1888-1918) et de Vincenzo Manello (1876-1921), marin-pêcheur, son époux. Il a une sœur aînée, Carolina (1906-2001), et un frère Jean (1911-1993). Deux autres enfants sont morts en bas âge. Ses parents meurent quand il a 4 ou 5 ans.
Sa grand-mère, Marianna Toscano, et sa sœur ainée Carolina s’occupent désormais de lui. En 1927, ils s’installent en France.
Carolina se marie et toute la famille (grand-mère et frères) habite avec eux à Puteaux, rue Victor Hugo.
Raphael Manello habitera par la suite au 7, rue Auguste Blanche à Puteaux, puis au 9, place du Marché-Sainte-Catherine à Paris (IVème) où il sera arrêté.
Le 24 juillet 1937, Raphaël Manello épouse à Suresnes (Seine / Hauts de Seine) Jacqueline Denerf, née le 21 juin 1917 à Vierzon (Cher).
Le couple a une fille, Françoise, qui naît le 1er janvier 1938 à Saint-Cloud (Seine-et-Oise / Hauts-de-Seine).
Raphaël Manello est électricien.
Il est membre du Parti communiste à Puteaux et militant cégétiste actif selon le témoignage d’Emile Bouchacourt (rescapé Suresnois de son convoi de déportation).
Il s’inscrit sur les listes électorales de Puteaux en 1938. Il participe à la lutte clandestine après l’interdiction du Parti communiste en septembre 1939 (témoignage de Jean Nennig).
Il est arrêté le 27 mars 1940 (ou le 23 selon le journal local « L’Eveil » d’août 1958, édité par la section du PCF de Puteaux), par la police française. Incarcéré à l’une des deux prisons militaires de Paris pour distribution de tracts, il sera condamné à un an de prison et 100 F d’amende, par défaut, car il s’est évadé lors de l’évacuation des détenus de la prison de la Santé à partir du 10 juin 1940 en direction de Cepoy dans le Loiret,
En effet la Prison militaire de Paris (les prisons de la Santé et du Cherche-Midi) est évacuée sous escorte armée entre le 10 et le 12 juin 1940, sur ordre de Georges Mandel, ministre de l’Intérieur. Ils sont 1865 au départ de Paris. Le repli a pour but de transférer les détenus « dangereux » de la « prison militaire de Paris » au camp
de Gurs (arrondissement d’Oloron) puis à Mauzac.
Raphaël Manello et ses co-détenus dont Albert Watel de l’Haÿ-les-Roses, sont évacués par autobus de la TCRP,
le 10 juin 1940. A Orléans, les gardiens du convoi apprennent que la maison d’arrêt est bondée ; le convoi repart donc jusqu’au camp des Grouës, proche de la gare des Aubrais, où 825 prisonniers, sont débarqués. Prisonniers et gardiens y resteront quatre jours, du 11 au 15 juin. Le séjour au camp des Grouës est marqué par les raids incessants de l’aviation allemande qui terrorisent détenus et gardiens. C’est pourquoi, le 15 juin, tout le monde repart. Mais cette fois, plus question d’autobus, le transfert se fera à pied et de nuit. Ils rejoignent le lendemain à Jouy-le-Potier des camions qui les conduisent à la base aérienne 127 d’Avord, près de Bourges. Ils y retrouvent un autre groupe d’Ile de France venu du camp de Cépoy, près de Montargis (Loiret). C’est vraisemblablement là que Raphaël Manello s’évade (1)… Gardiens et détenus n’y restent que quelques heures, puis repartent en autobus jusqu’à Bordeaux, Mont-de-Marsan, Orthez et Gurs. Ils arrivent au camp en deux groupes, les 21 et 23 juin. Ils y resteront plusieurs mois, jusqu’au début de l’hiver (L’histoire du camp de Gurs, in © Amicale du camp de Gurs).
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Raphaël Manello est condamné par défaut à un an d’emprisonnement et à 100 francs, le 28 janvier 1941 par le Tribunal militaire de Périgueux, qui délivre un mandat d’arrêt à son encontre.
Il est repris le 18 avril 1941 à Briare (Loiret), interné à la Maison d’Arrêt de Sens, puis à celle de Montargis et libéré le 12 janvier 1942.
Raphaël Manello est arrêté une troisième fois le 28 avril 1942 à son domicile à Paris IVème (un hôtel-restaurant au 9, place du Marché Sainte-Catherine), lors d’une rafle organisée par l’occupant dans tout le département de la Seine, à la suite d’une série d’attentats à Paris qui sont à l’origine de l’exécution d’otages (le 20 avril un soldat de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire est blessé à Malakoff).
Cette rafle qui touche un très grand nombre de militants arrêtés une première fois par la police française pour activité communiste depuis l’interdiction du Parti communiste (26 septembre 1939)et libérés à l’expiration de leur peine, correspond vraisemblablement à l’arrestation des communistes destinés à être déportés comme otages.
Raphaël Manello est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent28 avril 1942au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122). Il y reçoit le numéro matricule 4310.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Raphaël Manello est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45823 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Raphaël Manello meurt à Auschwitz le 30 janvier 1943 d’après les registres du camp.
Par un arrêté de 1949 paru au Journal Officiel du 18 décembre 1949, il est homologué comme « Sergent » à titre posthume au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 1er avril 1941.
L’arrêté ministériel du 9 août 1994 porte apposition de la mention « Mort en déportation » sur ses actes de décès.
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué en 1964. Son nom est gravé sur le monument « A la mémoire de martyrs de la Résistance« , érigé en mai 1970 à Puteaux. Une cellule du PCF de Puteaux honore son souvenir après-guerre.
Sa veuve est décédée le 10 août 2003 à Issy-les-Moulineaux.
- Note 1 : Dans son journal d’un prisonnier politique, l’écrivain communiste Léon Moussinac décrit son arrivée au camp des Grouës : « On distingue des sentinelles, des baraques, des barbelés, un détachement de soldats, baïonnette au canon, apparaît. (…) Des soldats nous serrent de près, la baïonnette basse ne cherchant qu’un prétexte pour nous piquer les cuisses ou nous donner des coups de crosse dans les reins. Ils ne cessent de nous injurier. – Salauds ! Fumiers… Sales Boches ! (…) Nous sommes pour ainsi dire jetés dans une baraque où nous distinguons à peine deux rangées de couchettes superposées. De la paille est disposée en tas au milieu du passage. Chacun se précipite. Il s’agit de se débrouiller. (…). À partir du 13 juin, le regroupement d’une partie des prisonniers de la Santé et du Cherche-Midi a lieu au camp des Grouës. « Le commandant de cette prison prend la direction de tout notre troupeau, qui reçoit la dénomination de “détachement des prisons de Paris” » précise Charles Lesca. Dès lors, le commandement est assuré par le capitaine Kersaudy. En raison de l’attaque déclenchée par l’aviation allemande sur la gare des Aubrais, le camp est évacué au soir du 15 juin. En colonne par trois, les prisonniers se dirigent, à pied, vers le sud, en
direction de Bourges, avec pour objectif d’atteindre le camp d’aviation d’Avord (Cher). Orléans bombardé est en flammes. L’incendie rougeoie le ciel. Profitant de la confusion générale, un grand nombre de prisonniers s’évade (extraits de Jacky Tronel, « La prison militaire de Paris sur les routes de l’exode » in Arkeia n° 14).
Sources
- Plaquette mai 1981, « La Résistance à Puteaux, Juin 1940 à Août 1944« . Témoignages vécus et recueillis par Jean Nennig,
- M. Philippe Buyle, historien (février 1991).
- Mlle Chabot, archiviste de la mairie de Puteaux (courriers de juin 1988 et février 1991).
- Témoignage de Mme Marie-Louise Pairière, veuve de Lucien Pairière, « 45000 » de Puteaux, juillet 1972.
- « L’Eveil » (août 1958).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fiche et dossier individuel de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, octobre 1993, Caen (renseignements fournis par M. Arnaud Boulligny FMD Caen, octobre 2011).
- Courriel et informations nouvelles de Thomas Renault, arrière-petit-fils de Carolina (octobre 2011).
- Mémorial « GenWeb », relevé de Claude Richard.
Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2016, 2019 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com