Matricule « 46 144 » à Auschwitz Rescapé
Jean Thomas : né en 1920 au Mans (Sarthe) ; domicilié à Boulogne-Billancourt (Seine) ; cheminot ; communiste ; arrêté fin avril 1940, interné à la Santé ; arrêté le 30 novembre 1940 ; interné à Clairvaux, Rouillé, Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; rescapé
Jean, Emmanuel, Marie Thomas est né le 21 juin 1920 au Mans (Sarthe). Il habite au 2, rue des Tilleuls à Boulogne-Billancourt (ancien département de la Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Rosalie Catheline, 29 ans et de Jean, Marie, Thomas, 27 ans, employé aux Chemins de fer de l’État.
ses parents, Jean, Marie Thomas et Rosalie Catheline se sont mariés le 14 janvier 1920 à Rennes (Ille-et-Vilaine). En 1921, Jean Thomas fils n’est pas recensé au Mans avec ses parents, alors qu’une autre famille Thomas, dont le père et le fils se prénomment également Jean (lui aussi né en 1920, mais en août) est domiciliée au 162, route nationale. Peut-être que l’enfant est alors chez ses grands-parents maternels ou paternels.
Ses parents, qui habitent 152, rue des Sablons au Mans sont nés tous les deux à Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine). Il a un frère cadet, Alain.
En juin 1929, la famille Thomas vient habiter au 8 rue des Tilleuls à Boulogne-Billancourt. Jean Thomas fils obtient le certificat d’études primaires à l’école communale de la rue Fessard, à Boulogne -Billancourt.
Il est alors apprenti chaudronnier aux ateliers SNCF de la Folie à Nanterre, où il travaillera par la suite comme chaudronnier jusqu’à son arrestation.
Il est célibataire avant sa déportation, mais fréquente Juliette Delaunay, qu’il épousera à son retour des camps.
Membre des Jeunesses communistes et de la CGT, Jean Thomas fils est le secrétaire des « Amis de l’URSS » pour son atelier.
Le 25 novembre 1938 il est arrêté à la gare Saint-Lazare pour avoir crié : «Daladier démission. Thorez au pouvoir» (source policière). Le 10 avril 1940, la direction de la SNCF signale à la police que le père et le fils Thomas ont toujours des activités militantes communistes clandestines (le PCF et les organisations communistes ont été interdits le 26 septembre 1939).
Jean Thomas est arrêté une première fois avant l’exode et emprisonné à la Santé.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Lors de l’évacuation de la prison de la Santé, le 10 juin 1940, Jean Thomas se trouve dans l’une des deux colonnes dont l’évacuation passe par Montargis (camp de Cepoy) et Gien. Entre Cepoy et Neuvy-sur Loire, la « colonne de Cépoy » subit les bombardements allemands.
Jean Thomas s’évade comme de nombreux autres prisonniers.
Il revient chez lui, trouve du travail au dépôt SNCF des Batignolles, en utilisant des faux papiers. Au tout début de l’Occupation allemande, il distribue des tracts, aidant ses amis à trouver du travail et leur fournissant de fausses identités.
Mais, dès le 30 novembre 1940, il est repris par la police française « pour activités communistes« , à Boulogne, avec son père.
En effet, le 30 novembre 1940 des policiers en civil du commissariat de Boulogne-Billancourt perquisitionnent au domicile de la famille Thomas à la recherche d’une Ronéo et dans les vestiaires des deux cheminots, aux ateliers SNCF. Des tracts sont trouvés sur Jean Thomas et dans son vestiaire d’atelier. Interrogé sur l’origine des tracts, Jean Thomas refuse de donner une quelconque indication. Il est déféré auprès du procureur de la République, inculpé par le commissaire de Boulogne d’infraction au décret du 26 septembre 1939.
Tous les membres de la famille Thomas plus Juliette Delaunay, l’amie de Jean, sont appréhendés et conduits à la Santé. Fautes de preuves les deux femmes sont relaxées le lendemain.
Le 7 décembre, le père et le fils Thomas sont jugés par la 12è chambre du tribunal correctionnel de la Seine et condamnés chacun à six mois de prison. Ils font appel de la condamnation. Le 27 janvier 1941, la cour d’appel de Paris confirme la condamnation du père, qui reste écroué à la Santé, et relaxe le fils. Mais, dès le lendemain 28 janvier 1941, le Préfet de police signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de Jean Thomas fils. Il est « gardé par la Préfecture » au Dépôt, puis il est écroué à la Santé, cellule 69 (3è division) en attente de son transfert à la Maison centrale de Clairvaux.
Lire dans le site : La Maison centrale de Clairvaux.
Jean Thomas est transféré au camp de Rouillé (1) le 27 septembre 1941 dans un groupe de 56 internés de Clairvaux.
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au directeur du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne. Le nom de Jean Thomas (n° 175 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (2) qu’il arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Thomas est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi.
Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Jean Thomas est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 144 ».
Il dit avoir vu ce jour-là des pendus à l’entrée du camp.
Ce témoignage est attesté par l’historienne Danuta Czech (page 152 du tome 5 d’Auschwitz- 1940-1945 en langue anglaise).
Ce jour là – écrit-elle – a probablement lieu la première pendaison de deux prisonniers politiques à Auschwitz.
Il s’agit de de Tadeusz Pejsik (numéro 12 5497), valet de chambre, né le 2 octobre 1920 à Wloclaweck (au centre de la Pologne) et de Henryk Pajaczkowski (22 867), peintre, né le 45 juin 1911 à Varsovie (Pologne), qui avaient tenté de s’évader d’un Kommando disciplinaire le 10 juin 1942.
Les photos d’immatriculations des deux déportés figurent sur le site du Musée d’Auschwitz avec la mention « pendus le 8 juillet 1942).
Lire dans le site le récit du premier jour des « 45 000 » à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il est affecté à la Schlosserei, puis à la DAW.
En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments (lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site : Les « 45000 » au lock 11 – (14 août-12 décembre 1943).
Au Block 11, il a l’idée « d’orner les tatouages » sur le bras de ses camarades, entourant les chiffres de motifs fleuris. Il tatoue même un petit bateau sur la poitrine d’Henri Marti. Après la quarantaine du Block 11, il est affecté au block 4, avec Gabriel Lejard, Armand Saglier et Joseph Freund (62.660), qui en a témoigné.
Le 12 décembre 1943, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.
Lorsqu’ils doivent quitter le Block 11, il travaille alors au kommando « Béton-Colonne ». Il y est gravement blessé à la main.
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Jean Thomas est transféré le 27 février 1944 à Sachsenhausen avec Armand Saglier, au sein d’un groupe de 11 détenus, puis dans le camp annexe de Lieberose, puis à Falkenhager : « un vieux théâtre désaffecté » et une usine souterraine où il sabote sa production.
L’évacuation de Sachsenhausen débute le 21 avril 1945.
Il est libéré à Schwerin, dans la baie de Lübeck par les Américains, après une longue marche et il est rapatrié le 25 mai 1945 (centre de rapatriement de l’hôtel Lutétia).
Jean Thomas épouse Georgette, Juliette Delaunay le 22 septembre 1945 à Chavillé (Seine-et-Oise). Le couple aura deux enfants. Ils divorcent le 16 décembre 1957.
Jean Thomas se remarie avec Jeanine, Pierrette, Amanda Horvais à Pleslan-le-Grand (Ille-et-Vilaine) le 16 août 1958.
Jean Thomas vient habiter Villecresnes (Val-de-Marne) à partir de 1969. Il est membre du bureau de l’ADIRP du Val-de-Marne, secrétaire de la section Villecresnes-Limeil-Brévannes.
Jean Thomas meurt le 26 décembre 1999 à Bain-de-Bretagne (Ille et Vilaine). Il n’a pas voulu que ses derniers compagnons de déportation assistent à son enterrement, car, il disait avoir eu trop de peine quand il est venu à celui de ses camarades disparus. Il veut épargner cette souffrance à ses amis.
Note 1 : Jean, Marie Thomas et Rosalie Catheline se sont mariés le 14 janvier 1920 à Rennes (Ille-et-Vilaine). En 1921, Jean Thomas fils n’est pas recensé au Mans avec ses parents, alors qu’une autre famille Thomas, dont le père et le fils se prénomment également Jean (lui aussi né en 1920, mais en août) est domiciliée au 162, route nationale. Peut-être que l’enfant est alors chez ses grands-parents maternels ou paternels.
- Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste
dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles.In site de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé. - Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
Sources
- Liste d’otages XLI 42, N0 175
- Très nombreux contacts : lettres et communications téléphoniques avec Roger Arnould et Claudine Cardon-Hamet.
- Un dessin de tatouage « orné par Jean Thomas ».
- Plusieurs récits et descriptions.
- Mairie du Mans, 15 mars 1994.
- Archives de la Préfecture de Police de Paris, Pré Saint Gervais. Dossier consulté en 2017.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la
Défense, Caen.
Notice biographique rédigée en janvier 1999 (complétée en 2017, 2019 et 2024), par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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