Raoul Bertrand, Photo prise entre deux arrestations © Gilberte Bertrand-Chabanne
Raoul Bertrand : né en 1905 à Billancourt (Seine) ; domicilié à Colombes (Seine) ; ajusteur outilleur ; délégué CGT, communiste ; arrêté en octobre 1940 (il est retenu une semaine au commissariat de Puteaux) ; arrêté à nouveau le 15 février 1941 (Santé 3 mois) ; arrêté le 16 septembre 1941, Santé, interné aux camps de Voves et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 21 octobre 1942.

Raoul Bertrand dit « Carotte », selon son épouse, à cause de la couleur de ses cheveux, est né le 11 mai 1905 à Billancourt (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au domicile de ses parents, 19, chaussée du Pont.
Raoul Bertrand habite au 7, boulevard de Valmy à Colombes (ancien département de la Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Ernestine, Berthe Lebocq, et de Raoul, Louis, Bertrand, 26 ans, son époux.
Tous sont deux marchands de vin. Il a un frère, Henri.
En 1924, Raoul Bertrand devance l’appel et s’engage pour trois ans au 1er dépôt des équipages de la Flotte, à Cherbourg : il effectue deux ans de campagne en Extrême-Orient sur la canonnière fluviale Balny destinée au service de surveillance sur le Yang-Tse. Il est « renvoyé dans ses foyers » avec le grade de quartier-maître mécanicien.
En 1927, Raoul Bertrand habite avec sa mère au 15 bis, rue Thiers à Colombes et y travaille comme ajusteur outilleur à la Société Alsthom, 223, boulevard de Valmy.

Le 26 novembre 1927, Raoul Bertrand épouse Gilberte, Louise Tremblay à la mairie de Bougival (Seine-et-Oise / Yvelines).
Blanchisseuse, elle est née le 3 juillet 1908 à Bougival (elle décédera à Valence à l’âge de 80 ans).
Le couple a une fille, Gilberte, Berthe, Louise, qui naît le 14 septembre 1928.
En juillet 1930, la famille demeure au 4, rue Rouget-de-l’Isle à Colombes, puis en 1932 au 2, rue de Strasbourg à Colombes.
Son épouse est alors vendeuse dans un bazar de Colombes.
En juillet 1935, ils emménagent au 124, avenue d’Enghien à Épinay-sur-Seine (Seine), où son Gilberte tient un débit de boissons. Lui travaille toujours chez Alsthom. En 1937, la famille déménage au 9, avenue Calmels à Bois-Colombes (92).
Cette année-là, Raoul Bertrand adhère au Parti communiste, à la cellule d’entreprise chez Alsthom.
Il est élu délégué du personnel. Le 9 juin 1937, il est licencié après une altercation avec le directeur de l’usine lors de la présentation de revendications, ce qui déclenche un mouvement de protestation des ouvriers.
Raoul Bertrand est alors embauché comme ajusteur outilleur à l’usine d’avions Amiot de Colombes (la SECM – dite Amiot – Société d’emboutissage et de construction mécaniques (151/179 boulevard du Havre à Colombes), où il est délégué du personnel (et un des responsable à l’Union locale CGT de 1936 à 1938).
Il y côtoie le dirigeant syndical André Lumet, qui vient d’adhérer lui aussi au Parti communiste. Trois autres ouvriers qui ont travaillé dans cette même entreprise, Charles BarthelemyMaurice Bertouille et le jeune Lucien Preuilly seront déportés dans le même convoi.
Militant communiste, il est responsable du journal local « La Voix Populaire« .
Selon le témoignage d’un rescapé du convoi, « Mickey » Guilbert, il aurait été conseiller municipal à Colombes (information non confirmée par les services municipaux consultés : il n’est d’ailleurs pas inscrit sur les listes électorales à Colombes en 1935 lors des élections municipales, mais seulement en 1939 (vue 43/101 D4M275). On sait par ailleurs qu’entre 1935 et 1937 il habite à Epinay et Bois-Colombes.
Chez Amiot, il participe activement au mouvements de grève du 30 novembre 1938 lancé par la CGT.
Raoul Bertrand est « affecté spécial » pour la réserve de l’armée en raison de sa profession chez Amiot au moment de la mobilisation, mais cette « affectation spéciale » lui est retirée, comme elle l’a été pour la plupart des « affectés spéciaux » communistes et / ou syndicaliste, et il est envoyé au front jusqu’à l’armistice.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe. La nuit du  14 au 15 juin, de nombreuses troupes allemandes arrivent à Nanterre et Colombes.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Démobilisé, il trouve du travail dans une petite usine, passage Plantin, rue des Couronnes à Paris 20è, jusqu’en octobre 1940.
Il subit une première arrestation, pour une semaine, en octobre 1940, pendant laquelle il est retenu au commissariat de Puteaux.
Le 15 février 1941, il est de nouveau arrêté, interné à la Santé, d’où il sort le 23 mai 1941.
Il tente alors d’échapper à la surveillance de la police en se rendant dans les environs de Cherbourg. Mais comme il est impossible à son épouse de trouver du travail « pour faire vivre notre fille » écrit-elle, il doit revenir à Colombes en août 1941.
Pour la troisième fois il est arrêté, le 16 septembre 1941 par la Brigade spéciale des Renseignements généraux, interné à la Santé le 21 septembre 41 et remis à la Préfecture le 7 février 1942.

Registre journalier de la Brigade spéciale des RG, où il est mentionné avec Espargillière (ligne 3)

A la suite de l’arrestation le 13 septembre 1941 d’une militante communiste, Marie Dubois, les services de la Brigade Spéciale ont découvert lors de la perquisition à son domicile « une liste de militants communistes qui tenaient habituellement réunion dans un local (aujourd’hui détruit), au 12 bis rue de la Goutte d’or (Paris 18è). »
Parmi les 13 noms, quatre seront fusillés (Clément Toulza, Prual, Pointet et Chrétien), et Raoul Bertrand, Maurice Coulin et René Espargillière, seront comme lui déportés à Auschwitz.
D’autres communistes arrêtés seront également déportés ultérieurement dans d’autres camps : Marie Dubois, Catherine Le Morillon, Martin, Turpin,  Petit Gaston et Petit Marcel.

Le camp de Voves (ARMREL)

Raoul Bertrand est interné administrativement (sans condamnation) au Camp de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) ouvert le 5 janvier 1942.
Lire dans le site : Le camp de Voves

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Raoul Bertrand figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de 109 internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Raoul Bertrand est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Le numéro  « 45 234 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. De plus, la photo du déporté portant ce numéro matricule prise à Auschwitz lors de la séance d’immatriculation le 8 juillet 1942, n’a pas été retrouvée, aucune comparaison avec sa photo de 1940 n’est donc possible.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces).
Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

dessin de Franz Reisz

Raoul Bertrand meurt à Auschwitz le 21 octobre 1942 d’après les registres du camp.
Le titre de « déporté politique » lui a été attribué (N° 110 122 677).
Raoul Bertrand est homologué (GR 16 P 55376) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Sa veuve s’est remariée avec M. Chabanne, ancien interné, et habite chemin de  Blaizac, à Alboussère (Ardèche).

Sources

  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil du camp Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • La fiche établie dans les années 70, par Roger Arnould, archiviste à la FNDIRP

    Lettres de sa veuve à Roger Arnould (11 et 18 janvier 1972) et une photo d’identité, que celui-ci a agrafée sur une des cartes imprimées par la FNDIRP pour le convoi du 6 juillet 1942..

  • Témoignages de Jean Guilbert et de Georges Brumm.
  • Lettre de Robert Guérineau, ancien résistant (24 février 1991).
  • Archives municipales : acte de disparition établi le 17 juin 1946.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux, registres journaliers.

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016,  2019 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

3 Commentaires

  1. Mon arrière-grand-oncle, ma grand-mère maternelle m’en a parler très souvent, je connais une partie de son histoire, vous me transmettez la suite, c’est le plus beau des cadeaux. À moi de poursuivre les recherches.
    Merci Claudine et Pierre CARDON, votre biographie est somptueuse et précieuse à mes yeux.
    J’ai fait des découvertes qui vont me conduire à Auschwitz dont une correction à faire auprès du Musée en Pologne.
    J’ai retrouvé des photos précieuses de lui auprès de ma famille.
    Merci encore infiniment …

    Yoni ROCH

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