Matricule « 45 883 » à Auschwitz
Antoine Molinié : né à Chartres (Eure-et-Loir) ; domicilié à Nantes (Loire-Atlantique) ; mutilé de guerre, croix de guerre avec palme ; architecte ; militant communiste arrêté en décembre 1940, puis le 23 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz, où il meurt le 24 août 1942
Antoine Molinié est né au domicile de ses parents le 19 janvier 1894 à Chartres (Eure-et-Loir).
Il habite au 115 ou 116, boulevard Saint Aignan à Nantes (Loire-Atlantique) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Léontine, Angéline Martin, 27 ans, sage-femme, et d’Alexis Molinié, 32 ans, agent de police, son époux.
Ses parents habitent au 8, rue de la Mairie à Chartres.
Antoine a une sœur cadette, Denise, qui naît le 29 mars 1900 à Chartres.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Chartres au moment du conseil de révision et travaille comme journalier.
Il mesure 1m 63, a les cheveux châtains, les yeux bleus jaunâtre, le front moyen, le nez rectiligne. Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Ses parents ont déménagé au 14, rue de la Pie.
De la classe 1914, il est d’abord « exempté définitivement pour tuberculose pulmonaire, cachexie ». Mais, le 4 octobre 1914, la commission de réforme le classe « service armé » – arrêté du Ministre de la guerre du 15 septembre 1914 (2). Le 5 novembre, Antoine Molinié est incorporé au 129è Régiment d’infanterie. Après 3 mois d’instruction, il part « aux armées » le 17 février 1915. Il participe à la deuxième offensive d’Artois.
Le 22 juin 1915 lors des combats pour la reprise de la ville de Souchez (Pas-de-Calais), qui est en zone allemande depuis an, Antoine Molinié est blessé à la face par un éclat d’obus. Il est évacué. Il perd l’œil gauche. Ces combats ont été évoqués par Henri Barbusse et Jean Galtier-Boissière (2).
Le 11 décembre 1915, Antoine Molinié est cité à l’ordre de l’armée (Oj 2 .168) : « Très bon soldat, donnant toujours le bon exemple ».
Il reçoit la Médaille militaire à compter de cette date, et il est décoré de la Croix de guerre avec palme. Le 15 février 1916, la commission de réforme de Chartres le propose pour une pension de 5è classe pour « perte définitive de la vision de l’œil gauche par atrophie papillaire (…)». Le même jour, il est « réformé n° 1 » (décret ministériel).
La commission de réforme de Nantes lui attribuera un taux d’invalidité de 65 % porté à 75 % en 1938,
ouvrant droit à pension. Il reçoit une pension de 647 fr à compter du 20 avril 1917.
Membre de l’ARAC, il adhère aussi à l’Association des Mutilés des yeux. « Il s’occupait d’obtenir pour ses camarades « Mutilés des yeux », une pension décente. Il était secrétaire de l’association des Mutilés des yeux pour la Loire Inférieure, dont M. Carayol était président » (lettre de sa fille madame Pécot).
Antoine Molinié milite à la cellule communiste de Chantenay, près de Nantes. Il s’occupe notamment de l’accueil des réfugiés espagnols pendant et après la guerre d’Espagne.
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Nantes est occupée le 19 juin 1940 à midi. La Kommandantur juge l’esprit de collaboration » (Zusammenarbeit) de la mairie SFIO insuffisant et exige chaque jour 20 otages… Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Pendant l’occupation, il poursuit ses activités au sein du Parti communiste clandestin, rédige et distribue des tracts et des journaux clandestins.
Le 17 décembre 1940, Antoine Molinié est arrêté une première fois avec Pierre Gaudin (3), à la suite d’une lettre anonyme. Après une perquisition à son domicile, il est emprisonné à Nantes à la prison Lafayette, puis le 7 janvier 1941 au « centre de séjour surveillé du Croisic ».
« Le 11 décembre 1940, alors qu’une première série d’arrestations a déjà eu lieu, la Préfecture reçoit l’autorisation de la Feldkommandantur de Nantes de créer « un camp de concentration pour les communistes arrêtés par M. le Préfet dans la station balnéaire du Croisic »’.(…). L’ouverture du centre de séjour surveillé est prévue le mardi 7 janvier 1941. Le transfèrement des prisonniers de la prison Lafayette de Nantes vers Le Croisic se fait par camions et est assuré par la gendarmerie (…) A leur bord 18 détenus, 12 communistes et « 6 individus dangereux ». Ces derniers sont transférés le 20 février 1941 à la maison d’arrêt de Saint-Nazaire. Une note, en date du 15 janvier 1941 du préfet de la Loire-Inférieure à la délégation générale du gouvernement français en territoire occupé précise les identités des « militants communistes ou extrémistes». Parmi eux Antoine Molinié (in «La répression anticommuniste en Loire Inférieure», Op cité)« . Il est mis en liberté provisoire le 1er mai 1941, pour raisons de santé.
Antoine Molinié est arrêté de nouveau le 23 juin 1941. Cette arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici le camp du Champ de Mars de Nantes), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Antoine Molinié est interné au camp de Royallieu à Compiègne, le 13 juillet 1941 où il reçoit le n° matricule « 1242 » (Bâtiment A2, chambre 13). Il y côtoie Victor Dieulesaint qu’il a connu au camp du Champ de Mars à Nantes.
Dans ce camp, les communistes mettent en place un Comité des Loisirs qui sert également à organiser la solidarité et la résistance parmi les internés.
Antoine Molinié y donne des leçons d’architecture et participe aux cours de littérature, d’allemand (donnés par Georges Cogniot) et de breton. Lire dans le blog : Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne« .
Mon père était un architecte, mais aussi un littéraire ! Il aimait les arts, la peinture ; pendant son incarcération, il donnait des cours d’architecture et d’autre part recevait de M. Cogniot, professeur de Paris, des cours de littérature, des cours d’Allemand, de Breton » (Evelyne Molinié épouse Pécot).
Le 20 avril 1942, son nom est inscrit sur une des 2 listes de 36 et 20 otages envoyés par les services des districts militaires d’Angers et Dijon au Militärbefehlshaber in Frankreich (MbF), après l’attentat contre le train militaire 906 à Caen et suite au télégramme du MBF daté du 18/04/1942. Le Lieutenant-Général à Angers suggère de fusiller les otages dans l’ordre indiqué (extraits XLV-33 /C.D.J.C).Les noms de cinq militants d’autres départements, qui seront déportés à Auschwitz, figurent également sur ces 2 listes (André Flageollet, Jacques Hirtz, Alain Le Lay, René Pailolle, André Seigneur). 17 militants de Loire-Inférieure internés à Compiègne sont déclarés otages «fusillables ». 10 d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Alphonse Braud, Eugène Charles, Victor Dieulesaint, Paul Filoleau, André Forget, Louis Jouvin, André Lermite, Antoine Molinié, Gustave Raballand, et Jean Raynaud. Les sept autres internés déjà à Compiègne sont Maurice Briand (déporté à Sachsenhausen / décédé en 1943), Roger Gaborit (déporté à Buchenwald / rescapé), Jules Lambert (déporté par le convoi du 24 janvier 1944), François Lens (déporté à Sachsenhausen / décédé lors de l’évacuation en 1945), Jean-Baptiste Nau (déporté à Buchenwald où il décède), Raoul Roussel (mutilé de guerre). L’Abwehr-Angers confirme cette liste, dans un courrier du 19 mars 1942 (n° 6021/42 II C3).
Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Antoine Molinié est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Antoine Molinié est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 883 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Antoine Molinié meurt le 24 août 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Il est déclaré « Mort pour la France » le 5 mai 1947.
Son épouse reçoit en son nom un certificat d’appartenance à la Résistance Intérieure Française en date du 20 avril 1949 avec le grade fictif de soldat de deuxième classe, notifié par un arrêté du 7 décembre 1949, il est homologué comme « Déporté politique » (n° 110507747) et non «Déporté Résistant».
Son épouse n’a jamais eu de renseignements au moment de son départ pour Auschwitz « il a fallu faire face, seule malgré la maladie. Nous avons été sinistrées le 23 septembre 1943 et sommes parties à Paris » (sa fille, madame Evelyne Molinié épouse Pécot).
- Note 1 : Œuvre d’Henry Leray, huile sur carton 105.5 x 78.8, acquise le 2 mai 1982 par le Musée des beaux arts de Nantes. Correspondance avec M. Vincent Rousseau, conservateur.
Note 2 : Henri Barbusse : chapitre XII du « Feu » et Jean Galtier Boissière, fondateur du Crapouillot et collaborateur du Canard Enchaîné, auteur de : « un hiver à Souchez (1915-1916)». Lire les citations dans Wikipédia.
Note 3 : Pierre Gaudin né le 20 octobre 1902. Trésorier, puis secrétaire du syndicat de la métallurgie de Nantes, membre du bureau de l’Union régionale des syndicats CGTU. Il resta trésorier du syndicat réunifié CGT de la Métallurgie de Nantes de janvier 1936 au 18 décembre 1939, date de sa mobilisation. Membre du bureau régional du Parti communiste de janvier 1934 à août 1939. Arrêté le 17 décembre 1940 avec Antoine Molinié. CSS du Croisic, puis camp de Châteaubriant, d’où il s’évade.
Repris à Chaville fin 1942, il est condamné à 3 ans de prison : Santé, centrale d’Eysse, où il participe à l’insurrection. Il est déporté à Dachau le 18 juin 1944. Transféré à Mauthausen, il est libéré à Loibl Pass en 1945 (d’après notice du Maitron, Claude Geslin).
Sources
- Témoignages d’Eugène Charles et Gustave Raballand.
- Questionnaire rempli par sa fille Evelyne Molinié, épouse Pécot, le 19 novembre 1990.
- « La répression anticommuniste en Loire Inférieure » Dominique Bloyet et Jean Pierre Sauvage, Geste éditions.
- Notification « Mort pour la France » du 10 janvier 1950.
- Attestation d’appartenance au Front National pour la libération et l’indépendance de la France du 2 octobre 1946
- Certificat d’appartenance à la Résistance Française Intérieure du 20 avril 1949.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
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© Musée d’Auschwitz Birkenau. L’entrée du camp d’Auschwitz 1.
- Liste des 17 otages nantais (transmise par M. Louis Oury) LA 3840 et LA 3014.
Notice biographique (complétée en 2016, 2018, 2021 et 2024) rédigée en 2002 et mise à jour pour l’exposition de 2009 de la FMD de Nantes par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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