Les premiers prisonniers politiques, essentiellement communistes et syndicalistes sont internés au Frontstalag 122 de Compiègne le 27 juin 1941 (1) à la suite des rafles opérées par l'occupant allemand après l’attaque de l’Union Soviétique, cinq jours auparavant.
Dessin du camp de Compiègne, par Julien Villette, jeune communiste de Maromme déporté et mort à Auschwitz

Dès leur arrivée à Compiègne, les communistes mettent en place une organisation en « triangles », dont la direction est d’abord assurée par Georges Cogniot, agrégé d’Allemand, ancien rédacteur au journal l’Humanité, et l’avocat Michel Rolnikas. Affaibli par la maladie, Georges Cogniot s’entend avec Michel Rolnikas pour que celui-ci dirige « le travail politique » et devienne le Lagerältester (« doyen du camp »).

Cours d’allemand donnés par Michel Rolnikas, cahier d’Emille Drouillas

Sous leur impulsion commune la direction communiste clandestine se donne deux objectifs : maintenir le moral et la combativité des internés et améliorer leurs conditions de détention.
Mais le 19 septembre 1941, Michel Rolnikas est emmené pour être fusillé le lendemain, comme otage (2), au Mont-Valérien.
Georges Cogniot devient alors Lagerältester et la direction du triangle de direction du Parti communiste clandestin est composée avec lui de Georges Varenne et de Roger Poujol ancien instituteur à Petit-Couronne (il sera déporté à Buchenwald en 1943).
Maurice Rideau, rescapé du convoi, raconte les feintes parties de belote qui cachent des réunions entre responsables de la Résistance clandestine : « elles se tenaient dans la chambrée de Georges Varenne, avec Yves Jahan et deux autres camarades. Un cinquième faisait le guet ».

Emploi du temps des cours © Mémorial de l’internement et de la déportation à Compiègne

Pour assurer la vie interne du camp des politiques, un « Comité » officiel est mis en place. Celui-ci s’occupe de l’application des règlements, de la caisse de solidarité, de l’organisation de cours (langues étrangères, espéranto, mathématiques, dessin, histoire et géographie, techniques) : nombre de futurs « 45 000 »(nom donné aux déportés du 6 juillet 1942 à Auschwitz) s’inscrivent à plusieurs cours dont ils envoient les cahiers à leur famille avant leur départ en déportation.

Quelques-uns en sont également les professeurs, car appel est fait à toutes les compétences : non seulement à celles des enseignants de métier, comme Pierre LavigneAlphonse Braud,  Roger Godeau, Yves JahanAndré LermiteGeorges Varenne, mais aussi à celles de l’architecte Antoine Molinié, du marin-pêcheur Charles Delaby, secrétaire du syndicat CGT des pêcheurs de Dieppe etc…

Le Comité s’occupe de l’organisation de la pratique et de rencontres sportives, des jeux et des loisirs : « Le théâtre fonctionne deux ou trois fois par semaine, même le jour ou le lendemain où les Boches venaient

Cahier d’Emile Drouillas

chercher des camarades pour les fusiller » écrit Claude Chassepot dans son journal. « C’est pour remonter le moral des autres et pour prouver aux Boches combien, nous Français, nous avions du courage, même au pied de la mort » (René Maquenhen).

François Poirmeur, dans son livre « Compiègne 1939-1945 », page 114, raconte qu’un concours de poésie eut lieu au FT 122, dont les prix furent décernés le 1er septembre 1941 par un jury composé « du professeur Jahan, de la Sorbonne et de Georges Cogniot, agrégé de l’Université, rédacteur au journal l’Humanité« .

Charles Renaud, objets en cuir

Des expositions d’objets fabriqués par les détenus alimentent la caisse de solidarité, créée dès juillet 1941.

A cette date, une liste de souscription circule dans la chambre 6 du bâtiment A5 : « Camarades, portez toujours plus haut l’effort de solidarité. Grâce aux
versements des cotisations de la deuxième quinzaine de juillet nous avons pu répartir 65 frs entre 3 familles de camarades, totalisant 13 enfants, qui sont dans une poignante détresse. En outre, nous avons réparti diverses denrées entre 80 camarades environ, dont la situation ne leur permet pas de recevoir des colis. Nous présentons deux camarades (…) que nous jugeons dignes de recevoir des secours de la caisse de solidarité ». 

La caisse de solidarité du bâtiment A5

Il faut savoir en effet que les nouveaux détenus n’ont pas le droit d’écrire avant un mois, ni de recevoir des colis. Or le contenu de ces colis est indispensable pour compléter la maigre nourriture du camp. La solidarité envers les plus démunis, entre « camarades », est une des données fondamentales de la culture communiste et des pratiques du monde ouvrier d’avant-guerre.

A Compiègne, la caisse de solidarité lui confère un statut quasi officiel et une grande efficacité : Je me souviens – écrit Georges Cogniot – que, du 1er février au 15 mars 1942, elle acheta, par l’intermédiaire de la cantine, pour 4850 francs de denrées, qui furent réparties entre 220 internés dénués de ressources ou nouveaux arrivants. La caisse, à cette date du 15 mars, avait envoyé, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, 175 secours à des familles d’internés pour une somme de 46000 francs. La caisse, à laquelle se dévouaient des camarades comme René Roux de l’Eure, jouait un rôle essentiel pour le maintien de la cohésion morale des détenus ».

Pour Noël 1941 et le jour de l’An 1942, dans chaque baraquement, les internés organisent des « repas fraternels » auxquels le contenu des colis vient apporter une note de fête.

Le menu de Gabriel Torralba

Les menus sont inscrits sur des cartes décorées à la main – chaumière sous la neige, vues du camp ou tout autre dessin inspiré par l’imagination du dessinateur -.
Le « groupe solidarité alimentaire », de la chambre 3 du bâtiment A1, place en haut de son menu du 4 mai 1942, la devise : Ici l’égoïsme est banni.

Le vol aussi est banni, comme l’explique Jules Huon dans une lettre où il décrit l’atmosphère du camp en juin 1942 : « Il y a une grande solidarité qui joue. Une discipline de fer. Il y a une police pour les vols. Sanction : privé de tabac pendant un mois par exemple et puis on fait défiler le voleur devant tous les camarades à l’appel du soir ».

Les cours théoriques

Répétitions, cours de plusieurs niveaux ou conférence sont donnés dans les baraques A1 et E2 du lundi au samedi.
Le relevé ci-dessous n’est pas exhaustif : il correspond aux relevés des notices biographiques des « 45000 » qui en furent les professeurs ou les élèves et à l’emploi du temps d’une semaine affiché sur un mur au Mémorial de l’internement et de la déportation à Compiègne. La notice biographique de ces « 45000 » est consultable dans le site en cliquant sur le lien.
La plupart des autres internés donnant ces cours furent déportés ultérieurement.

Français 
Littérature française : Georges Cogniot (dirigeant du Parti communiste, doyen du camp, évadé de Compiègne le 22 juin 1942), et  Yves Jahan
Histoire de la littérature : Georges Cogniot,
Initiation au Français : Petit, Georges Varenne, Pierre Lavigne
Français moyen : Alphonse Braud, Pierre Lavigne
Français supérieur : André Leguillette (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943, rescapé).
Français langue étrangère : Henri Gorgue, ancien Brigadiste, (45.617), pour les Espagnols et Italiens.

Historique de la Commune, cahier de Guy Lecrux

Philo et psycho 
Psychologie : Yves Jahan 
Histoire et 
Géographie
Histoire de la commune : Georges Cogniot.
Géographie générale : André Lioret
Mathématiques
Arithmétique élémentaire :
Aristide Pouilloux (instituteur à Châtellerault, déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). André Lermite, Maxime Couhier (instituteur à Dijon, hospitalisé en 1943 pour
tuberculose, puis libéré. Membre du comité fondateur du FN à Dijon).
Arithmétique supérieur : Chermitt
Algèbre supérieur : André Lermite, Maxime Couhier
Géométrie supérieure : André Lermite
Technologie, sciences
Technologie : Roger Bonnifet 
Electricité TSF : Hubert
Sciences naturellesRoger Gaudeau
Sténographie: Léonard
Comptabilité : Gustave Depriester (45000) de Paris 18ème
Dessin industriel : Roger Bonnifet 
Chimie : Perreau
Architecture : Antoine Molinié 
La pêche : Charles Delaby 
Droit
Droit municipal : Georges Le Bigot (45000) maire-ajoint de Villejuif, Antoine Hajje, (avocat, fusillé par les Allemands comme otage le 20 septembre 1941).
Législation ouvrière : Antoine Hajje (fusillé par les Allemands comme otage le 20 septembre 1941).
Droit ouvrier : André Tollet (dirigeant de la CGT, évadé de Compiègne le 22 juin 1942)
Droit maritime : Charles Delaby 
Droit et accidents du travail. Maurice Boitel (avocat).

Cahier d’italien de Guy Lecrux

Langues
Allemand :
Michel Rolnikas (doyen du camp, avocat, fusillé par les Allemands comme otage le 20 septembre 1941), Georges Cogniot,.
Italien élémentaire : Volterra
Italien supérieur : Volterra
Espéranto : Marcel Boubou 
Espagnol élémentaire : Bessières
Espagnol supérieur : Bessières
Latin élémentaire : Yves Jahan
Breton : Antoine Molinié 
Anglais élémentaire : Aristide Pouilloux, Comlar
Répétition anglais : Aristide Pouilloux
Anglais moyen : Comlar
Russe élémentaire : Georges Cogniot
Russe répétitions : A. Rostain
Dessin d’art : Roger Gaudeau 
Solfège : Poujol

 

Pierre Cardon et Claudine Cardon-Hamet, Docteure en histoire, auteure des ouvrages « Triangles rouges à Auschwitz » et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 ». En cas de reproduction partielle ou totale de cet article, prière de citer les coordonnées du site https://deportes-politiques-auschwitz.fr

  • Note 1 : Cette date marque l’ouverture effective du camp de Compiègne en tant que camp de police allemand. Ce que confirme André Poirmeur qui écrit « en juin 1941 ce sont des élus et des militants communistes ou syndicalistes» dans son ouvrage « Compiègne
    1939-1945
    ». Selon Adam Rutkowski, le Centre de recherche géré par le Comité international de la Croix-Rouge à Arolsen considère le 20 août 1941 comme « date initiale de l’existence de ce camp« . Il se fonde sur la date à laquelle le camp de Compiègne est mentionné dans des documents allemands pour la première fois (Adam Rutkowski, op. cit. p. 126). Or nous savons que Daniel Yol arrive au camp le 27 juin 1941 avec plusieurs dizaines d’autres communistes de la Seine… et il est alors immatriculé dans les derniers sous le numéro 122.
    Note 2 : En représailles d’un attentat commis le 6 septembre, boulevard de Strasbourg

Sources : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris, pages 91 à 94.

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