80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Reproduction des pages 126 à 129 du livre « Triangles rouges à Auschwitz »
Les sources documentaires disponibles ne permettent pas de fournir une statistique complète de la mortalité au sein du convoi des « 45 000 ». Il n'a pas été possible de reconstituer entièrement la liste de départ : une quinzaine de noms restent ignorés à ce jour. Mais surtout, les SS ayant détruit en 1944 et 1945 une grande partie de leurs archives afin d'effacer la trace de leurs crimes, 890 dates de décès seulement ont pu être établies pour les 1 051 « 45 000 » morts en déportation. La majorité d'entre elles figurent dans Les Livres des morts d'Auschwitz, publiés par le musée d'État d'Auschwitz-Birkenau.
Cependant ce recensement reste partiel puisqu’il contient uniquement 69 000 noms. Il a été réalisé principalement à partir des attestations de décès transmises entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943 par les autorités SS au services de l’état civil de la ville d’Auschwitz. Ces actes de décès ne concernent que les détenus enregistrés dans Ie camp principal et dans les camps annexes, excluant ainsi le million de déportés Juifs conduits dès leur arrivée vers les chambres à gaz. De plus certains de ces registres sont manquants ou détériorés. Pour ce qui concerne la détention des « 45 000 » à Auschwitz, les décès intervenus entre le 12 novembre et le 5 décembre 1942, les 14 et 29 décembre, les 7 et 16 février 1943, le 1er et le 14 avril, les 4 et 17 juin, le 8 août et le 13 octobre 1943 ne figurent pas dans cet ouvrage.
À l’exception toutefois de ceux mentionnés dans d’autres documents du camp.
II faut ajouter que certaines de ces dates de décès ne sont pas exactes : des erreurs étaient commises au moment de leur inscription ou de leur relevé sur les registres des camps, dans la mesure où certaines indications étaient difficiles à déchiffrer, et d’autres involontairement ou volontairement étaient erronées. Il arrivait, par exemple, que les infirmiers du « Revier » réussissent à échanger le matricule d’un malade sélectionné la veille pour la chambre à gaz avec celui d’un détenu mort pendant la nuit. Par ailleurs, le recensement des morts, à l’infirmerie ou après une sélection importante, s’étalait sur plusieurs jours.
Cet étalement était volontaire afin de ne pas attirer l’attention des autorités civiles et de l’opinion publique sur l’importance de la mortalité à Auschwitz. (Pour la même raison, la Kommandantur du KL d‘Auschwitz avait ordonné en 1941 que les détenus victimes d’une « sélection » ou d’une exécution soient déclarés à l’état civil décédés des suites d’une maladie ou de mort naturelle).
En conséquence, le registre des effectifs du camp ne mentionne pas toujours le nombre exact de décès de chaque jour, qui se retrouve néanmoins dans leur récapitulation mensuelle.
Les dates officielles de disparition des « 45 000 » fournies par l’état civil français n’ont pas été prises en considération dans l’ouvrage, car la majorité d’entre elles sont fictives. En effet, lors de l’établissement des certificats de disparition, le ministère des Anciens Combattants et des Victimes de guerre a dû, en l’absence de documents originaux, faire appel aux souvenirs des rescapés. Or, bien souvent, les déportés n’ont pu indiquer une date précise : soit parce qu’ils manquaient de point de repère soit parce qu’ils n’avaient pas assisté à leur mort en raison de l’éparpillement du convoi dans la multitude des blocks et des kommandos d’Auschwitz-1 et de Birkenau ou encore à cause de leur entrée au « Revier ». En conséquence, dans de nombreux cas, les renseignements donnés reposaient sur des on-dit ou sur de simples estimations. À partir de ces indications, les juges français chargés d’établir les actes de disparition arrêtèrent une date pour l’état civil. Par la suite, des rectifications furent faites à l’initiative du ministère des Anciens Combattants (ou à la demande des familles) lorsque l’on disposait de sources nouvelles, communiquées par le service des recherches géré par la Croix-Rouge internationale.
Les dates fictives se reconnaissent, généralement, à ce qu’elles ont été fixées au premier, au quinzième ou au dernier jour du mois, en ce qui concerne les déportés non juifs.
C’est ainsi que de très nombreux « 45 000 » ont été déclarés morts à Auschwitz au 15 septembre, au 15 octobre 1942 ou au 1er janvier 1943.
Pour cette raison, des écarts importants ont été constatés entre les dates de décès enregistrées par l’état civil français et les dates réelles de disparition des « 45 000 ». Par exemple sur 79 cas que nous avons répertoriés, 24 (soit plus d’un tiers) accusent un intervalle de plus de deux mois ; la différence peut aller jusqu’à six mois, voire un an, ou même davantage. La plupart du temps le décès est intervenu avant la date présumée de disparition. Mais l’inverse est également possible.
C’est ainsi que Louis Daëns, dont la mort a été fixée par l’état civil français au 15 octobre 1942, figure dans le registre de l’un des blocks de l’infirmerie d’Auschwitz au 1er janvier 1943 et est mort le 9 février 1943.
Il faut enfin savoir que dix-sept « 45 000 » ont été officiellement portés disparus en France les 28 avril, 5, 6 ou 7 juillet 1942 et que plusieurs sont considérés comme morts à Compiègne.
On dispose pour les quatre premiers mois de détention des « 45 000 » à Auschwitz d’une série continue (sans exclure l’existence de quelques lacunes).
La mort a commencé son œuvre dès les premiers mois. À la fin juillet, vingt-quatre « 45 000 » avaient déjà disparus. Le mois d’août est encore plus meurtrier : 279 morts dont 142 entre le 8 et le 19 août.
En septembre 1942, 301 nouveaux morts, dont 146 en deux jours, les 18 et 19 septembre.
Ainsi, plus de la moitié des « 45 000 » meurent au cours des trois premiers mois !
Pour les mois suivants, les archives d’Auschwitz sont fragmentaires. On peut néanmoins se fier à la concordance des témoignages de survivants. Tous se souviennent que leurs rangs se sont rapidement éclaircis.
Gabriel Lejard constate qu’en novembre 1942 il reste le seul de la cinquantaine de Français entrés avec lui au block 17.
Georges Gourdon fait la même remarque : « Ayant travaillé d’août 1942 à janvier 43 à la confection de la route qui relie Auschwitz à Birkenau, je crois qu’à la fin 42 nous étions deux survivants de ce kommando, sur une cinquantaine de Français qui y travaillèrent pendant six mois ».
Les chiffres globaux indiqués par les rescapés et notamment par Roger Abada, qui s’est efforcé à partir de décembre 1942 de faire le recensement des « 45 000 » ayant réussi à survivre, viennent confirmer ces témoignages.
À la fin de l’année 1942, ils n’étaient plus que 219. Quatre-vingts pour cent des « 45 000 » étaient déjà morts.
Cet épouvantable taux de mortalité s’explique principalement par le régime général d’Auschwitz en 1942.
Claudine Cardon-Hamet
Les cinquante otages juifs
« Les victimes les plus menacées par [les] actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les cinquante et un "45 000" morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l'arrivée, 34 d'entre eux avaient perdu la vie (soit 68 % de leur nombre total) ; dans le même temps, 142 "45 000", appartenant aux autres catégories d'otages, avaient disparu, soit 13 % d'entre eux. La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des «45 000» rescapés ». (Claudine Cardon-Hamet dans Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, pages 145-146).
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