Henri Charlier, lettres de la prison de Pontoise et du camp d’Aincourt

Henri Charlier : né en 1900 à Besmont (Aisne) ; domicilié au Blanc-Mesnil (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis) ; ouvrier agricole, puis mouleur en fonte ; communiste ; arrêté le 18 septembre 1940 ; condamné à 6 mois de prison + 4 par un tribunal militaire allemand (Pontoise); interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; Gross-Rosen, Mauthausen, Dachau ; décédé le 11 décembre 1952. 

Henri Charlier écrit à sa famille depuis la maison d’arrêt de Pontoise. Sa petite fille, Cécile Charlier, nous a communiqué les lettres qu’il a envoyées à sa fille Simone. cette correspondance évidemment très personnelle éclaire néanmoins sur la vie dans la prison et les espoirs de libération qui furent communes à tous les militants incarcérés.

Lettre à sa fille Simone / 7 avril 1941

Le 7 avril 1941, prison de Pontoise. Henri Charlier écrit à Simone en réponse à son petit mot du 30 février.
Il lui dit qu’il est en bonne santé et que le moral est assez bon, et lui demande de communiquer ces nouvelles à sa mère (le nombre de lettres est limité à la Maison d’arrêt). Il lui dit avoir vu « le père Gallet » en allant aux douches. Il recommande à Simone de dire à sa mère de ne pas lui envoyer d’argent, car « il en a encore ». Il lui dit de s’acheter un peu de pain tous les matins et qu’il s’est commandé des topinambours à l’huile et au vinaigre, car ses réserves commencent à s’épuiser et qu’il commence à avoir « le ventre dans les talons ».
Il parle lui de son frère « Tu diras à Riri que c’est un petit fainéant, car il avait dit qu’il m’écrirait, mais je n’ai toujours pas reçu sa lettre. Il est vrai qu’il n’a pas beaucoup de temps car il ne pense qu’à jouer » (Henri est le cadet de Simone). Il parle aussi de leur chienne (ou chatte) « Tu me dis que Miquette a fait un de ses tours chez les voisins, mais elle tient de la famille, elle est assez propre et ne laisse rien trainer ! Ils n’ont pas dû être contents… Elle a dû trouver que c’était bien meilleur que la soupe au son ».

Lettre à sa fille Simone / 7 avril / verso

« Je te dirais que nous attendons toujours de passer au tribunal, comme je l’ai dit à ta mère. Il paraît que c’est pour le 18 de ce mois. Je voudrais bien, je t’assure. Ta mère m’a dit que tu ferais ton possible pour venir le jour du jugement, et que tu viendrais à vélo avec Riri, et qu’elle viendrait par le train. Je te dirais que messieurs les juges ne sont pas trop méchants et je compte rentrer avec ta mère à Blanc-Mesnil, près de vous. Car tu sais ma petite Simone, ça commence à me sembler bien long, depuis 7 mois que je suis là, tu dois bien le comprendre toi aussi ma chère petite ».
« Ta mère me dit que ton boulot ne marche pas trop fort en ce moment, mais ma petite, il ne faut pas trop t’en faire, car c’est toujours mieux de travailler que d’être au chômage par les temps qui courent ». « Tu me racontes que notre quartier est toujours aussi calme et que grand-mère sort toujours dans son petit coin. Tu leurs diras bien des choses de ma part, et que j’attends la classe (la libération en argot militaire) avec impatience et que je compte rentrer bientôt. Tu me dis que Caron est rentré : il en a de la veine (…). Ma petite Simone, embrasse bien ta petite mère pour moi et aussi ton petit-frère ».

Lettre à Simone, 14 avril 1941, recto

Le 14 avril 1941, prison de Pontoise, lettre à Simone.

« Je viens bavarder un peu avec toi et en même temps te remercier de ta gentille lettre que j’ai reçue hier et qui m’a bien fait plaisir de vous savoir tous en bonne santé et de voir que tous avaient bon moral. Quant à moi, ça va toujours à peu près. Je n’ai pas trop le cafard, depuis que nous savons que nous devons passer (en jugement) le 23. Ça va beaucoup mieux et je t’assure ma petite que je compte les jours avec impatience. C’est du 8 au jus comme on disait au régiment. Et ce jour vient lentement et surement. Passé ce jour peut-être serons-nous à la maison, ou bien faudra-t-il encore rester en ce lieu ?

Lettre à Simone, 14 avril 1941, verso

C’est bien ce qui nous inquiète, car vois-tu ma petite, j’ai l’impression que nous ne serons pas quittes. Car comme je l’ai dit à ta petite mère, c’est les 4 mois que j’ai eu par les Allemands.
Une supposition que le tribunal français me condamne à 6 mois et ne fasse pas la confusion de peine, il me resterait encore près de deux mois à rester ici. Alors tu vois ma petite que le calvaire qui m’est imposé ici n’est pas encore terminé. Enfin en attendant d’être passé par là pour en avoir le cœur net, mais n’importe comment, je ne pense pas rentrer ce jour-là en même temps que vous. Et pourtant de voir par les barreaux de ma cellule le beau temps qu’il fait dehors, je t’assure que je voudrais être sorti d’ici et au moins je pourrais respirer le bon air qui fait dehors ».

Il change de sujet et questionne sa fille sur les petits lapins et sur le besoin de leur trouver de quoi brouter. « Tu me dis que Riri est en vacances. Il pourrait aller leur ramasser des herbes dans les champs » et il continue « dis-lui qu’il pense un peu à moi, et que j’attends toujours ma petite lettre ». Il poursuit sur les fêtes de Pâques et les cloches qui n’ont pas arrêté de sonner « et je te dis que ce doit être un sacré pays de bigots ce Pontoise ». Il poursuit en revenant sur la date du jugement où il espère bien les voir et les embrasser.

25 mai 1941, prison de Pontoise

Henri Charlier fait réponse à la petite lettre de sa fille, et comme le font tous les détenus ou internés dont nous avons pu lire les lettres, il l’assure qu’il n’a pas trop le cafard et qu’il est en bonne santé. Il croit toujours être bientôt libéré : « je te dirais que la classe vient petit à petit. Car encore 10 jours et je pense bien être parmi vous et pouvoir respirer l’air du Blanc-Mesnil ».
Comme sa fille lui a écrit que son petit frère Riri n’était pas content de la cantine, il répond « tu n’as qu’à lui dire qu’il vienne prendre ma place ici et alors il verrait la différence avec la cantine ». 

Le 29 mai 1941, le préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevalier, demande par écrit au commissariat central d’Aulnay-sous-Bois de lui donner un avis sur l’opportunité d’une mesure d’internement concernant Henri Charlier, libérable le 3 juin suivant. Le 2 juin, le commissaire du Blanc-Mesnil répond : « Charlier reprendrait sa propagande s’il était relâché » et « il est prudent de prendre à son égard un arrêté d’internement ». A l’expiration de sa peine d’emprisonnement Henri Charlier n’est donc pas libéré.

Le Préfet de Seine-et-Oise ordonne son internement administratif au camp d’Aincourt en application de la Loi du 3 septembre 1940 (1). De la prison de Pontoise, il est donc transféré au camp d’Aincourt le 5 juin 1941.
Lire dans le site : Le camp d’Aincourt.

Carte envoyée du camp d’Aincourt à Simone

Carte du camp d’Aincourt.

Sur la carte postale d’Aincourt qu’il envoie à sa fille, il a écrit la date du 12 mai 1941, mais s’est manifestement trompé, les documents administratifs cités plus haut (Préfet et commissariat du Blanc-Mesnil) indiquant qu’il n’est à Aincourt qu’à partir du 5 juin 1941.
Dans cette carte il écrit qu’il est toujours en bonne santé « et tu sais le moral est très bon, car ici je suis avec des bons camarades. Et tu sais je suis surtout mieux qu’à Pontoise. Il n’y a même pas de comparaison. Nous sommes de fait mieux nourris ».
Il espère que « son boulot marche bien et qu’elle n’a pas trop la poisse avec son vélo« . Il la charge d’embrasser sa famille pour lui.

Le 27 juin 1941 Henri Charlier fait partie du groupe de 88 internés d’Aincourt qui sont transférés au camp allemand de Compiègne (référence mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin).

 

 

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