Roger Bataille à Auschwitz le 8 juillet 1942
Carte personnelle à Flossenbürg

Matricule « 45.204 » à Auschwitz

Rescapé

Roger Bataille : né à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) en 1906 ; domicilié à Boulogne-Billancourt (Seine) ; mécanicien-chaudronnier ; communiste ; arrêté le 20 janvier 1941 ; interné aux camps de Clairvaux , Rouillé et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Gross-Rosen, Hersbruck, Dachau ; rescapé ; décédé en 1973

Roger Bataille est né à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) le 16 février 1906 (1).  Il habite au 50, rue Georges Sorel à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts de Seine) au moment de son arrestation. Il est le fils de Rose, Augustine, Marie Lelardoux, 22 ans et d’Alphonse François, Marie, Bataille, 32 ans, employé aux Ponts et Chaussées, son époux.
Il épouse Émilienne Staath le 4 octobre 1928 à Vitry sur Seine (elle est née Charliot en 1908, légitimée par le mariage de sa mère en 1919). Le couple habite au 32, rue Gévelot à Issy-les-Moulineaux (Seine / Hauts-de-Seine). De janvier 1935 à janvier 1938, ils habitent au 14 rue Maître-Albert à Paris 5ème, près des quais de Seine.
De 1934 à 1935, puis de juillet 1936 à décembre 1938, il est mécanicien-chaudronnier aux usines Renault. Adhérent au Parti communiste, il milite à la cellule de l‘atelier 331. Émilienne, également militante, travaille à l’atelier 309. Ils sont tous les deux licenciés à la suite de la grève du 30 novembre 1938.

Extrait de la liste de renseignements concernant les internés adressée par la Sûreté  au directeur de Clairvaux

On sait par sa fiche de renseignements de la Sureté à Clairvaux, qu’il est un « communiste notoire, meneur très actif. Avait été licencié des usines Renault lors de la grève de novembre 1938« . En 1939, il est inscrit sur les listes électorales de Boulogne-Billancourt (50 rue Georges Sorel).

En mars 1939, Roger Bataille retrouve du travail chez Farman (SNCAC, Société nationale de constructions aéronautiques du Centre), quai de
Boulogne à Billancourt. Quand la guerre est déclarée, il y est mobilisé en tant qu’ « affecté spécial » tableau III , l’usine relevant de la Défense nationale. Après la dissolution du Parti communiste il est soupçonné par le commissaire de police de Boulogne-Billancourt de transmission de mots
d’ordre communistes « Une grande partie des ouvriers subissent l’influence de meneurs communistes » (note blanche des RG, qui mentionne des sabotages dissimulés).

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Sans doute à cause des soupçons de sabotages par les communistes chez Farman, avant l’occupation, il n’est pas réembauché après la défaite. Il retrouve du travail comme chaudronnier-tuyauteur au garage Beaudoin, 13, rue de Varize à Paris 16ème, d’octobre 1940 à janvier 1941. A partir de ce mois il est inscrit au « fonds national de chômage » section de Boulogne. Le 20 novembre 1940, le commissaire de police de Boulogne-Billancourt a fait parvenir au directeur des Renseignements généraux un rapport signalant Roger Bataille « aux fins d’internement… communiste acharné, continuant son activité ».

Roger Bataille est arrêté le 20 janvier 1941 comme « communiste notoire » à Boulogne-sur Seine avec 68 autres militants communistes de la région parisienne (l’arrêté du Préfet de police de Paris ordonnant son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940, est daté de ce jour). Il est transféré à la Maison centrale de Clairvaux, située à environ 15 kilomètres de Bar-sur-Aube (Aube-10) à 270 km de Paris. Lire dans le site : La maison centrale de Clairvaux.
Lors de leur transfert pour la Maison centrale de Clairvaux, les 69 hommes sont rejoints à la gare de l’Est par un autre groupe de communistes internés à Fontevraud qui ont transité par les gares de Saumur et d’Austerlitz. A leur arrivée à « l’arrêt Clairvaux » de la gare de Ville-sous-la-Ferté, ils sont transférés au camp par rotations d’un unique wagon cellulaire, escortés par des gardes mobiles (souvenirs de Pierre Kaldor et d’Henri Hannart).

A Clairvaux le directeur du camp reçoit le 26 février 1941, via le préfet de police de l’Aube, un courrier émanant du Préfet de police délégué (Camille Marchand) – une liste répertoriée « confidentiel » de militants internés le 20 janvier, dont le nom est accompagné des motifs de l’arrestation (voir document cité plus haut).

Le 26 septembre 1941 il est transféré au camp de séjour surveillé de Rouillé (2), au sein d’un groupe de 53 internés – parmi eux Marcel Boulanger, Guy Camus, Eugène Degdier, Marcel Deschamps, Emile Obel, Maurice Raimond, Henri Riochet, Jean Thomas, Louis Welscher qui seront déportés avec lui à Auschwitz. Ils arrivent au camp le 27 septembre.

Depuis Rouillé, il est remis aux autorités allemandes à leur demande le 22 mai 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Roger Bataille est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Roger Bataille est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro 45204. Ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Le 13 juillet : Nous sommes interrogés sur nos professions. Les spécialistes dont ils ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et s’en retournent à Auschwitz I, ils sont approximativement la moitié de ceux qui restaient de notre convoi (…). Pierre Monjault.

Chaudronnier de métier, Roger Bataille est affecté au Block 15 A, au camp principal Auschwitz 1.

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Roger Bataille, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11.  Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Le 3 août 1944, il est à nouveau placé en “quarantaine”, au Block 10, avec les trois quarts des “45000”d’Auschwitz pour être transférés vers d’autres camps (ce qu’ils ignorent). Un groupe de 31 est transféré le 28 août pour Flossenbürg, un autre groupe de 30 pour Sachsenhausen le 29 août 1944. Un troisième groupe de 30 quitte Auschwitz pour Gross-Rosen le 7 septembre.

Liste rédigée par Georges Beckman, un « 45.000 » hollandais qui parle allemand, qui est le Blockschreiber

Le 7 septembre 1944, il est transféré à Gross-Rosen avec 29 autres « 45000 ». Il y est enregistré sous le matricule « 40 971 » ou « 84.257 » (carte personnelle in doc Arolsen). Après leur quarantaine, les « 45 000 » sont répartis dans divers kommandos dont une dizaine sont affectés aux usines Siemens.
Le 9 février 1945, le camp de Gross-Rosen est évacué sur plusieurs camps : entre le 9 et le 11 février 1945, dix-huit « 45 000 » sont transférés à Hersbrück où ils sont enregistrés : Roger Bataille y reçoit le matricule « 84 303 ».

Le 8 avril 1945, les dix-sept «45 000» restants (René Bordy est décédé à l’infirmerie) partent à pied de Hersbrück pour Dachau, où ils arrivent, le 24 avril 1945. Il y est affecté au Block 15.

Ils sont libérés le 29 avril 1945 par les troupes américaines. Il est rapatrié le 30 mai 1945 par le Centre N°16.

Il a été homologué « Déporté politique ». Il est homologué (GR 16 P 37610) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Roger Bataille est décédé le 20 décembre 1973 au Centre René Huguenin à Ecquevilly (Yvelines).

On lira également l’article du site : 26 ouvriers de chez Renault déportés à Auschwitz

  • Note 1 : le 16 février 1906 est la date de naissance figurant sur son acte de naissance à Saint Malo et sur l’acte de décès établi à partir des minutes des actes de la mairie d’Ecquevilly. La date du 16 mars 1906 figurant sur la liste de renseignements des internés adressée par la Sûreté au directeur de Clairvaux en 1941 est donc une erreur de transcription. 
  • Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
  • Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Mairie de Boulogne-sur-Seine
  • Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (déclarations faites lors du rapatriement).
  • Archives de la préfecture de police de Paris. BA 2397 et suivants, dossier individuel des Renseignements généraux.  

Notice biographique (complétée en 2016, 2019 et 2021), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cettenotice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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