Matricule « 45 731 à Auschwitz »
Constant Launay : né en 1898 à Guipry (Ille-et-Vilaine) ; domicilié à Clichy-la-Garenne (Seine) ; cheminot ; cégétiste et communiste ; arrêté le 23 octobre 1940, libéré de la Santé le 1er novembre ; arrêté à nouveau le 6 décembre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 10 août 1942.
Constant Launay est né le 17 janvier 1898 au lieu-dit La Corvaiserie à Guipry (Ille-et-Vilaine).
Il habite 7, bis rue de Neuilly à Clichy-la-Garenne (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Jeanne Marie Rigaud, 30 ans, cultivatrice et de Pierre, Marie, Sébastien Launay, 34 ans, cultivateur son époux. Il a deux frères et deux sœurs.
Au moment du conseil de révision, ses parents sont décédés. Constant Launay habite alors Saint-Ganton (canton de Pipriac). Il y travaille comme cultivateur de 1913 à 1917.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 68, a les cheveux châtain foncé, les yeux bleus, le front ordinaire, nez moyen et le visage ovale. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1918, il est mobilisé par anticipation en mai 1917, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre.
Cette même année, il « passe » au 118è régiment d’infanterie et part au front le 18 décembre 1917. Le 18 octobre 1918 au cours de la bataille de l’Aine, il est victime d’un des bombardements chimiques de l’armée allemande. Un obus à gaz l’intoxique « fortement ». Il refuse d’être évacué. Le 8 décembre, il est cité à l’ordre du régiment : « Intoxiqué assez fortement par un obus à gaz, est resté à sa pièce et a continué d’en assurer le service, malgré la gêne produite par son intoxication ».
Il est décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Le 23 novembre 1919, Constant Launay est nommé caporal. Le 13 juin 1920, il est « renvoyé dans ses foyers » et se retire à Saint-Ganton (arrondissement de Redon Ille-et-Vilaine), « certificat de bonne conduite accordé ».
La famille Launay a été durement éprouvée par le conflit : l’aîné des frères Launay, Emile, est grièvement blessé en 1915 et restera handicapé du bras gauche. Il décède en 1924. L’autre frère, Sébastien, est tué devant Rancourt en 1916.
Le 21 septembre 1920, Constant Launay entre aux Chemins de fer de l’État comme « homme d’équipe à l’essai » à Cormeilles-en-Parisis (Seine / Seine-et-Oise). « Il fut muté à Serquigny (Eure) trois mois plus tard et y entra au cadre permanent en septembre 1921 » (Le Maitron). Il devient donc « affecté spécial », pour la Réserve de l’armée active, au titre des chemins de fer de l’Etat le 30 avril 1921, comme homme d’équipe à Serquigny), à la 4è section de campagne des chemins de fer militaires.
Constant Launay épouse Louise, Sexagésime, Renée, Eugénie, Jan le 4 novembre 1922 à Serquigny (Eure). Domiciliée à Serquigny, elle est née à Launay (Eure) le 24 octobre 1906. Ouvrière d’usine, elle sera agent SNCF, puis tiendra un débit de boisson à Levallois, face à la gare.
Le couple Launay a trois enfants (André né en 1923 qui sera ajusteur, Irène née en 1924 et Lucienne née en 1925, tous trois dans l’Eure.
« Il accéda au grade de manœuvre en novembre 1925 aux Batignolles, où il travaillait à partir de juillet 1937 comme conducteur de locotracteur » (Le Maitron) .
Le couple Launay habite d’abord au 1, rue Valiton à Clichy-la-Garenne (Seine / Hauts-de-Seine).
jusqu’en 1936 (son nom et celui de sa famille figure encore sur le registre du recensement de population de Clichy à cette date).
En 1936 et jusqu’à l’arrestation de Constant Launay, la famille va habiter au 7, bis rue de Neuilly à Clichy.
Ces deux adresses sont situées à quelques dizaines de mètres de la rampe d’entrée des ateliers SNCF de Clichy.
Militant communiste, Constant Launay est secrétaire-adjoint du Syndicat des cheminots pour Paris-Nord en 1927 (Le Maitron version papier T 33, p.330, information non reprise dans la version électronique de 2016).
Son nom est mentionné « n° 9613 – Launay Constant – 1938 » (ce qui signifie qu’il est fiché à partir de 1938), dans l’inventaire des individus du Fichier central de la Sûreté nationale récupérés en 1940 par les allemands (archives dites de Moscou récupérées par les soviétiques. Ce fonds devient le « fonds n°1 » des trésors de guerre conservés aux Archives spéciales centrales d’État à Moscou qui sont restituées à la France entre 1994 et 2001).
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
On sait que les brigades de répression anticommuniste infiltrent dès 1940 des entreprises où la propagande clandestine communiste est diffusée ! Ainsi l’inspecteur André Orset, de la brigade de Clichy / Courbevoie fut embauché dans les ateliers de la SNCF de Levallois pour y identifier les « propagandistes » (1)…
Constant Launay est arrêté une première fois le 23 octobre 1940 par les Renseignements généraux, qui trouvent chez lui une liste de souscription en faveur des Jeunesses communistes. Il aurait alors été écroué à la prison de la Santé. « Soupçonné d’activité communiste, il fit
l’objet d’une visite domiciliaire le 23 octobre 1940, opération au cours de laquelle la police découvrit et saisit des listes de souscriptions organisées en faveur des Jeunesses communistes » (Le Maitron).
Après sa libération, le 1er novembre, les noms de Constant Launay, de son épouse Louise et de sa fille Irène figurent sur une liste de 25 noms relevés à la suite événements rapportés par la police (« chants révolutionnaires et distribution de tracts »)
survenus à l’occasion d’une sortie cyclo-touriste comprenant une cinquantaine
de cyclistes entre la place Voltaire à Asnières et le rond-Point de la Défense
à Puteaux.
Constant Launay est arrêté à nouveau le 6 décembre 1940 par des agents du commissariat de Clichy,
considéré comme « propagandiste très actif » en même temps que 4 autres militants clichois : Alexandre
Antonini, Joseph Berthucat, André Duthil et Camille Lang.
Leur arrestation s’inscrit dans le cadre d’une importante rafle de 69 militants communistes de la région parisienne, opérée conjointement par 8 commissariats de banlieue et 8
commissariats parisiens. D’abord conduits à la caserne des Tourelles (boulevard Mortier à Paris 20è) ils sont internés « administrativement » au camp de « Séjour surveillé »
d’Aincourt (Seine-et-Oise), ouvert le 5 octobre 1940 par le gouvernement de Vichy pour y enfermer les communistes du département de la Seine.
Lire dans le site : Le camp d’Aincourt. Son dossier y porte le n° 19538.
Sur la liste « des militants communistes internés le 6 décembre 1940» reçue des Renseignement généraux par le directeur du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C 331/7). Pour Constant Launay on lit : «42 ans. Employé à la SNCF. Propagandiste très actif ».
En mars 1941, la Voix Populaire » de Clichy, feuille clandestine ronéotée recto verso, dénonce son arrestation ainsi que celles Pierre Lecomte et Joseph Tortora (CF montage photo ci-contre).
Constant Launay est remis aux autorités allemandes à leur demande : le 11 février 1942, il fait partie d’un groupe de 21 internés qui sont transférés d’Aincourt au camp allemand de Compiègne. Le clichois René Petitjean est également dans ce groupe.
Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en février 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Constant Launay est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Louise Launay effectue des démarches auprès de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés afin d’obtenir des nouvelles de son mari (une mention « dossier Brinon » est portée dans son dossier au DAVCC. Fernand Brinon (dit marquis de Brinon) représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation).
C’est par une lettre du Clichois Henri Mathiaud adressée à sa femme depuis Auschwitz (1943) que Louise Launay apprend que son mari y a été déporté.
Constant Launay meurt à Auschwitz le 10 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 698).
Le titre de «déporté politique» lui a été attribué. Il a reçu la Mention « Mort pour la France » le 14 avril 1955.
Les deux cellules des cheminots du PCF de Clichy et de Levallois ont porté son nom.
Une plaque honore son nom au 38, bis rue de Neuilly à Clichy, sur le mur extérieur de l’atelier SNCF de maintenance des rames.
En 1973, pendant la campagne des élections législatives, son épouse Louise (« Louisette ») Launay, ancien agent SNCF, qui tient un café en face de la gare de Clichy-Levallois, accueille une réunion organisée par les deux cellules « Launay » des cheminots de Clichy et de Levallois, en présence d’un cheminot résistant, adhérent de la cellule Launay de Clichy qui a connu son mari (il est surnommé « l’Ours ») et du député communiste Parfait Jans (témoignage de Pierre Cardon alors secrétaire de la section de Clichy et candidat député suppléant, qui participait à la réunion). Louisette Launay est décédée en 1981.
La mention «Mort en déportation» est apposée sur l’acte de décès de Constant Launay (arrêté du 6 octobre 1993 paru au Journal Officiel du 8 décembre). Cet arrêté porte toujours la date inexacte du 11 août 1942, mais la date de décès sur son acte de naissance a été corrigée.
- Note 1 : Jean Marc Berlière et Franck Liaigre « Ainsi finissent les salauds » Robert Laffont Ed.
Sources
- Death Books from Auschwitz / Sterbebücher von Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Archives municipales de Clichy.
- Témoignage de René Petitjean, clichois (45976) rescapé.
- Marie-Louise Goergen : Dictionnaire biographique des militants cheminots.
- © Etat civil et Registres matricules militaires d’Ille et Vilaine
- Plaque atelier, relevé et photo in « Mémorial Genweb », © Jean Le Floch (mis en ligne 2008)
- Arbre généalogique de © Pierre Launay.
- Photos de Constant et Louisette Launay, envois de Pierre Launay, leur petit-fils, qui les a recueillies auprès de son père, André Launay, alors âgé de 94 ans (14 avril 2017).
Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016, 2017 et 2019) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com