Matricule « 45 934 » à Auschwitz    Rescapé

Aimé Oboeuf  témoignant sur Auschwitz
Aimé Oboeuf : né à Burbure (Pas-de-Calais) en 1912 ; domicilié à Vincennes (Seine) ; houilleur, manœuvre, commis de chai ; communiste ; arrêté le 28 avril 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz,  Mauthausen, Melk, Ebensee ; rescapé ; décédé le 27 février 2004 

Aimé, Florival Oboeuf est né à Burbure (Pas-de-Calais) le 16 avril 1912. Il habite au 79, rue Defrance à Vincennes ( Seine /Val de Marne) au moment de son arrestation. Il est le fils de Jeanne, Marie Danel, 22 ans, ménagère et de Florival, Emile, Joseph Oboeuf, 32 ans, son époux, successivement houilleur, manœuvre, terrassier, verrier, puis commis de chai. Il est né le 30 mars 1880 à Fontaine-lès-Boulans (Pas-de-Calais).
Il est né dans une famille de huit enfants (dont Pierre, né à Burbure en 1913, Florival, né en 1914 à Auchel, Jeanine, née en 1920). Leurs parents se sont mariés à Auchel le 1er décembre 1906.
Pendant la guerre 1914-1918, alors que leur père est mobilisé, la famille est évacuée à Morlaix.Après guerre, de retour dans le Pas-de-Calais, Aîmé Aubeuf devient lui aussi mineur de houille (houilleur), comme son père. Il a 13 ans. Il exercera ce dur métier pendant cinq ans. A la mine il côtoie des mineurs polonais et apprend quelques mots de polonais, qui lui seront bien utiles à Auschwitz.
Vers 1930, la famille vient s’installer en région parisienne, à Fontenay-sous-Bois, au 8, avenue de la République. 
En 1932, Aimé Oboeuf est appelé au service militaire. Dans son unité, avec un camarade de Beauvais, il monte une section clandestine du «Mouvement de lutte contre la guerre », une des deux organisations à l’origine du « Mouvement Amsterdam-Pleyel (1).
Démobilisé en 1934, il se marie à Vincennes le 1er décembre avec Hélène Barbara Liska, née le 25 janvier 1915 à Budapest (Hongrie). Le couple habite en 1936 au 79, rue Defrance à Vincennes.
En 1935, il se rend avec un de ses frères (peut-être Félix, qui en 1936 habite Vincennes avec leurs parents au 124 bis, avenue de la République) à une réunion du Parti communiste auquel Aîmé Oboeuf adhère. Dès lors, il participe pleinement et pour longtemps à l’action militante : il est «champion de France des vendeurs de L’Humanité». En 1936, il est chef-manœuvre à l’entreprise Grenelle à Charenton. Dans la période 1936-937, en pleine période du Front Populaire, il participe à l’organisation d’une grève de sept mois dans l’entreprise où il travaille comme manœuvre (entreprise Grenelle/Charenton). Une importante augmentation des salaires est obtenue, mais Aimé Oboeuf est licencié pour avoir été délégué syndical. Il travaille alors dans un restaurant.
En 1938, il est mobilisé comme réserviste, mais il se blesse (trois doigts écrasés), et rentre spontanément dans ses foyers après avoir prévenu les gendarmes ; il ne sera pas poursuivi. En 1940, il est de nouveau mobilisé, à Sedan, dans l’artillerie.
Pendant les combats, son cheval est tué à Épernay et il continue la route à vélo jusqu’à Castres. Alors brigadier, il est chargé de garder le pont de la ville.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Elles ont occupé une partie de la banlieue-est la veille, puis la totalité les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Après l’armistice, Aimé Oboeuf  est démobilisé le 30 août 1940 et rentre à Vincennes.

Dès le 6 septembre, il fait partie d’un « Triangle » (groupe clandestin de trois militants communistes). Il devient responsable d’un secteur de l’O.S (dès octobre 1940, la direction du P.C.F. met en place des «groupes spéciaux» (O.S pour « organisation spéciale » appelée aussi «groupe O.S.», constitué au départ d’éléments aguerris pour effectuer un certain nombre de tâches relevant de la protection des militants face à la police de Vichy.

Aimé Oboeuf est arrêté le 28 avril 1942 par des policiers français et allemands, lors d’une rafle organisée par l’occupant dans tout le département de la Seine, en représailles de l’attentat à Paris du 20 avril où des coups de feu ont été tirés sur des soldats allemands à la station de métro Molitor. Il écrit avoir été arrêté en même temps que « Luc, postier à Vincennes, qui écrivait dans « La Voix de l’Est » sous le nom de Latude« .
Cette rafle touche essentiellement des militants arrêtés une première fois par la police française pour activité communiste depuis l’interdiction du Parti communiste (26 septembre 1939)  et libérés à l’expiration de leur peine.
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne, le 29 avril, en vue de sa déportation comme otage. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du blog : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Aimé Oboeuf est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le blog : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Aimé Oboeuf est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45.934 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 

1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
A Birkenau, Aimé Oboeuf est affecté au block 5, au Kommando « Terrasse ». En janvier 1943,  il est affecté au block 22, au kommando TWL (Truppenwitschaflager, Ravitaillement des troupes) du camp principal.
En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il a Frédéric Ginolin, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz (140 « 45000 » environ), reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, et après quatre mois d’un régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, les « 45000 sont, pour la plupart, renvoyés dans leurs Kommandos et Blocks d’origine

Depuis le block 11 il voit Génia Goldgicht qu’il épousera en 1949

C’est dans cette période qu’Aimé Oboeuf fait la connaissance de Génia Goldgicht. Lire note (2) et l’article du site : Génia Goldgitch – Oboeuf rescapée du block 10 à Auschwitz

Aimé Oboeuf quitte le Block 11 le 12 décembre 1944, et il est à nouveau affecté au Kommando TWL.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques,  les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que 6 d’entre eux.  89 autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Il y eut également quelques cas particuliers.
Lire dans le site : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d'Auschwitz (1944-1945), également :  Les « 45.000 » dans les « marches de la mort ».
Sa carte matricule de Mauthausen

Il reste dans le dernier groupe qui demeure à Auschwitz : à l’évacuation du camp, il quitte Auschwitz le 18 janvier 1945, pour le KL Mauthausen.
Entre le 17 et le 25 Janvier 1945, vingt « 45 000 » sont évacués depuis Auschwitz vers le KL Mauthausen où ils sont enregistrés : Georges Autret (116 522), Emile Bouchacourt (119 582), André Boulandet (118 607), Clément Brioudes 116 593), Abel Buisson, Marcel Claus (116 621), Roger Collignon, Raymond Cornu (117 639), Jean Corticchiato (116 625), Marcel Guilbert (116 787), Georges Guinchan (117 795), Robert Jarry (117 867), André Montagne (118 108), Aimé Oboeuf (118 146), Clément Pellerin (120 165), Jean Pollo (120 190), Jules Polosecki (118 193), Jean Quadri (117 190), André Rousseau (119 238), Raymond Saint-Lary (119 250).

Une partie d’entre eux, dont Aimé Oboeuf sont rapidement transférés dans des kommandos extérieurs de Mauthausen : le 28 ou 29 janvier 1945, treize « 45 000 » sont affectés à Melk (usines souterraines) : André Boulandet, Abel Buisson, Raymond Cornu, Jean Corticchiato, Marcel Guilbert, Georges Guinchan, André Montagne, Aimé Oboeuf, Jean Pollo, Jules Polosecki, Jean Quadri, André Rousseau.
le 15 avril 1945, devant l’avancée des troupes alliées, les SS les évacuent à pieds sur Ebensee (aménagement d’usines souterraines, province de Salzbourg) où ils seront libérés.

Aimé Oboeuf est libéré le 6 mai par les troupes américaines.
Il est rapatrié le 22 mai à Paris
en wagons à bestiaux.
« De l’hôtel Lutétia, Aimé Obœuf rentre chez lui en métro. Au cours de sa déportation, il a déjà appris que sa femme a été arrêtée, sans en connaître la raison (…). » Il reste un an sans pouvoir travailler, touchant une allocation de la Préfecture, puis il est embauché au ministère de la Reconstruction, dirigé par le communiste Raymond Guyot, comme chauffeur de l’Inspecteur principal des Finances (…). Dépisté porteur du bacille de la tuberculose, il fait un séjour dans un sanatorium de Seine-et-Oise. Il est engagé comme chauffeur à l’ambassade d’Union soviétique. Puis, un temps à la Banque pour l’Europe de L’Est. Il devient permanent au siège du Parti communiste, comme garde du corps auprès d’André Marty, d’Auguste Lecoeur, puis de Jacques Duclos. En 1947, il est opéré pour l’ablation d’un rein ».

Son mariage avec Liska Barbe est dissous par jugement du 7 mai 1949.
Il épouse Génia 
Goldgicht cette même année.
Le couple a deux enfants : 
Michel, né à Paris le 15 octobre 1947, et Daniel, né également à Paris, le 23 mai 1952.

Aimé Obœuf prend sa retraite dans la Nièvre à Brinon-sur-Beuvron (Nièvre). En 1966, la famille s’installe à Saint-Parize-le-Châtel, au sud de Nevers.
En « voisin », il fait des recherches sur les « 45.000 » du Cher, à partir des souvenirs de deux de ses camarades rescapés : Georges Rousseau, maire de Vierzon et Roger Gauthier.
Aimé Obœuf a témoigné de la mort de son camarade vincennois Jacques Rotsztajn, et de celle de nombreux autres militants.

Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué (N°1175.01197). Puis celui de «Déporté résistant». Il est «Combattant volontaire de la Résistance», carte N° 159591, reçoit la carte du Combattant (72 1145), et la Médaille de la Résistance. Il est décoré de la Médaille militaire qui donne droit à la Croix de Guerre, puis de la Légion d’Honneur en 1987.
Il est secrétaire départemental de la FNDIRP et membre du comité national de la FNDIRP en 1960.

Aimé Oboeuf meurt le 27 février 2004 à Saint-Pierre d’Oléron (Charente Maritime).

  • Note 1 : L’initiative de la création du «Mouvement de lutte contre la guerre et le fascisme» revient à deux écrivains : Henri Barbusse et Romain Rolland. Le 27 mai 1932, ils publient dans «L’Humanité» un appel pour la tenue d’un congrès contre la guerre. Ce Congrès mondial de lutte contre la guerre impérialiste se déroule à Amsterdam les 27 et 28 août 1932. Il rejoint ensuite le «Congrès Européen contre le fascisme et la guerre», qui se réunit du 4 au 6 juin 1933 à la salle Pleyel à Paris. Il devient le «Mouvement d’Amsterdam», puis mouvement ou comité «d’Amsterdam Pleyel». Le Parti communiste joue un rôle de premier plan dans l’organisation de cet te organisation antifasciste.

 

  • Janvier 2015.  Génia Oboeuf, âgée alors de 92 ans témoigne sur Auschwitz
    Note 2 : Génia Goldgicht est née le 10 décembre 1923 à Varsovie dans une famille d'origine juive athée. Elle vit à Bruxelles avec ses parents et son petit frère Michel (né en 1927 à Bruxelles, mort le 24 février 1945 à Buchenwald). Leur père travaille dans une entreprise qui exploite des mines en Afrique. Dans le milieu des années 1930, la famille de Génia héberge des réfugiés politiques allemands et communistes ayant fui leur pays à la suite des persécutions nazies. 

    Génia Goldgicht est déportée avec sa mère depuis Malines (Belgique) à Auschwitz par le convoi belge du 19 avril 1943.

    Arrivées à Auschwitz, elles sont choisies par Josef Mengele pour le Block 10, le bloc des expériences médicales. Deux semaines plus tard, les deux femmes sont mises dans la file des femmes renvoyées à Birkenau, mais Génia en est écartée (donc provisoirement sauvée), par Alina Brewda, une assistante de Horst Schumann, qui l’autorise à rester au Block 10. La preuve en est attestée par sa signature (Marjam Kac), sur la carte de femmes belges du Block 10 envoyée le 2 mai 1943 en Belgique et aujourd’hui au musée Dossin à Malines (in petit cahier Adélaïde Hautval op.cit.).
    Sa mère est renvoyée à Birkenau et y est gazée. 
    Génia Goldgicht reçoit le numéro « 42 576 ». Les femmes du Block 10 sont destinées à des expériences de stérilisation menées par Horst Schumann et Carl Clauberg dont certaines sont effectuées par rayons X. Étant une des premières, Génia est soumise à une faible dose de rayons entraînant des brûlures, mais non la stérilité. Elle restera près de deux ans au Block 10. (d’après Wikipédia) .

    Elle a 20 ans lorsqu’Aimé Oboeuf l’aperçoit au Block 10 à Auschwitz.

     (…) Un jour, dans cette cour aux murs tachés de sang, des Français entonnent une chanson. Les SS les ont conduits là « pour faire du sport », c’est à dire ramper, marcher à genoux, courir, ramper à nouveau. Torturés, épuisés, ils se sont mis à chanter : « Ça sent si bon la France » pour montrer qu’ils ne sont pas vaincus. Aimé est parmi eux (…). Il a remarqué Génia et lui a fait signe. Il s’est ensuite risqué à lui passer des petits bouts de papier. « Rendez-vous à Bruxelles ou à Paris. On s’en sortira ». Il trouve le moyen de lui envoyer des vieux bouts de laine récupérés sur les manches trop longues de pull-over en loques. Les femmes du block s’en servent pour tricoter (…) des chaussettes et des tricots qui s’échangent contre du pain, de la soupe ou des morceaux de savon. Lorsque Aimé quitte le block 11, avec les autres Français, ils réussissent à maintenir leurs rencontres. Génia et ses compagnes sont transférées dans un autre block et elles doivent cueillir du plantain et des pissenlits dans des champs proches de l’entrepôt où travaille Aimé. Tout manque de se terminer tragiquement le jour où un garde les surprend ensemble. Pour la première fois, ils s’embrassent. Quelques mois plus tôt, c’était à coup sûr la mort pour tous deux. (…) Aimé s’en tire avec vingt-cinq coups de bâton qui ne l’ont pas rendu plus prudent. (…) Il est revenu la voir : « Tu verras, on s’en sortira ». Ils conviennent de s’écrire dès leur retour : poste restante, gare du Midi à Bruxelles et rue du Louvre à Paris. En janvier 1945, Génia est évacuée sur Ravensbrück, Aimé sur Mauthausen. Il essaie de rejoindre la colonne où elle se trouve, pensant qu’ils pourront s’évader ensemble. Impossible. Mais ils réussissent à survivre aux évacuations qui ont tué tant de détenus. Après leur libération, ils s’écrivent, se donnent rendez-vous, se retrouvent et s’épousent. » Extraits de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»« .

  • « C’est la quatrième génération à laquelle je parle, mais ce n’est pas « Plus belle la vie », c’est toujours le même feuilleton. »

Déportée avec sa mère après dénonciation, Génia Obœuf a connu l’horreur des camps, de l’humiliation, de la douleur, de la peur, de cette partie de l’Histoire abjecte, si difficilement imaginable pour nos plus jeunes. Sa jeunesse avortée dans la barbarie concentrationnaire, Génia ne veut surtout pas en faire un récit individuel. « C’était une expérience collective : je ne veux pas attirer l’attention sur moi. Ce que nous avons vécu, ce n’était pas le mur des lamentations, il y avait cet aspect combatif dans ce qu’on a fait. » Sans minimiser les épreuves, l’apitoiement ne fait en effet pas partie du discours de cette femme qui aura ensuite dévoué sa vie aux rescapés. Quand elle est arrivée dans la Nièvre, Génia Obœuf a notamment fourni un colossal travail d’archivage de documents témoins : « Très importants car on manipule tellement vite l’Histoire ! » Elle a aussi travaillé pour des associations de réinsertion de jeunes déportés, souvent en mal de rêves d’avenir et pour lesquels les besoins de réadaptation professionnelle étaient conséquents. Une mission à laquelle elle mettra toutefois un terme quand son cher époux Aimé, rencontré à Auschwitz, tombera malade. C’est d’ailleurs cette circonstance qui soufflera aux médecins l’idée d’une mise au vert, le couple étant jusqu’alors installé à Paris. « Nous avions de très petits moyens : c’était l’Yonne ou la Nièvre. » C’est Brinon-sur-Beuvron qui les accueillera quelque temps, avant un nouveau départ sur l’île d’Oléron, pour suivre leurs deux fils retraités. « Mais je m’ennuyais car l’île est déserte et froide en hiver et tous mes amis étaient à Nevers. » Elle revient en terres nivernaises, dans le centre-ville de Nevers cette fois, il y a bientôt quinze ans. « Je suis amoureuse de Nevers, où tout le monde se connaît. » Et quand elle ne trouve pas de fleurs à sa fenêtre en ouvrant ses volets, elle cueille les sourires et les bonjours chaleureux de gens qu’elle « ne connaît même pas ! » Des dangers du négationnisme au silence d’embarras d’après-guerre, la parole a fini par percer et se révéler indispensable : «L’Histoire est malheureusement un éternel recommencement. L’actualité nous rappelle à l’ordre. À la télévision, on nous étourdit avec les images sans donner les racines pour se faire son opinion. » Pour toutes ces raisons, Génia Obœuf ne peut se résoudre à mettre un terme à sa mission, même si elle se restreint désormais à une zone géographique locale. « J’ai très mauvaise conscience quand je ne peux pas témoigner. » Son regard pétillant de générosité, elle nous offre donc son passé dans ce salon réconfortant rempli des livres qu’elle aime tant. « Peu de romans, beaucoup d’Histoire ! ». Les 94 années de Génia sont autant de lumières qui proposent de guider, au travers de ses recommandations de lecture et de son parcours si précieux en tout temps. Sarah Belin in « Génia Oboeuf, la lumière de la mémoire nevers.fr ».

Aimé Oboeuf et Génia ont eu deux garçons avec Génia : Michel, né à Paris le 15 octobre 1947, et Daniel, né également à Paris, le 23 mai 1952.

Génia est décédée le 26 mai 2021.

l’ADIRP 37-41 dans un long article évoque son parcours et le film qu’en a fait Anice Clément : https://adirp37-41.over-blog.com/2021/06/deportation-genia-un-film-d-anice-clement.html

On trouvera sur Internet de nombreux témoignages audio et vidéo de Génia.

A l’invitation des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et de la commune de Brinon-sur-Beuvron, madame Martine Thierry a eu le plaisir de présenter son film « Génia la Rouge » (réalisé avec Gilles Bouchicot et Jean Philippe Ehrmann) le samedi 10 décembre 2023. « Notre si chère Génia aurait eu 100 ans ce jour-là, et nous nous étions promis de le fêter ensemble ».

Le DVD d’Anice Clément

En novembre 2019, Anice Clément et Jacques Merelaud sont allés sur les traces de Génia à Auschwitz-Birkenau. Un film d’Anice Clément a résulté de cette quête.
On peut se procurer le DVD de ce film de 80 minutes au prix de 18 euros. ttps://www.aniceprod.fr › films › pack-3-dvds-1

Sources

  • Questionnaire biographique de la FNDIRP (1975).
  • Correspondance avec Roger Arnould (1971 et 1972).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Etat civil du Pas-de-Calais.
  • Photos de Génia Oboeuf © Christophe Masson.
  • Maryvonne Braunschweig / Adélaïde Hautval, juste parmi les nations. « Petit cahier, numéro 25, Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah » p. 134.

Notice biographique rédigée en 2005 (mise à jour en 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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