Génia Goldgicht épouse en 1949 un « 45 000 », Aimé Oboeuf, rescapé d’Auschwitz comme elle
Aimé Oboeuf
Génia Goldgicht est née le 10 décembre 1923 à Varsovie dans une famille d'origine juive athée. Elle vit à Bruxelles avec ses parents et son petit frère Michel (né en 1927 à Bruxelles, mort le 24 février 1945 à Buchenwald). Leur père travaille dans une entreprise qui exploite des mines en Afrique. Dans le milieu des années 1930, la famille de Génia héberge des réfugiés politiques allemands et communistes ayant fui leur pays à la suite des persécutions nazies.

Génia Goldgicht est déportée depuis Malines par le convoi belge du 19 avril 1943 avec sa mère.
Arrivées à Auschwitz, elles sont choisies par Josef Mengele pour le Block 10, le bloc des expériences médicales. Deux semaines plus tard, les deux femmes sont mises dans la file des femmes renvoyées à Birkenau, mais Génia en est écartée (donc provisoirement sauvée), par Alina Brewda, une assistante de Horst Schumann, qui l’autorise à rester au Block 10. La preuve en est attestée par sa signature (Marjam Kac), sur la carte de femmes belges du Block 10 envoyée le 2 mai 1943 en Belgique et aujourd’hui au musée Dossin à Malines (in petit cahier Adélaïde Hautval op.cit.).
Sa mère est renvoyée à Birkenau et y est gazée.

Génia Goldgicht reçoit le numéro « 42 576 ». Les femmes du Block 10 sont destinées à des expériences de stérilisation menées par Horst Schumann et Carl Clauberg dont certaines sont effectuées par rayons X. Étant une des premières, Génia est soumise à une faible dose de rayons entraînant des brûlures, mais non la stérilité. Elle restera près de deux ans au Block 10.

Elle a 20 ans lorsqu’Aimé Oboeuf, un jeune communiste français déporté à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942 l’aperçoit au Block 10 à Auschwitz.
Lire la notice biographique d’Aimé Obeuf dans ce site : OBOEUF Aimé

« Un jour, dans cette cour aux murs tachés de sang (la cour entre le Block 10 et le block 11 où les Français sont en quarantaine), des Français entonnent une chanson. Les SS les ont conduits là « pour faire du sport », c’est à dire ramper, marcher à genoux, courir, ramper à nouveau. Torturés, épuisés, ils se sont mis à chanter : « Ça sent si bon la France » pour montrer qu’ils ne sont pas vaincus.
Aimé est parmi eux (…). Il a remarqué Génia et lui a fait signe.
Il s’est ensuite risqué à lui passer des petits bouts de papier. « Rendez-vous à Bruxelles ou à Paris. On s’en sortira ». Il trouve le moyen de lui envoyer des vieux bouts de laine récupérés sur les manches trop longues de pull-over en loques. Les femmes du block s’en servent pour tricoter (…) des chaussettes et des tricots qui s’échangent contre du pain, de la soupe ou des morceaux de savon. Lorsque Aimé quitte le block 11, avec les autres Français, ils réussissent à maintenir leurs rencontres. Génia et ses compagnes sont transférées dans un autre block et elles doivent cueillir du plantain et des pissenlits dans des champs proches de l’entrepôt où travaille Aimé. Tout manque de se terminer tragiquement le jour où un garde les surprend ensemble. Pour la première fois, ils s’embrassent. Quelques mois plus tôt, c’était à coup sûr la mort pour tous deux. (…) Aimé s’en tire avec vingt-cinq coups de bâton qui ne l’ont pas rendu plus prudent. (…) Il est revenu la voir : « Tu verras, on s’en sortira ». Ils conviennent de s’écrire dès leur retour : poste restante, gare du Midi à Bruxelles et rue du Louvre à Paris.
En janvier 1945, Génia est évacuée sur Ravensbrück, Aimé sur Mauthausen. Il essaie de rejoindre la colonne où elle se trouve, pensant qu’ils pourront s’évader ensemble. Impossible. Mais ils réussissent à survivre aux évacuations qui ont tué tant de détenus.
Après leur libération, ils s’écrivent, se donnent rendez-vous, se retrouvent et s’épousent. » Extraits de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000» .

La plupart des survivants du convoi du 6 juillet 1942 ont connu après la Libération la belle histoire d’amour qui a réuni Aimé Oboeuf à Génia. Mais très peu de « 45 000 » ont par contre connu l’autre histoire d’amour entre Noëmi Trpin jeune résistante slovène de Ljubljana (matricule "75 040") et Hans Beckman, jeune résistant hollandais arrêté en France avec son frère lors de leur cinquième tentative pour passer en Angleterre, via la Suisse. Hans et Johan sont eux aussi des « 45 000 », déportés dans le convoi du 6 juillet 1942, avec les numéros "45 218" et "45 219". 
Lire dans le site l’histoire d’amour de Hans et NoëmiAuschwitz 1944. Hans et Noëmi : l’autre histoire d’amour

Génia

« C’est la quatrième génération à laquelle je parle, mais ce n’est pas « Plus belle la vie », c’est toujours le même feuilleton».

Déportée avec sa mère après dénonciation, Génia Obœuf a connu l’horreur des camps, de l’humiliation, de la douleur, de la peur, de cette partie de l’Histoire abjecte, si difficilement imaginable pour nos plus jeunes. Sa jeunesse avortée dans la barbarie concentrationnaire, Génia ne veut surtout pas en faire un récit individuel. « C’était une expérience collective : je ne veux pas attirer l’attention sur moi. Ce que nous avons vécu, ce n’était pas le mur des lamentations, il y avait cet aspect combatif dans ce qu’on a fait. » Sans minimiser les épreuves, l’apitoiement ne fait en effet pas partie du discours de cette femme qui aura ensuite dévoué sa vie aux rescapés.
Quand elle est arrivée dans la Nièvre, Génia Obœuf a notamment fourni un colossal travail d’archivage de documents témoins : « Très importants car on manipule tellement vite l’Histoire ! » Elle a aussi travaillé pour des associations de réinsertion de jeunes déportés, souvent en mal de rêves d’avenir et pour lesquels les besoins de réadaptation professionnelle étaient conséquents. Une mission à laquelle elle mettra toutefois un terme quand son cher époux Aimé, rencontré à Auschwitz, tombera malade. C’est d’ailleurs cette circonstance qui soufflera aux médecins l’idée d’une mise au vert, le couple étant jusqu’alors installé à Paris. « Nous avions de très petits moyens : c’était l’Yonne ou la Nièvre. » C’est Brinon-sur-Beuvron qui les accueillera quelque temps, avant un nouveau départ sur l’île d’Oléron, pour suivre leurs deux fils retraités. « Mais je m’ennuyais car l’île est déserte et froide en hiver et tous mes amis étaient à Nevers. » Elle revient en terres nivernaises, dans le centre-ville de Nevers cette fois, il y a bientôt quinze ans. « Je suis amoureuse de Nevers, où tout le monde se connaît. » Et quand elle ne trouve pas de fleurs à sa fenêtre en ouvrant ses volets, elle cueille les sourires et les bonjours chaleureux de gens qu’elle « ne connaît même pas ! » Des dangers du négationnisme au silence d’embarras d’après-guerre, la parole a fini par percer et se révéler indispensable : «L’Histoire est malheureusement un éternel recommencement. L’actualité nous rappelle à l’ordre. À la télévision, on nous étourdit avec les images sans donner les racines pour se faire son opinion. » Pour toutes ces raisons, Génia Obœuf ne peut se résoudre à mettre un terme à sa mission, même si elle se restreint désormais à une zone géographique locale. « J’ai très mauvaise conscience quand je ne peux pas témoigner. » Son regard pétillant de générosité, elle nous offre donc son passé dans ce salon réconfortant rempli des livres qu’elle aime tant. « Peu de romans, beaucoup d’Histoire ! ». Les 94 années de Génia sont autant de lumières qui proposent de guider, au travers de ses recommandations de lecture et de son parcours si précieux en tout temps. Sarah Belin in « Génia Oboeuf, la lumière de la mémoire nevers.fr ».

Pied de nez aux expériences de Josef Mengele et Horst Schumann : Aimé Oboeuf et Génia ont eu deux garçons : Michel, né à Paris le 15 octobre 1947, et Daniel, né également à Paris, le 23 mai 1952.

Génia est décédée le 26 mai 2021. 

l’ADIRP 37-41 dans un long article évoque son parcours et le film qu’en a fait Anice Clément : https://adirp37-41.over-blog.com/2021/06/deportation-genia-un-film-d-anice-clement.html

On trouvera sur Internet de nombreux témoignages audio et vidéo de Génia.
Un film a été réalisé par Anise Clément.

A l’invitation des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation et de la commune de Brinon-sur-Beuvron, madame Martine Thierry a eu le plaisir de présenter son film « Génia la Rouge » (réalisé avec Gilles Bouchicot et Jean Philippe Ehrmann) le samedi 10 décembre 2023. « Notre si chère Génia aurait eu 100 ans ce jour-là, et nous nous étions promis de le fêter ensemble ».

Le DVD d’Anice Clément : En novembre 2019, Anice Clément et Jacques Merlaud sont allés sur les traces de Génia à Auschwitz-Birkenau. Un film d’Anice Clément a résulté de cette quête.
On peut se procurer le DVD de ce film de 80 minutes au prix de 18 euros. ttps://www.aniceprod.fr › films › pack-3-dvds-1

Sources

  • Photos de Génia Oboeuf © Christophe Masson.
    Maryvonne Braunschweig / Adélaïde Hautval, juste parmi les nations. « Petit cahier, numéro 25, Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah » p. 134.
    Rencontre avec Anice Clément, chez elle.

Notice biographique rédigée en 2005 (mise à jour en 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005).
Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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