Matricule « 45 614 » à Auschwitz
Roger Goguet : né en 1910 à Gonneville-sur-Dives (Calvados) ; domicilié à Dives-sur-Mer (Calvados) ; mécanicien auto ; syndicaliste et communiste ; arrêté le 20 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 27 octobre 1942.
Roger Goguet est né le 26 septembre 1910 à Gonneville-sur-Dives / devenue Gonneville-sur-Mer en 1927 (Calvados).
Il habite 2, rue des Frères Claus à Dives-sur-Mer (Calvados).
Il est le fils de Marie, Eugénie Marie, 23 ans et de Victor, Arthur Amand, 22 ans, né à Bourgeauville (Calvados) le 15 mars 1886, domestique de ferme, puis ouvrier d’usine. Ses parents se sont mariés le 27 août 1910 à Villers-sur-Mer. Roger Goguet est baptisé en octobre 1910. En avril 1911, la famille habite à Douville et en janvier 1912 à Dives-sur-Mer. Son père est ouvrier à l’usine « Electro de Dives. Une sœur, Berthe, Victorine, Angeline naît le 27 avril 1913 à Dives. Ils habitent alors rue de la Baronnie à Dives. Un frère, Louis, Arthur naît le 5 janvier 1916 à Dives, où la famille a déménagé, rue de Caen.
Pendant la « grande guerre » leur père est mobilisé à l’usine de Dives (l’Electro) de 1915 à sa libération en mars 1919. En 1922, sa sœur se marie, le 15 octobre avec Eugène Durand. En 1923, les Goguet habitent au 31, rue des Brocs à Dives. Il est appelé au service militaire en février 1930 (liste des « partants » dans Ouest-Eclair).
Le 11 avril 1931, à Douville-en-Auge, Roger Goguet épouse Odette, Ernestine, Marie, Larcher. Elle est née le 20 février 1910 à Douville. Elle est décédée le 25 mai 1995, à Pont-L’Evêque.
Le jeune couple a un garçon, Lucien, qui naît le 28 septembre 1931, âgé de 9 ans au moment de l’arrestation de son père.
Roger Goguet est mécanicien auto en 1936 : la famille habite au 2, rue des Frères Claus à Dives.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure françaiseEn août 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militants
communistes « notoires ».
Ancien membre du Parti communiste et syndicaliste CGT, il est résistant depuis juin 1940, selon sa veuve. Il s’est installé à son compte comme garagiste peu avant son arrestation. Selon un voisin – Pierre Aveline – il est mécanicien en cycles en qualité d’artisan. Raymond Lerosier de Dives-sur-Mer a témoigné en janvier 1974, qu’ils appartenaient ensemble au groupement FTP Divais, qui à l’époque n’était pas complètement organisé, l’activité se bornant à la distribution de tracts anti-allemands.
Témoignage de son fils Lucien (09/03/2001) : « Mon père, mécanicien en voitures a 31 ans, j’ai 9 ans. Il vient de s’installer. Il est arrêté une première fois par les gendarmes de Dives-sur-Mer après l’explosion du pont de Cabourg. Il est relâché quelque temps après. Le 20 octobre 1941, il est arrêté cette fois par la police allemande lors d’un dépannage chez un confrère. Il est revenu, accompagné, à la maison pour prendre une valise, puis il a été emmené avec son copain Greslon. Ils étaient fichés comme communistes et ont été dénoncés. C’est plus tard que l’on a appris qu’ils étaient arrivés à Compiègne. Ma mère a réussi à
obtenir une autorisation pour voir mon père dix minutes. Mon père a dit : « Cela va bien, bon espoir d’être libéré ». Il était avec Greslon et Auvray de Dives. Il est parti avec Maurice Auvray le 6 juillet de Compiègne « pour une destination inconnue ». On n’a plus jamais eu de nouvelles. Nous avons reçu une valise avec toutes les affaires de mon père y compris des objets qu’il a fabriqués à Compiègne. Nous avons eu une carte écrite par mon père quelques jours avant de partir pour Auschwitz».
Le 1er juillet 1941, son domicile est perquisitionné par des gendarmes de la 3è légion de gendarmerie du Calvados. Il fait partie d’une liste de 61 hommes et femmes du Calvados, anciens militants syndicalistes ou communistes visés par une opération de « répression de la propagande communiste ». 16 d’entre eux sont arrêtés. La même opération a visé 57 femmes et hommes de nationalité Russe. « Résultat néant ». Il s’agit manifestement d’une vaste opération déclenchée dans le cadre «d’Aktion Theoderich» (dès le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française).
Le 20 octobre 1941, il est arrêté à son domicile, cette fois par la police allemande, pour « propagande communiste », avec Jean Bourget, Henri Greslon et Raymond Lerosier, pour la même raison (son fils pense qu’ils ont été dénoncés, mais on sait qu’il est dans les fichiers depuis juillet). Selon Raymond Lerosier, les Allemands ont découvert un pistolet et des balles à son domicile. Pas de jugement. Roger Goguet est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Le 24 octobre 1941, la Feldkommandantur 723 de Caen inscrit le nom de Roger Goguet sur une liste d’otages détenus dans le Calvados.
Le 20 janvier 1942, la Feldkommandantur 723 demande des vérifications pour onze otages communistes du Calvados internés à Compiègne avant de procéder à leur exécution. Sur cette même liste figurent les noms de quatre autres internés du Calvados déportés avec lui à Auschwitz : Eugène Beaudoin, Jean Bourget, Charles
Lemay, Pierre Lelogeais (les noms des autres otages sont barrés par respect de
confidentialité).
Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le même mois d’octobre 1941, en vue de sa déportation comme otage. Il a reçu le matricule n° 1869, bâtiment A1.
« Fin juin 1942, sa femme obtient l’autorisation de le voir dix minutes. Il lui dit : « ça va bien, j’ai bon espoir d’être libéré ». Il envoie une carte quelques jours avant le départ. Ensuite, sa famille reçoit une valise avec toutes ses affaires et les objets qu’il a façonné pendant sa détention (un jeu d’échec…), mais plus aucune nouvelle » (2).
Henri Greslon, qui restera à Compiègne, écrit à son épouse le 6 juillet 1942 et lui demande de prévenir Madame Goguet du départ de son mari, pour « une destination inconnue, sans doute l’Allemagne ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Roger Goguet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45614 ».
Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date. Toutefois, on peut penser que compte tenu de son métier de mécanicien, il a été ramené à Auschwitz I.
Roger Goguet meurt à Auschwitz le 27 octobre 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Le titre de « déporté politique » lui a été attribué.
Il a été déclaré « Mort pour la France ».
Son nom figure sur le monument de Dives-sur-Mer, et il est gravé sur le monument dédié aux victimes des camps de concentration nazis.
Son fils Lucien a témoigné de l’arrestation de son père devant les élèves du collège Verlaine d’Evrecy (photo prise par le regretté François Legros, un des professeurs ayant piloté d’ouvrage « de Caen à Auschwitz »), témoignage retranscrit dans le Livre « De Caen à Auschwitz ».
- Note 1 : Témoignage de son fils Lucien (in « De Caen à Auschwitz » page 28).
- Note 2 : « De Caen à Auschwitz » page 28 et photo.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Fiche FNDIRP rédigée après guerre par sa veuve Mme Odette Goguet (N° 8421), qui s’appuie sur les témoignages de M. Lerosier.
- Questionnaire rempli par Mme Odette Goguet, (1991).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Recherches généalogiques (état civil Dives, Gonneville, Douville-en-Auge NMD 1903/1912 vue 45/139, recensements,
registre matricule militaire du père, Base des décès INSEE) effectuées par Pierre Cardon.
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2014, 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com