Otages à fusiller. Charles Lemay est le dixième de la liste.

Matricule « 45.777 » à Auschwitz

Charles Lemay : né en 1898 à Trith Saint-Léger (Nord) ; domicilié à Caen (Calvados) ; mouleur en fonte ; communiste ; arrêté le 21 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le 17 août 1942. 

Charles Lemay est né le 1er février 1898 au domicile de ses parents, rue du Pain Chinois à Trith St-Léger (Nord).  Il habite au 45, rue de Geôle à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Védastine (un vieux prénom du Nord et du Pas-de-Calais) Lecerf, 27 ans et de Célestin Lemay, 41 ans, garçon brasseur, son époux.
Son père, décède le 6 janvier 1912 à Denain (Nord).
Conscrit de la classe 1918, le registre matricule militaire de Charles Lemay indique qu’il habite au 122, rue Thiers à Denain (Nord) au moment de la création de la fiche (1923) et qu’il y travaille comme mouleur en fonte.
Il mesure 1m 75, a les cheveux châtains et les yeux gris marron, le front moyen, le nez ordinaire, le visage rond. Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1918, Charles Lemay aurait du être mobilisé par anticipation en 1917, comme tous les jeunes gens de cette classe.
Mais Trith Saint-Léger et le valenciennois sont occupés par l’armée allemande. Il est donc « non recensé pour cas de force majeure ».  Charles Lemay  est classé « réformé temporaire n° 2 » pour « bronchite suspecte et débilité générale » en 1919. Le 24 mai 1922, la commission de réforme de Caen (Calvados) le maintient «réformé temporaire sans pension» pour «bronchite des sommets, état général passable ».
En 1923, Charles Lemay a quitté le Nord et habite au 10, rue Froide à Caen. Il est « ouvrier d’industrie ».
Le 10 novembre 1923 Charles Lemay épouse Marie
Antoinette Andrée Bosquet, à Sannerville (banlieue est de Caen). Elle y est née le 17 juillet 1898. Le témoin du marié est un industriel, Julien Lecerf domicilié dans la Manche et le frère de la mariée, Victor, ouvrier agricole.
Le couple a deux enfants (Serge Julien, Désiré naît le 24 décembre 1924 à Sannerville et Claude, Désiré, naît à Hérouvillette le 22 février 1931).
En juillet 1923 la commission de réforme de Caen le classe « bon pour le service armé » : « cœur et poumons normaux. Bonne constitution ». Il est placé dans la réserve au 43ème RI. Puis aux centres de mobilisation d’infanterie n° 12 et 13 (en 1930).
En janvier 1924, le couple est domicilié au 14, promenade du Fort, à Caen (Calvados).
En octobre 1925, ils ont déménagé au 132, rue d’Auge (Etienne Cardin, qui sera déporté avec lui, habitera à la même adresse avec son épouse en 1936).
En 1926, Charles Lemay est mouleur en fonte dans un chantier naval (in registre du recensement).

La SMN à Colombelles-Mondeville

En juin 1928, ils habitent à la Maison Joyeux au bourg Lirose, à Sannerville (à 10 km à l’est de Caen et de la Manche), où habitent la sœur aînée de son épouse et ses nièces.
En 1930, il est mouleur en fonte aux « Hauts-Fourneaux »,
à la Société Métallurgique de Normandie) à l’usine de Colombelles-Mondeville.
Et de ce fait classé par l’armée comme « Affecté Spécial » (l’A.S. est mobilisé sur son lieu de travail en cas de conflit).
En 1931, ils habitent à Hérouvillette au hameau de Sainte-Honorine (à proximité des usines de la SMN).
Fin avril 1933 et jusqu’au moment de son arrestation, Charles Lemay revient habiter à Caen au 45, rue de Geôle.
Lors du recensement de 1936, au même numéro 45, appartement 96, habite également  avec Charles Lemay, son épouse et leur cadet Claude, sa belle-sœur, Armandine Bosquet, veuve d’Emile Patry, décédé en 1930, cuisinière née en 1892 à Sannerville et son fils Jack, né à Caen en 1934.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militants communistes « notoires » et a procédé à des perquisitions et des arrestations (62 domiciles de militants sont  perquisitionnés, dont ceux de 10 cheminots, et 18 arrestations sont effectuées). Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.

Charles Lemay est contacté par Roger Bastion, et devient membre du Parti communiste clandestin, puis membre du Front National à partir de juillet 1941, contacté par Etienne Cardin « il était chargé de la distribution des journaux et tracts clandestins appelant à la résistance contre les Allemands, puis au FN il s’occupait du sabotage du matériel ennemi ».
Le premier  juillet 1941, son domicile est perquisitionné par des gendarmes de la 3ème Légion de gendarmerie du Calvados.
Il fait partie d’une liste de 61 hommes et femmes du Calvados, anciens militants syndicalistes ou communistes visés par une opération de « répression de la propagande communiste ». 16 d’entre eux sont arrêtés. La même opération a visé 57 femmes et hommes de nationalité Russe. « Résultat néant ». Il s’agit manifestement d’une vaste opération déclenchée dans le cadre «d’Aktion Theoderich» (dès le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française).
Le 21 octobre 1941, il est arrêté sur son lieu de travail à la SMN, cette fois par la police allemande, pour « propagande communiste », le même jour que Jean Bourget,, Eugène Beaudoin, et Henri Greslon pour la même raison. Pas de jugement. Charles Lemay est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Le 24 octobre 1941, la Feldkommandantur 723 de Caen inscrit le nom de Charles Lemay sur une liste d’otages « fusillables »
détenus dans le Calvados. 
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne, en vue de sa déportation comme otage. Le 20 janvier 1942, la Feldkommandantur 723 demande des vérifications pour onze otages communistes du Calvados internés à Compiègne avant de procéder à leur exécution : Charles Lemay est le dixième de la liste. Sur cette même liste figurent les noms de quatre autres internés du Calvados déportés avec lui à Auschwitz : Eugène BeaudoinJean BourgetRoger GoguetPierre Lelogeais (voir photo plus  : les noms des autres otages sont barrés par respect de confidentialité).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Charles Lemay est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.777 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.  Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Charles Lemay meurt à Auschwitz le 17 août 1942 d’après les registres du camp. Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.

Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de  David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Charles Lemay est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
Un arrêté du 17 août 1994, paru au Journal officiel, porte apposition de la mention « mort en déportation » sur ses actes et jugements déclaratifs de décès.

Sources

  • Lettre de son épouse à André Montagne (9 juillet 45).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BACC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Recherches généalogiques (Naissance, mariage, registre matricule militaire, recensements) effectuées par Pierre Cardon.
  • Liste de la FK 123 : CDJC. XL III – 79.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2016 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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