Matricule « 45 792 » à Auschwitz

Lucien Levaufre : né en 1910 à Octeville (Manche), où il habite ; chaudronnier à l’Arsenal de Cherbourg ; communiste ; prisonnier de guerre, libéré le 22 mars 1941 ; arrêté le 22 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt le 2 septembre 1942.

Lucien, Jules, Auguste Levaufre est né le 10 octobre 1910 à Octeville (Manche), où il réside, place de l’Hôtel de Ville (ou 25, place de la République) au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie, Louise, Maria, Aubin, 22 ans, ménagère, née le 21 juin 1888 à Tourlaville (Manche) et de Lucien, Louis Levaufre, 23 ans, ouvrier à l’Arsenal, son mari. Ses parents habitent au, 244 rue Sadi Carnot, où il est né.
Son père, qui vient d’être nommé « chaudronnier en cuivre » au titre des ateliers et dépôts de l’Etat (JO du 15 juillet 1919), est candidat aux élections municipales d’Octeville du 30 novembre 1919 sur la liste Républicaine et Socialiste.
Lucien Levaufre obtient le Brevet militaire élémentaire (session de septembre 1930, club OCB).

Le 10 octobre 1930, à Cherbourg, il épouse Marie, Louise, Joséphine Briard, 
18 ans, qui habite chez ses parents au 19, rue du Vieux pont.
Le couple s’installe au 25, place de la République à Octeville. Ils ont deux enfants.
Lucien Levaufre est comme son père, chaudronnier en cuivre à l’Arsenal de Cherbourg (Manche).

Sortie des ouvriers de l’Arsenal

Conscrit de la classe 1930, il a effectué son service militaire à la Base aéronautique navale de Cherbourg (base d’hydravions). Il en sort soldat de Première classe.
Militant communiste connu, il est révoqué de l’Arsenal en 1939 pour ses opinions politiques dans le cadre du décret du 18 novembre 1939 « relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique« .
Révoqué de l’Arsenal pour ses opinions politiques, il n’est donc plus « Affecté spécial » et il est mobilisé fin 1939, affecté à la Base aéronautique navale de Cherbourg.

Cherbourg 1940 : le drapeau à croix gammée sur le fort du Roule (Dr)

Le 19 juin 1940 Rommel à la tête de la 7e Panzer division reçoit la reddition des troupes françaises des mains du Préfet maritime, le vice-amiral Le Bigot. Auparavant ce dernier a pris soin de commander la destruction de tous les sous-marins en cours de construction à l’Arsenal et au fort de l’Est. 30 000 hommes sont faits prisonniers. Le 21 juin 1940, horloges et montres sont avancées d’une heure. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Lucien Levaufre est fait prisonnier, comme son beau-frère, soldat au 119ème RI (le nom de Lucien Levaufre figure sur la liste des prisonniers communiquée par les autorités allemandes le 16 octobre 1940 : il est emprisonné au Frontstalag 131 à Saint-Lô, camp transitoire (à partir de novembre 1940, les soldats démobilisés-prisonniers sont transférés en Allemagne). Selon son épouse, il est libéré le 22 mars 1941 (comme « affecté spécial » à l’arsenal de Cherbourg selon son dossier Statut au DAVCC).
La famille habite alors au 25, place de la République à Octeville.

Dès le début de l’Occupation des tracts anti-allemands sont édités à l’initiative d’André Defrance, qui organise des groupes de patriotes sous l’égide du Parti communiste clandestin. Dans son attestation, il écrit : « il a milité dans le groupe de Résistance que j’avais créé dans l’agglomération cherbourgeoise lors de la création du Front National en mai 1941. Il a poursuivi la lutte contre l’occupant : il recevait des paquets de tracts qu’il était chargé de distribuer, il était chargé de recruter des patriotes à Octeville, il participait aux réunions clandestines de son groupe. Son arrestation a été consécutive à une distribution de tracts du Front National dans la localité d’Octeville ».

Lucien Levaufre est arrêté le 22 octobre 1941 à Octeville, à 20 h15 selon son épouse, par trois militaires allemands qui se sont livrés à une perquisition demeurée infructueuse, ceux-ci déclarant à Madame Levaufre que son mari avait été dénoncé comme étant porteur d’armes.
Dans la même rafle sont arrêtés d’autres militants, comme ses camarades René Fouquet, Pierre Picquenot et Lucien
Siouville
Selon le maire d’Octeville : « il est arrêté le 22/10/1941 par la Gestapo en tant que membre de la cellule communiste d’Octeville« .
Il est détenu à la Prison maritime de Cherbourg (la « Totoche »), puis il est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Levaufre est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45792″. Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

dessin de Franz Reisz, 1946

Lucien Levaufre meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942 d’après les registres du camp. L’arrêté du 19 décembre 1994 portant apposition de la mention « Mort en déportation ainsi que les rectifications des dates et lieux de décès sont portées sur les jugements déclaratifs de décès », a modifié officiellement sa date de décès : « décédé le 2 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne) et non en octobre 1942 à Auschwitz (Pologne) ». JO1995p03020-03024. 
Son nom est honoré sur le monument commémoratif de Saint-Lô « Aux Victimes de la répression nazie » (porte de l’ancienne prison détruite lors du bombardement du 6 juin 1944). Il est également gravé sur les monuments aux morts d’Octeville-Cherbourg.
Il est homologué ‘Déporté politique », mais malgré l’attestation d’André Defrance, il n’a pas été homologué RIF (dossier à Vincennes GR 16 P 369307).

Sources

  • « La Résistance dans la Manche » (Marcel Leclerc) Ed. La Dépêche. Page 41.
  • Les recherches de Renée Siouville (résistante, veuve de Lucien Siouville (46106), rencontrée par Roger Arnould au pèlerinage d’Auschwitz de 1971) effectuées auprès des Associations locales et des archives municipales et départementales ont permis de dresser une première liste et éléments biographiques de 16 des 18 « 45000 » de la Manche.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Dossier statut.

Notice biographique rédigée en avril 2001, complétée en 2018 et 2021, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005), pour le livre « De Caen à Auschwitz » (Collège Paul Verlaine d’Evrecy, Lycée Malherbe de Caen et Association « Mémoire vive ») juin 2001, Ed. Cahiers du temps. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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