Matricule « 46 296 » à Auschwitz
Chaim Levinsky : né en 1888 à Lodz (Pologne) ; domicilié à Dives-sur-Mer (Calvados) ; menuisier ; arrêté comme otage juif le 1er mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 7 août 1942
Chaim (Haim) Levinsky (1) est né le 18 août 1888 à Lodz (Pologne). Il habite avec son épouse au 3, rue de Caen (aujourd’hui rue du Général de Gaulle) à Dives-sur-Mer (Calvados) au moment de son arrestation.
Ebéniste de métier, il a émigré en France.
Le 5 avril 1921, à Paris 12è, il épouse Perla Pergricht (1), née en 1895 à Bedzin (Pologne), domiciliée 12, rue de Charenton. Le couple a un garçon, René, qui naît le 2 avril 1922 à Paris 12è. Agé de 20 ans en 1942, qui sera arrêté et déporté en même temps que son père (lire René Levinsky).
Chaim Levinsky est naturalisé français (sous le nom de Lewinsky) le 29 juin 1931 (décret n° 7615-31).
La famille s’installe à Dives-sur-Mer entre 1931 et 1936. Lors du recensement de 1936, Chaïm, sa femme et leur fils René habitent au dessus de leur boutique au 3, rue de Caen. Chaim Levinsky y est indiqué « patron mercier ».
La famille Levinsky tient un commerce de mercerie – chemiserie à Dives, qui sera liquidé sur ordre des autorités occupantes. Par extraordinaire, en 2020, le local était toujours une mercerie !
En septembre 1942, le responsable local du Parti collaborationniste, M. Angélliaume, signale par lettre au président de la Chambre patronale de commerce de nouveauté, qu’il suspecte fortement la vente illicite par un conseiller municipal demeurant à Villers-sur-Mer d’une partie de la vente du commerce Levinsky.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy.
Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile.
Dans la nuit du 1er au 2 mai, à 1 heure du matin, Chaim Levinsky (ainsi que son fils) est arrêté comme otage juif (lire l’article du site en cliquant sur ce lien) dans la nuit à son domicile par la gendarmerie française.
Ils figurent en effet sur la liste des Juifs à arrêter le 1er mai 1942 (120 otages « communistes et Juifs ») établie par les autorités allemandes. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43ème régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43ème RI.
Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Avec six autres habitants de Dives, il est amené à la maison d’arrêt de Pont-L’Evêque.
Madame Christine Le Callonec, parente par alliance du petit-fils fils d’un déporté, M. Jacques Sergeff, m’a fait parvenir les registres d’écrou de la prison de Pont-L’Evêque, concernant les arrestations effectuées par la Gendarmerie nationale française sur réquisition des Autorités allemandes le 3 mai 1942.
Sur les quatre pages de ces registres d’écrou figurent les noms de 15 hommes. Parmi eux, 11 seront transférés à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai, puis à Compiègne et de là déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942.
Il s’agit de Maurice Auvray, Maurice Monroty, Pierre Lelogeais, Jacques Grynberg, Maurice Guerrier, Henri Philippard, Emmanuel Michel, Lucien Lehmann, Henri Hasman, Chaïm Levinsky et son fils, René Levinsky.
Pour Chaïm Lewinsky, après l’appositions de deux empreintes digitales, le signalement du registre relève son âge : 53 ans et ses caractéristiques physiques. 1 m 65, Barbe : noire, Menton : fuyant, Bouche : bée, Nez : rectiligne, Sourcils : arqués, Yeux : dentelés châtains clairs, Cheveux : châtains, Teint : ordinaire. Sa date et lieu de naissance : le 18 août 1888 à Lodz (Pologne). Suivent sur la même ligne les mentions concernant l’identification des autorités ayant effectué l’arrestation (elle est « passagère » réalisée par la Gendarmerie nationale française) et l’autorité l’ayant commandée (autorités allemandes). Suivent : le dernier lieu de « séjour » (Dives-sur-Mer), la date d’entrée à la prison de Pont-L’Evêque : le 3 mai 1942 et la date de sortie : le 3 mai 1942, puis la mention du transfert à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai 1942.
A la demande des autorités allemandes, Chaïm Lewinsky et dix autres otages dont son fils – Juifs et communistes -, sont conduits en autocars le 3 mai au « Petit lycée » de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122, le 4 mai, en vue de sa déportation comme otage.
Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne). Chaïm Levinsky et son fils y sont internés au camp Juif le lendemain soir en vue de leur déportation comme otages.
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Chaïm Levinsky est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Chaim Levinsky est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 296 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont les 53 Juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement dans les marais et à la construction des Blocks.
Chaïm Levinsky meurt à Auschwitz le 7 août 1942, d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Son nom et celui de son fils sont honorés sur la plaque commémorative (19 décembre 2008) sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen côté avenue Albert Sorel afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens.
Ils sont également honorés sur le monument aux déportés de Dives-sur-Mer.
Son nom et celui de son fils sont inscrits sur le mur des noms au Mémorial de la Shoah à Paris (Dalle 65, colonne 22, rangée 22)
- Note 1 : son nom est orthographié Lewinsky par la gendarmerie de Dives. Lui même a signé Lewinsky le jour de son mariage. Nous avons retenu l’orthographe voulue par lui après sa naturalisation : Levinsky.
- Note 2 : on trouve également comme prénom Pesla (acte de mariage) ou Dasla, également née Perlight (recensement). Toutefois, un acte concernant la liquidation des biens Juifs du Calvados (index nominum 619 W 4), mentionne très précisément Perla Lewinsky (le nom propre correspondant à l’acte de naturalisation). Perla Levinsky quitte la région en 1943, peu avant l’évacuation officielle des Juifs de la région de Rouen et de la zone côtière (24 novembre 1943). En 1954, elle est revenue rue de Gaulle où elle est commerçante en confection.
Sources
- Fiche de renseignements FNDIRP établie par sa veuve, Mme Perla Levinsky (N° 8414)
- Listes (incomplètes) du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Décret de naturalisation n° 7615-31
- Etat civil de Paris 12°, acte de mariage du 5 avril 1921.
- Photo du stade de Dives in © « Dives mémoire ouvrière »
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2014, 2016, 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com