Matricule « 45 878 » à Auschwitz Rescapé
Emmanuel Michel : né à Saint-Pierre-Eglise (Manche) ; domicilié à Trouville-sur-Mer (Calvados) au moment de son arrestation ; homme d’équipe SNCF ; communiste ; arrêté le 1er juillet 1941, remis en liberté provisoire, puis arrêté à nouveau le 4 mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Sachsenhausen ; rescapé ; décédé le 22 février 1992.
Emmanuel Michel est né à Saint-Pierre-Eglise (Manche) le 27 mai 1901.
Il habite une petite maison, 5, rue des Ecores à Trouville-sur-Mer (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Maria Augustine Valo, 36 ans, ménagère, native de Crasville et de Désiré, Jean, Pierre Michel, 40 ans, journalier, né à Saint-Pierre-Eglise.
Il est employé comme homme d’équipe à la gare SNCF de Trouville-Deauville au moment de son arrestation.
Selon sa fiche matricule militaire Emmanuel Michel mesure 1m 72, a les cheveux roux et les yeux verts, le front moyen et le nez rectiligne. Au moment du conseil de révision, il travaille comme domestique à Gonneville (Manche). Il sera par la suite « homme d’équipe » aux chemins de fer. Conscrit de la classe 1921, Emmanuel Michel devance l’appel et s’engage pour 3 ans le 2 mars 1921 à Cherbourg. Il est incorporé le même jour comme apprenti marin au 1er dépôt des équipages de la flotte. Il est nommé matelot de deuxième classe canonnier le 2 août 1921 et matelot de première classe le 1er
juillet 1923. Il est « renvoyé dans ses foyers » le 2 mars 1924, « certificat de bonne conduite accordé » et se retire à Saint-Pierre-Eglise (Manche), rue aux Juifs, chez M. Le Valo.
Le 2 juillet 1924, il a déménagé au 9, rue de la Vicomté à Argentan, où il travaille comme homme d’équipe aux Chemins de fer. (il a été embauché à la Compagnie des chemins de fer de l’État le 23 août 1924). Cet emploi le fait alors « passer » le 5 août 1926 en tant que réserviste de l’armée active, à la 4ème section des chemins de fer de campagne en tant qu’« affecté spécial » (c’est-à-dire qu’il serait mobilisé à son poste de travail en cas de conflit).
Le 17 janvier 1927 il épouse Louise, Pauline, Françoise Jacq, à La Ferté-Macé (Orne). Elle est née le 11 février 1907 à Saint-Maurice du Désert (Orne). Le couple a deux enfants, une fille et un garçon.
En juillet 1927, ils habitent au 16, rue de la Chaussée à Argentan.
Membre du Parti communiste, il est candidat pour son parti aux élections des Conseillers d’arrondissement du 10 octobre 1937 pour le canton de Trouville. Au deuxième tour, le candidat de Front Populaire (rad. soc.) est élu.
Ayant été muté à l’arrondissement d’exploitation de Caen (Calvados), Emmanuel Michel est « affecté spécial » pour l’armée au moment de la mobilisation générale de 1939 à la 3è section des chemins de fer de campagne « se mobilisant à Caen au 129è RI » (Ml. 1613).
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus ou militants communistes « notoires », et procède à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
En mars 1941, Emmanuel Michel participe à l’activité communiste clandestine, (transport et distribution de tracts).
Fin juin, sa fille est à la maison, malade.
Emmanuel Michel, militant communiste connu pour ses activité politiques des services de police est arrêté chez-lui au soir du premier juillet 1941 par le commissaire de police Dubois accompagné de sergents de ville.
Il comparait le 21 juillet 1941 devant un tribunal français, qui décide de sa mise en liberté provisoire.
Lire dans le site le récit que fait Emmanuel Michel de ses deux arrestations : Calvados : les arrestations des 1er juillet 1941 et 1er mai 1942
Mais, le 1er mai 1942 il est de nouveau arrêté : il figure sur la liste de 120 otages «communistes et Juifs» établie par les autorités allemandes pour laquelle, dit-il le commissaire Dubois a choisi son nom. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Il mentionne la présence de deux otages Juifs arrêtés en même temps que lui : Wolf Kaliski, tailleur, né en Pologne le 15/06/1893, qui sera déporté depuis Drancy le 2/09/1943 (son nom figure sur le registre d’écrou à la prison de Pont-Levêque le 3 mai 1942) et Mizraky, dont il dit qu’il sera également déporté à Auschwitz (mais ce nom, ou un orthographe approchant ne figure pas sur la liste des Juifs de Trouville et environs arrêtés le 1er mai, ni parmi les 15 noms figurant sur le registre d’écrou en date du 3 mai de la prison de Pont-Levêque). Il sont remis aux autorités allemandes (Feldkommandantur723) à leur demande. Celles-ci vont l’interner au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le 4 mai, en vue de sa déportation comme otage.
Emmanuel Michel a fait le récit de ses deux arrestations dans une plaquette « Auschwitz, antre du crime et du sadisme. Un réquisitoire » janvier 1946, pages 11 à 14 reproduites ci-après
«On a beau être pourvu d’un solide équilibre, on ne peut pas arrêter le petit mouvement d’inquiétude qui vous surprend lorsque, un soir, alors que vous êtes au milieu de votre famille, vous entendez frapper violemment à votre porte et que vous trouvez sur le seuil, lorsque vous allez ouvrir, le commissaire de police accompagné de sergents de ville. C’est ce qui m’arriva le 1er juillet 1941. Nous étions réunis, ma femme, ma fille, malade, et moi, à la fin d’une dure journée de travail, dans notre petite maison du 5, de la rue des Ecores, à Trouville, et j’aspirais à un repos bien mérité quand ce commissaire de police m’enleva et m’emmena à la Maison d’arrêt de Pont-l’Evêque, sous l’inculpation d’activité communiste. Je subis là plusieurs interrogatoires du Juge l’Instruction et je fus incarcéré. Ma femme vint me voir. Un jour, je demandai au juge de pouvoir embrasser mon neveu.
« Ce ne sera pas utile – me répondit-il – je vais vous relâcher et vous remettre en liberté surveillée ».La fin de mes tourments n’était, hélas, pas venue. Je fus, en effet, contraint d’aller signer, deux ou trois fois par semaine, au commissariat, et j’appris pendant ce temps que le commissaire Dubois, qui m’avait arrêté, avait choisi librement et de sa propre autorité mon nom sur une liste qui lui avait été présentée. Je ne souhaite pas de remords au commissaire Dubois. J’espère simplement que s’il devait recommencer ce triste métier, il y regarderait à deux fois avant de livrer sans hésiter un autre Français à l’effroyable sort qui m’était réservé par la suite.
Le 1er mai 1942 – j’avais alors 41 ans – le déraillement d’un convoi allemand à Moult-Argences, entre Mézidon et Caen, provoqua une série d’arrestations d’otages dans toute la région. Je revis chez moi le visage du commissaire Dubois. Je fus amené au commissariat de Trouville, à 11 heures du soir, où je subis un premier interrogatoire devant un Feldgendarme. Vers deux heures du matin, je fus descendu en cellule. Pendant deux jours, je passai sans arrêt des interrogatoires à la cellule, de la cellule aux interrogatoires et bientôt les événements se précipitèrent. Le dimanche 3 mai, le commissaire de Trouville reçut l’ordre téléphonique de me transférer à la prison de Pont-l’Evêque.
Au moment de mon départ – qui fut remis à quelques heures plus tard d’ailleurs – je vis trois à quatre cents personnes manifester devant le commissariat. Je n’oublierai jamais cela. Il fallut me faire rentrer et peu après, nous partions dans une auto rapide qui avait réussi à tromper les manifestants. Le soir, je quittais Pont-l’Evêque pour Caen, avec vingt-cinq ou trente compagnons, à bord d’un camion. Le lendemain matin, à 8 h. 30, la Cour Martiale siégeait. Je passai le premier et je fus condamné à mort. Je devais être exécuté le lendemain matin. Tu devines les angoisses par lesquelles j’ai pu passer. J’avais été conduit, dans l’attente du lendemain fatal, dans une grande pièce et le soir nous nous trouvions rassemblés à cinquante deux. La nuit passa. Ces nuits là sont terribles (…). Puis le petit jour vint. Brusquement des soldats ouvrirent les portes et on fit l’appel d’un premier groupe. Nous savions que c’était fini et que nous abandonnions tout espoir. Les visages de mes camarades étaient blancs et crispés. J’entendis soudain dans la pénombre et le silence glacial un nom parvenir jusqu’à moi. Michel… Un silence. Je ne répondis pas.
Les soldats, brutalement, écartèrent de nous 26 hommes. Ils les emmenèrent. Nous ne les revîmes jamais. Hagards et mornes nous attendîmes notre tour. Le temps s’écoula et la journée passa. Nous pensions que le lendemain serait notre dernier jour. Mais, à la fin de l’après-midi, on nous emmenait brutalement à la gare de Caen. Nous partions pour Compiègne, premier pas vers l’enfer d’Auschwitz, vers la terreur et vers la mort. Combien d’entre nous eussent préféré, à la mort lente qu’ils ont subie là-bas pendant des mois et des mois, la fin à laquelle ils avaient échappé, le dimanche 4 mai, à l’aube de ce matin pâle… ».
Avec six autres habitants de Dives, Emmanuel Michel est amené à la maison d’arrêt de Pont-L’Evêque.
Madame Christine Le Callonec, parente par alliance du petit-fils fils d’un déporté, M. Jacques Sergeff, m’a fait parvenir les registres d’écrou de la prison de Pont-L’Evêque, concernant les arrestations effectuées par la Gendarmerie nationale française sur réquisition des Autorités allemandes le 3 mai 1942. Sur les quatre pages de ces registres d’écrou figurent les noms de 15 hommes. Parmi eux, 11 seront transférés à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai, puis à Compiègne et de là déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942.
Il s’agit de Maurice Auvray, Maurice Monroty, Pierre Lelogeais, Jacques Grynberg, Maurice Guerrier, Henri Philippard, Emmanuel Michel, Lucien Lehmann, Henri Hasman, Chaïm Levinsky et son fils, René Levinsky.
Pour Emmanuel Michel, après l’appositions de deux empreintes digitales, le signalement du registre relève son âge : 41 ans et ses caractéristiques physiques. 1 m 73, Barbe : rasée, Menton : fuillant, Bouche : bée, Nez : rectiligne, Sourcils : horizontaux, Yeux : bleux, Cheveux : blonds, Teint : ordinaire. Sa date et lieu de naissance : le 16 juillet 1895 à Sedan (Ardennes). Suivent sur la même ligne les mentions concernant l’identification des autorités ayant effectué l’arrestation (elle est « passagère » réalisée par la Gendarmerie nationale française) et l’autorité l’ayant commandée (autorités allemandes). Suivent : le dernier lieu de « séjour » (Trouville-sur-Mer), la date d’entrée à la prison de Pont-L’Evêque : le 3 mai 1942 et la date de sortie : le 3 mai 1942, puis la mention du transfert à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai 1942.
Emmanuel Michel et dix autres otages – Juifs et communistes -, sont conduits en autocars le 3 mai au « Petit lycée » de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le 4 mai, en vue de sa déportation comme otage.
Emmanuel Michel décrit le départ depuis la gare de Caen en direction de Compiègne et les quelques arrêts : « lorsque le train, après être passé par Mézidon, s’arrête à Lisieux, là encore, quelques amis, dont mon malheureux camarade Marie, travaillant au service de la voie, mort-là-bas, ont pu faire leurs adieux à leurs parents et amis« , p 16 in « Auschwitz, antre du crime et du sadisme. Un réquisitoire »..
A la suite de l’arrestation de 27 cheminots du Calvados du 1er au 4 mai 1942 (dont 8 par tirage au sort), la Direction de la SNCF a sollicité l’intervention de l’ambassadeur de France (De Brion) auprès des autorités allemandes, qui écrit le 15 mai 1942 au Général commandant les forces militaires allemandes en France, soulignant l’impact de ces mesures sur le personnel cheminot très sollicité et en sous effectifs, et demandant leur révision (en vain). Emmanuel Michel est le premier mentionné par la SNCF pour l’arrondissement d’exploitation de Caen avec sa fonction : homme d’équipe à Trouville.
Depuis le camp de Compiègne administré par la Wehrmacht (le Frontstalag 122), il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Emmanuel Michel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Emmanuel Michel est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 878 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Emmanuel Michel est affecté au block 6A, puis au block 25 (détenus affectés aux cuisines).
Emmanuel Michel, a évoqué les noms de plusieurs de ses camarades de déportation, Alphonse Marie, Victor Louarn et Georges Dudal. Il a raconté la mort de Maurice Guerrier, qui habitait comme lui à Trouville. « J’avais également un autre camarade de la région, Guerrier, qui avait été arrêté le 1er mai 1942 et que je retrouvais à Auschwitz. Le 30 août 1942, Guerrier me fit ses adieux (1) avec un beau courage, vers midi 30. Vers 15 heures les sinistres camions des fours vinrent le chercher avec beaucoup d’autres. A 18 heures les cheminées de crématoires se mirent à cracher des nuages de fumées cendrées. Je ne revis, ni ne reverrai plus jamais mon ami Guerrier, mais je n’oublierai pas que je fus étreint par la terrible angoisse qui vous prend devant de telles atrocités, angoisse qui décupla l’admiration que j’éprouvais et que j’éprouve encore devant l’abnégation et le mépris de la mort dont Guerrier témoigna ce jour-là » (Auschwitz, antre du crime et du sadisme. Un réquisitoire » janvier 1946, P 32 et 33).
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Depuis Auschwitz, il est transféré le 28 août 1944 à Sachsenhausen au sein d’un convoi composé de 807 hommes…
Ce camp situé dans le Nord de l’Allemagne, fut presque entièrement évacué avant la libération des détenus par les troupes américaines le 23 avril (3000 survivants).
A Sachsenhausen, il est affecté au block 66 avec ses camarades : Georges Gourdon (45622-94257), Henri Hannhart (45652-94258), Germain Houard (94 259), Louis Jouvin (94 260), Jacques Jung (94 261), Lahousine Ben Ali (94 264), Marceau Lannoy, Louis Lecoq, Guy Lecrux (94 266), Maurice Le Gal (94 267), Gabriel Lejard (94 268), Charles Lelandais (94 269), Pierre Lelogeais, Charles Limousin, Victor Louarn, René Maquenhen, Georges Marin, Henri Marti, Maurice Martin, Henri Mathiaud, Lucien Matté, Emmanuel Michel, Auguste Monjauvis (94 280), Paul Louis Mougeot, Daniel Nagliouck, Emile Obel (94 282), Maurice Ostorero, Giobbé Pasini, René Petitjean, Germain Pierron).
L’évacuation de Sachsenhausen a lieu le 21 avril 1945, en direction de Schwerin puis de Lübeck ou de Hambourg.
La colonne de déportés où se trouve Emmanuel Michel arrive au camp de Wittstock / Dosse (dépendant de Sachsenhausen) le 25 avril 1945. Ils sont libérés le Premier mai 1945.
Emmanuel Michel est rapatrié le 23 mai 1945.
Ci-dessous le récit qui commence la plaquette de son témoignage, écrit par un de ses camarades qui signe P.C. , présent à la gare de Lisieux à son retour.
« Devant moi, j’avais un homme qui semblait vieilli de dix ans. Je ne l’avais pas reconnu. J’étais ce soir-là, à la gare de Lisieux où j’attendais un ami. Dans le monde, le canon, le bruit des bombes et l’explosion des torpilles, avaient cessé de retentir. Dans le hall de la gare, des petites lampes brillantes et gaies avaient remplacé les lueurs blafardes et bleues du black-out. La foule débouchait des quais et gagnait la porte de sortie. Haussé sur la pointe des pieds, le cou tendu, j’essayais en vain d’apercevoir mon ami, quand je fus brusquement remis sur mes talons par une main qui s’appesantissait épaule. Devant moi, un visage tiré, creux, pâle, souriait. Les yeux semblaient conserver derrière leurs prunelles quelque chose d’incertain. Les lèvres murmurèrent – « Bonjour, mon vieux… » Je souris à mon tour. Il le fallait bien. Je voulus faire semblant de reconnaître mon interlocuteur, mais lui ne s’y trompa point.
« Tu ne me reconnais pas, mon vieux. Bast, tu ne seras pas le premier sans doute : Michel… Emmanuel Michel… » J’écarquillai les yeux. En un instant, je revis mon vieil ami, trois ans auparavant, à son triste départ de Deauville. C’était un brave garçon, solide sur ses jambes comme à son poste qu’il occupait à la S.N.C.F. Il avait à l’époque les épaules larges, le front énergique, un visage rond. Devant moi, j’avais un homme qui semblait vieilli de dix ans. Il paraissait porter sur le dos une charge pesante. Dans ses vêtements amples, on sentait un homme diminué physiquement et les yeux me parurent à ce moment chargés d’un passé lourd de souvenirs. Je lui pris les bras. Michel, mon pauvre vieux… – Crois-moi, me répondit-il lentement, j’ai de la chance… Je te raconterai…
Le Parti communiste du Calvados publie en janvier 1946, une plaquette intitulée « Auschwitz antre du crime et du sadisme », écrite à partir des récits d’Emmanuel Michel.
Emmanuel Michel, comme ses camarades rescapés, a rédigé dès son retour des camps des attestations pour les familles de ses camarades du Calvados ou de la Manche décédés à Auschwitz.
Son registre matricule militaire présente la longue liste des conclusions des commissions de réforme faisant état des nombreuses séquelles de sa déportation.
En avril 1955, il habite à Deauville-sur-Mer (Calvados), pavillon 8, Gare.
En août 1960, il habite Trouville (Calvados) et en mars 1967 au 9, rue de Lisieux à Le Neubourg (Eure).
Emmanuel Michel est décoré de la « Croix du combattant volontaire 1939-1945 » en décembre 1961.
Le 6 juin 1963, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur (J.O.R.F. du 5-01-1963).
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et d’André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom d’Emmanuel Michel est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
Le 2 avril 1947, le Conseil municipal donne son nom à une rue nouvelle partant de la rue de la République et aboutissant à la cité départementale.
Emmanuel Michel décède à Lisieux (Calvados) le 22 février 1992.
Son épouse Louise est décédée le 21 février 2004 à Lisieux.
Sources
- Auschwitz, antre du crime et du sadisme. Un réquisitoire » janvier 1946, P 32 et 33). Exemplaire dédicacé par son fils.
- Registres matricules militaires.
- Fiche FNDIRP (21462) remplie par Emmanuel Michel à son retour.
- Témoignages de Jules Le Troadec, Louis Eudier, René Petitjean, Auguste Monjauvis
- Emmanuel Michel a rappelé des souvenirs concernant, entre autres, Victor Louarn, Georges Dudal, Maurice Guerrier.
- Photo prise après son retour dans sa tenue de déporté. Elle date d’avant fin janvier 1946, puisqu’elle figure dans la brochure.
- Etat civil de la mairie de Saint Pierre-Eglise, 9 mars 1994.
- Liste des « communistes arrêtés dans la nuit du 1er au 2 mai sur désignation de l’Autorité Allemande locale (Kreiskommandanturen) et remis le 3 mai 1942 »
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Entrée du camp de Sachsenhausen : in © www.albert-videt.eu
- Recherches généalogiques (état civil, recensement, registre matricule militaire) effectuées par Pierre Cardon
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2014, 2016, 2017, 2020, 2021, 2023, et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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