Matricule « 46.076 » à Auschwitz Rescapé
Jean Rouault : né en 1893 à Rennes (Ille-et-Vilaine), où il habite ; ajusteur SNCF ; communiste, secrétaire à l’organisation du rayon de Rennes et syndicaliste ; arrêté le 30 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Flossenbürg et Wansleben. Rescapé ; décédé à Rennes le 1er décembre 1970.
Jean Rouault est né le 5 mars 1893 au domicile de ses parents (champ de Justice, route de Lorient) à Rennes (Ille-et-Vilaine). Ce même jour naît sa jumelle, Jeanne, Augustine (1).
Jean Rouault habite au 3, rue Saint-Louis à Rennes au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Louise Brionnais, 28 ans et de Constant, Pierre, Marie Rouault, 38 ans, journalier, son époux.
Lors du conseil de révision, Jean Rouault habite 8, rue Lacroix à Paris, 17ème. Il travaille comme ajusteur.
Conscrit de la classe 1913, Jean Rouault est appelé au service militaire le 27 novembre 1913. Il est incorporé au 13ème régiment de hussards. La déclaration de guerre le mobilise dans son régiment, qui le 2 août 1914, part « aux armées » en Belgique.
Jean Rouault épouse Eloïse, Augustine Beaufreton le 14 novembre 1916 à Paris 8ème. Elle est née à Mignaloux-Beauvoir (Vienne) le 14 mars 1893. Le couple aura deux enfants, un fils, Raymond qui naît en 1923 (2) et une fille – qui lui annoncera son mariage en 1942 alors qu’il est interné à Compiègne -. Il est détaché à Toul du 12 janvier 1917 au 21 décembre de la même année (les 3ème et 4ème escadrons rejoignent à Toul la 131ème division d’infanterie et vont combattre en septembre 1917 au nord de Verdun). A trois reprises (septembre 1915, juillet 1917 et janvier 1918 à l’hôpital de Tours), il est évacué en ambulance et retourne « aux armées » après seulement quelques jours de soins ou une courte convalescence (10 jours en 1918). Le 15 juin 1917, il « passe » au 8ème régiment de hussards.
Le 22 mars 1919, il est dirigé sur le dépôt de transition du 26ème bataillon de chasseurs à pied, pour être mis à disposition des chemins de fer de l’Etat. Du 26 novembre 1919 au 7 mai 1920, toujours militaire, il est classé comme « affecté spécial » au titre des Chemins de fer de l’État comme ajusteur à La Garenne-Colombes (Seine / Hauts-de-Seine).
Le 30 octobre 1920 il est démobilisé au dépôt du 2ème régiment de hussards, « certificat de bonne conduite accordé », et se « retire » à La Garenne-Colombes.
Jean Rouault est militant communiste, secrétaire à l’organisation pour le Rayon du Parti communiste de Rennes.
Il a également des responsabilités à la Fédération Nationale CGT de la SNCF.
En janvier 1925, février 1927 et janvier 1937, il est ouvrier de 1ère classe à la gare de Courtalain (Eure-et-Loir).
Il est muté au dépôt SNCF de Rennes et vient habiter au 3, rue Saint-Louis.
Comme la quasi-totalité des « Affectés spéciaux » connus comme communistes
ou syndicalistes, il est rayé de « l’affectation spéciale du tableau 2 » (décision du général commandant la 4ème région militaire, du 17 avril 1940) et réaffecté le 20 avril 1940 à la subdivision de Rennes et au dépôt d’infanterie n°44 où il arrive le 22 avril 1940.
Le 18 juin 1940, les chars de la Werhmacht entrent dans Rennes. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ».
Sous l’Occupation, Jean Rouault dirige des formations armées et, dès sa création, il est le responsable à l’organisation communiste clandestine et puis du « Front National » pour l’Ille-et-Vilaine en 1940 et 1941. Parmi eux, Louis Boulanger, un autre cheminot (3).
Jean Rouault est arrêté le 30 juin 1941 par des policiers allemands, incarcéré à la prison Jacques Cartier de Rennes, puis remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu, le Frontstalag 122, à Compiègne, le 10 juillet 1941.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Rouault est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il reçoit le matricule « 45.076« . Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Ajusteur de profession, il retourne à Auschwitz I.
A Auschwitz I, affecté aux cuisines, il tente de sauver son camarade Emile Drouillas en lui faisant passer de la nourriture. «Malheureusement, raconte-t-il à son retour aux filles d’Emile Drouillas, il trouvait toujours quelqu’un de plus malade et de plus affamé » que lui.
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11. Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.
Dès 1944, devant l’avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de « 45.000 » ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux.
Quatre vingt neuf autres « 45.000 » sont transférés au cours de l’été 1944, dans trois camps situés plus à l’Ouest – Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen – en trois groupes, composés initialement de trente « 45000 » sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de « 45.000 » restent à Auschwitz jusqu’en janvier 1945.
Lire dans le blog deux articles : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945)
Jean Rouault est transféré le 28 août 1944 à Flossenbürg, où il arrive le 31 août 1944 avec un groupe de 30 autres « 45.000 »… : il s’agit de Georges Hanse (45653-19907), Jules Le Troadec (45766-19887), Albert Morel (45895-19885), Louis Paul (45952-19902), Henri Peiffer (45956-19 878), Roger Pelissou (19 908), Etienne Pessot (19 880), Gustave Raballand (19 904), Maurice Rideau (19 888), Mario Ripa (19 884), Jean Rouault (19 890), Georges Rousseau (19 895), Camille Salesse (19 898), André Seigneur (19 892), Stanislas Slovinski (19 883), Stanislas Tamowski (19 886), Jean Tarnus (19 881), Marcel Thibault (19 889), Léon Thibert (19 894), Gabriel Torralba (46264-19900), Lucien Tourte (19 906), Antoine Vanin (19 899), Lucien Vannier (46173-19903), Pierre Vendroux (46184-19 879), Francis Viaud (46190-19905). Jean Bach (46217-19882), Roger Debarre (46231-19893), Louis Faure (46234-19896), André Gaullier (46238-19891)
Jean Rouault est ensuite transféré directement le 1er novembre à Wansleben, Kommando dépendant de Buchenwald (il y reçoit le matricule n° 93.422) avec : André Gaullier (93 417), Jules Le Troadec (93 419), Henri Peiffer (93 420), Gustave Raballand (93 418), Maurice Rideau (93 421), Jean Rouault (93 422), Georges Rousseau (93 423), Stanislas Tamowski (93 413), Lucien Tourte (93 425), Lucien Vannier (93 427), François Viaud (93 248).
La fiche ci-contre indique qu’il vient du camp de Flossenbürg (28 août 1944), après être passé par Auschwitz (6-7-1942, mention : convoi du RSHA, politique français).
Toutes les mentions anthropométriques y sont remplies (taille 1 m 65… yeux bleus, nez irrégulier (Wellig, ondulé), bouche normale, cheveux gris… et une mention particulière : chauve).
Il est mentionné comme profession : serrurier.
Le 12 avril 1945, Wansleben est évacué à marche forcée (une «Marche de la Mort» très éprouvante et mortelle).
Au sein de cette colonne, les « 45.000 » survivants contournent Halle par le nord. André Gaullier et Maurice Rideau s’évadent le 13. Les autres, dont Jean Rouault sont libérés le 14 ou le 15 avril 1945 entre les villages de Quellendorf et de Hinsdorf.
Il convient de signaler que la fiche concernant Jean Rouault rédigée par l’Amicale de Flossenburg et Kommandos, mentionne qu’il est dirigé sur le Kommando de Halle et libéré le 14 avril 1945 par l’armée Russe. Toutefois on trouve sur deux sites internet (L’Histoire en rafale et Wikipédia) mention des unités du 7e corps de la première armée US pour la libération de Halle.
Son retour en France, le 24 mai 1945 par Sarrebruck, est terrible : son fils, Raymond, engagé dans la Résistance, est mort sous la torture, en juillet 1942, et son neveu, André, résistant également, a été fusillé en décembre 1942 (2).
Jean Rouault devient secrétaire départemental de l’ADIRP d’Ille-et-Vilaine, et entre au Comité National de la FNDIRP.
Le 4 février 1957, Jean Rouault épouse Gabrielle, Estelle Maudet à Rennes, dont il divorcera le 30 mars 1965.
Depuis son retour des camps, pensionné à 100 % comme la plupart des « 45000 » rescapés de déportation, Jean Rouault souffrira des séquelles de celle-ci.
Le document ci-contre, qui codifie d’année en année de commissions de réforme le maintien à 100 % de la pension temporaire, indique par 11 items les séquelles dont il souffre. Il figure avec 2 autres documents sur son registre matricule militaire et témoigne de l’ampleur des souffrances qu’il continuera d’endurer jusqu’à sa mort.
Jean Rouault décède à Rennes le 1er décembre 1970.
- Note 1 : Jeanne Augustine Rouault, sa jumelle, se marie le 9 mai 1913 avec Georges, Joseph Bon. Elle est décédée à Bastia (Corse) le 3 décembre 1976.
- Note 2 : Raymond Rouault, son fils : Après une enquête du commissaire principal Morellon, chef de la 13e brigade régionale de la police judiciaire, chargée de la chasse aux communistes, Raymond Rouault, 19 ans, ajusteur, est arrêté le samedi 29 février 1942, tombé dans une souricière, alors qu’il revenait du cinéma, établie à son domicile au 3, rue Saint Louis où se trouvaient trois de ses camarades dont Bernard Sidobre. L’Ouest-Eclair du 2 mars 1942 titre « Trois jeunes communistes sont arrêtés – Un quatrième tire sur la police et réussit à s’enfuir » mais la police a bien identifié son cousin André Rouault qui sera arrêté le 8 août 1942, condamné par le tribunal militaire de Nantes et fusillé le 29 janvier 1943. Raymond Rouault et ses deux camarades sont déférés au Parquet (…). L’état-civil du 8 juillet 1942 publié dans Ouest-Eclair, à la rubrique décès, cite un « Raymond Rouault, 19 ans, s.p., célibataire, 12, rue Saint-Louis ». A cette adresse était située l’entrée sud de l’hôpital militaire réquisitionné par l’armée d’occupation. In © Wiki Rennes. Une allée de Rennes honore son nom.
- Note 3 : Louis Boulanger est arrêté le 1er avril 1942. Interné à St Helier, Fontevrault, Compiègne, déporté à Mauthausen le 22 mars 1944. Transféré à Auschwitz le 1er décembre 1944 avec 248 autres français. Il y décède le 18 janvier 1945.
Sources
- Photo en tenue militaire avec Emile Drouillas ses enfants et sa femme, devant le magasin que tenait madame Drouillas (© document, les deux filles d’Emile Drouillas).
- Photo après son retour © Jean Rouault à la FNDIRP.
- Témoignage de Jean Rouault à la FNDIRP (N° 48).
- « Emile Drouillas, dit Laporte » ouvrage de Jeanne Roquier-Drouillas et Renée Thouanel-Drouillas.
- Courriel de Mme Renée Thouanel-Drouillas (août 2011)
- Fiche du Congrès national de la FNDIRP, avril 1949.
- Site « Déportés de Bretagne« , liste des déportés d’Ille et Vilaine par Jean Paul Louvet.
- Fichier national de la division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Archives municipales de Rennes.
- Fiche de Wansleben in Archives d’Arolsen © International Center on Nazi Persecution, Bad Arolsen Deutschland
- Fiche Jean Rouault in Amicale de Flossenburg et Kommandos.
Notice biographique rédigée en novembre 2001 (complétée en 2011, 2016 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com