Charles Jacquet © Alain Jacquet.
Le 8 juillet 1942

Matricule « 45 681 » à Auschwitz

Charles Jacquet : né en 1893 à Lyon (Rhône) ; domicilié à Pompey (Meurthe-et-Moselle ; prisonnier de guerre en 1918 ; syndicaliste et communiste ; arrêté comme otage le 14 avril 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il décède le octobre 1942.

Charles Jacquet est né le 2 décembre 1893 à l’hospice de la Charité à Lyon 2ème (Rhône). Il habite 2, rue de l’Eglise, à Pompey (Meurthe-et-Moselle) au moment de son arrestation.
Il est le fils, de Jeanne, Céline Jacquet, 16 ans, cuisinière, domiciliée rue des Champeaux à Lyon. Son registre matricule militaire indique qu’il travaille comme garçon de culture (garçon de ferme) et habite Rosières-en-Haye (Meurthe-et-Moselle) au moment du conseil de révision. Il mesure 1m 68.
Conscrit de la classe 1913, Charles Jacquet est classé dans la 5ème partie de la liste de 1913 pour « faiblesse », ce qui signifie qu’il est ajourné d’un an. Le décret de mobilisation générale du 1er août 1914 le mobilise à compter du 5 août : il est incorporé le 9 août au 149ème régiment d’infanterie, cantonné à Epinal (Vosges), où il arrive le 15 août. Le 25 juin 1915, il est nommé 1ère classe. Lors de la bataille de Verdun, dans le secteur de Vaux, il est cité à l’ordre du régiment (o/j n° 65) le 6 avril 1916 : « Très bon soldat, courageux, méprisant le danger, agent de liaison ayant assuré les communications pendant la période du 1er au 5 avril 1916, sous un violent bombardement ininterrompu. Toujours prêt à marcher dans les circonstances les plus difficiles. Bel exemple pour ses camarades ».
Le 26 septembre 1916, Charles Jacquet est à nouveau cité à l’ordre du régiment lors de la bataille de la Somme (combats de Soyécourt qui commencent le 4 septembre) : (o/j n° 257) « Agent de liaison, s‘est fait remarquer par son courage et son sang froid au cours de l’attaque du 4 septembre 1916. Est allé chercher sous un feu violent deux soldats blessés et les a ramenés dans nos lignes. Soldat toujours prêt pour les missions dangereuses ». Pour ces faits d’arme, il reçoit la Croix de guerre, avec deux étoiles de bronze. Le 28 mai 1917, il est nommé caporal.
Lors d’une permission, il épouse Elise, Eugénie, Julie Telliez le 2 mars 1918 à Paris 6ème. Elle est née en 1897 à Lille et elle est domicilié au 4, rue Bourbon-le-Château à Paris 6ème. Le couple aura une fille, Odette née en 1919 à Paris et un fils, Gilbert, né en 1923 à Rosières-en-Haye. 

Elise et Charles Jacquet en 1918 © Alain Jacquet

Revenu au front,  alors qu’il est caporal à la 3ème compagnie, Charles Jacquet est porté disparu le 29 mai 1918 : en fait, il a été fait prisonnier lors de la « très dure bataille défensive de l’Aisne », lors de l’attaque de la cote 140 à Arcy-Sainte-Restitue et Cuiry-Housse (C.f. la fiche du CICR ).
Charles Jacquet est interné dans une annexe du camp de prisonniers de guerre de Langensalza le 1er novembre 1918 dans la province de Saxe, près d’Erfurt.
Le 4 décembre 1918, il est rapatrié sur Paris en vertu des accords du traité de Versailles (article 224 et suivants).

Le 5 janvier  1919, il est affecté au 102ème régiment d’infanterie en attente de sa démobilisation qui a lieu le 8 août 1919.
Le 12 août le couple Jacquet habite au 9, rue de la Ferronnerie  à Paris 1er.
En décembre 1921, la famille Jacquet a quitté la région parisienne et est revenu à Rosières-en-Haye (Meurthe-et-Moselle), à 15 km des Forges de Pompey. Ils habitent au 53, Grande rue.
En 1931, Charles Jacquet est surveillant aux Forges de Pompey.
Catholique, Charles Jacquet est membre du Parti communiste. Il est l’un des organisateurs du Syndicat CCTU des Métaux et joue un grand rôle dans les grèves de juin et novembre-décembre 1936 à Pompey. Il est secrétaire du Syndicat des Métaux CGT pour Pompey, de sa création (été 1936) à 1939.

En 1936, les Jacquet habitent encore à Rosières-en-Haye. Il est chef d’équipe au service « chemin de fer » des Aciéries de Pompey.

1938 : au congrès de la CGT à Nantes, à gauche de l’image © Alain Jacquet

De la tendance unitaire (CGTU), Charles Jacquet est l’un des 6 membres de la délégation de Meurthe-et-Moselle au Congrès de Nantes de 1938 qui condamne majoritairement les décrets-lois Daladier et qui décide d’une grève générale.
Charles Jacquet (et tout le bureau du syndicat des métaux de Pompey) est licencié dans la vague de répression qui suit l’échec de la grève générale des 29 et 30 novembre 1938 (20, 6 % de grévistes dans les Métaux, 8 % dans la métallurgie, 20, 4% dans les mines de fer).
La famille vient habiter Pompey, au 26 rue de l’Eglise.
Charles Jacquet travaille alors à la S.N.C.F tout en restant à la tête du syndicat.
En septembre 1939, il se désolidarise publiquement de l’URSS et déclare ne plus avoir rien de commun avec le « PC-SFIO » (Magrinelli op. cité). Il quitte le Parti communiste à la suite du Pacte Germano-soviétique (Maitron op. cité).

Par décision de l’Occupant, la Meurthe-et-Moselle se trouve dans la « zone fermée » ou « zone réservée », destinée au futur « peuplement allemand ».

Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée. Plus de 20 000 soldats allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).

Le sabotage du transformateur d’Auboué dans la nuit du 4 au 5 février 1942, entraîne une très lourde répression en Meurthe-et-Moselle. Lire dans le blog : Meurthe et Moselle Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué (février 1942).
Speidel à l’Etat major du MBF annonce qu’il y aura 20 otages fusillés et 50 déportations. Une importante prime à la délation est annoncée (20.000 F des autorités et 10.000 de la direction de l’usine) : pour comparaison, le salaire horaire moyen d’un ouvrier de l’industrie est à l’époque de 6 F, 30 (in R. Rivet « L’évolution des salaires et traitements depuis 1939 »).
Les arrestations de militants commencent dès le lendemain dans plusieurs sites industriels de la région : par vagues successives, du 5 au 7 février, puis entre le 20 et le 22, et au début de mars. Elles touchent principalement des
mineurs et des ouvriers de la métallurgie connus pour avoir été communistes et/ou syndicalistes. 16 d’entre eux seront fusillés à la Malpierre.

Le 17 avril 1942, la Feldgendarmerie l’arrête à son domicile, à l’heure de midi, au cours d’une grande rafle dans Pompey et Frouard, à la suite d’une distribution de tracts contre l’occupant la nuit précédente. « quinze ou vingt hommes furent emmenés comme otages. Certains avaient assuré des responsabilités diverses en tant que syndicalistes métallurgistes avant la guerre de 1939  » (témoignage d’Odette-Celotto-Jacquet, sa fille).
Interrogés dans les locaux de la Gestapo rue Albert 1er à Nancy (où une plaque commémorative a été apposée), ils sont conduits à la prison Charles III de Nancy. La plupart sont relâchés, sauf Charles Jacquet et Lucien Pierson de Frouard. Ils sont placés en « cachots secrets« . Leurs familles ne les reverront jamais plus.

Au début de juin, Charles Jacquet est remis aux autorités allemandes à leur demande, en même temps que Ferdinand Bigaré  et Lucien Pierson.

Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Charles Jacquet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant

-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Photo identifiée
Demande d’identification

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’était pas certain. Le numéro « 45681 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) et signalé comme incertain, correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules, qui n’a pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il est désormais validé grâce aux photos de famille retrouvées par son petit-fils, M. Alain Jacquet.

Cette photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.  Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Charles Jacquet meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 492).
Un arrêté ministériel du 1er juin 1994, paru au Journal Officiel du 16 juillet 1994, porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Charles Jacquet. Mais cet acte porte la mention fictive « décédé en juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Si dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions
aux familles des déportés, il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, les archives du camp d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont accessibles depuis 1995 et consultables sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-BirkenauVoir l’article :Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Le 17 mars 1984, une rue « Charles Victor Jacquet » est inaugurée dans un nouveau quartier de Pompey : elle prolonge la rue de la Mine. 

Sources

  • Renseignements donnés par sa fille, Madame Odette-Celotto-Jacquet 25 avril 1989.
  • Mairie de Pompey, avril et mai 1989.
  • « Antifascisme et Parti communiste en Meurthe-et-Moselle » (Jean Claude et Yves Magrinelli) page 119, 122, 128.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BACC), Ministère de la Défense, Caen (1992).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 32, page 120 (article Ét. Kagan).
  • Courriel de son petit fils, Alain Jacquet, en août 2013, qui nous apprend l’existence du deuxième enfant de Charles Jacquet, et qui nous communique les prénoms de ses petits enfants. Les enfants d’Odette : Sylviane et François, et ceux de Gilbert : Michel, Lorraine et Alain.
  • Archives en ligne du Rhône : état civil et registres matricules militaires. Historique du 149ème régiment d’infanterie / Epinal. Imprimerie Klein. 
  • Archives du CICR.
    Recensement de la population de Rosières-en-Haye et Pompey, 1921 à 1936.
  • Photos de famille permettant l’identification du matricule, envoi de M. Alain Jacquet son petit-fils (8 mai 2018).
Affiche de la conférence du 5 juillet 1997 salle Pablo Picasso à Homécourt
Le Républicain Lorrain 28 juillet 1997

Notice biographique rédigée en 1997 pour la conférence organisée par la CGT et
le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997, complétée en 2015, 2018 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45.000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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