Matricule « 45 276 » à Auschwitz
Marcel Boubou : né en 1892 à Beaugency (Loiret) ; domicilié à Orléans (Loiret) au moment de son arrestation ; instituteur ; adhère à la SFIO, puis au Parti communiste SFIC dès 1920 ; blessé au Chemin des Dames en 1916 ; membre de l’ITE ; Espérantiste, participe au mouvement Freinet ; membre d’un triangle du Parti communiste clandestin ; arrêté en octobre 1941 ; déporté à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942.
Marcel Boubou est né le 22 septembre 1892 à Beaugency (Loiret). Il habite au 83, rue de Vaucouleurs à Orléans (Loiret), au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Adelphine Maisonneuve, 32 ans et de Gustave Boubou, 35 ans, maçon, son époux.
Ils habitent dans le quartier Vernon de Beaugency. Marcel est le huitième enfant d’une famille de 14 enfants, originaire de Vernou, quartier de Beaugency. Ses frères et sœurs : Germain, Germaine, Gabriel, Lucie, Renée, René, Suzanne, René, Gabrielle, Maurice, Georgette, Georges.
Un de ses frères, Henri Boubou (1), militant communiste, sera fusillé comme otage à Suresnes le 21 septembre 1942 et sa belle-sœur, Odette Boubou née Jarrassier (1), également militante communiste, sera déportée (rescapée).
Marcel Boubou fait des études d’élève instituteur, promotion 1908-1911, à l’Ecole Normale d’Orléans. Il adhère au Parti Socialiste dès sa sortie de l’EN. Devenu instituteur, il enseigne à Beaule, puis à Saint-Jean-de-Ruelle, à Orléans-les-Aydes, rue de l’université et enfin à l’avenue Dauphine, à Orléans.
« Sa douceur infinie, une sollicitude de tous les instants, mises au service de qualités pédagogiques exceptionnelles, lui valent l’affection de ses élèves, la sympathie et la confiance de tous « (2).
Conscrit de la classe 1912, Marcel Boubou est incorporé le 8 octobre 1913 au 113ème Régiment d’infanterie. Caporal le 1er mars 1914, il est mobilisé le 2 août 1914 au 113è, puis au 109è Régiment d’Infanterie. Caporal, puis sergent, puis sergent fourrier, il fait toute la première guerre mondiale (4 ans, 5 mois, 7 jours relève son livret militaire). Comme beaucoup de ses compagnons d’armes, il est à plusieurs reprises enseveli lors du bombardement des tranchées, notamment pendant les combats du Chemin des Dames.
Blessé le 1er juillet 1916, il garde une plaie dans le dos, qui ne s’est jamais refermée, et nécessite des soins constants, que lui procurera sa compagne jusqu’à son arrestation.
En 1916 il est hospitalisé à Guingamp, puis à Saint-Brieuc en 1916. De retour au corps, il est évacué en mars 1918 et passe par les hôpitaux de Bussang, Epinal, Bron et Lyon. Il est réformé temporaire en 1919, puis définitif en 1921. Il recevra une pension de 246 F (commission de réforme d’Orléans du 6 juillet 1921).
Marcel Boubou adhère au Parti Communiste dès le Congrès de Tours (décembre 1920).
Avec une poignée de camarades, il crée et anime le syndicat de l’enseignement laïc. En 1920, il dirige la tendance minoritaire révolutionnaire de ce syndicat dans son département.
En 1921, instituteur suppléant, il habite au 37, boulevard de Châteaudun à Orléans.
Marcel Boubou épouse Germaine Heurteaux à Orléans, le 14 mai 1921. Comptable, âgée de 23 ans, elle est née le 14 août 1897 à Fontenay-sous-Bois (Seine). Elle habite au 12, rue de la république.
Marcel Boubou est particulièrement intéressé par les travaux de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement, qui en fait son secrétaire adjoint à son congrès de Paris (14-15 août 1922).
« Marcel Boubou dirigeait en 1920 la tendance minoritaire révolutionnaire au sein du syndicat des instituteurs du Loiret. Une scission divisa l’organisation syndicale en novembre 1920 : cent adhérents partirent avec Marcel Bouguereau au syndicat national des instituteurs, dix-sept restèrent avec Boubou et Paul Langumier à la Fédération de l’enseignement.
Le syndicat de l’Enseignement laïc (minoritaire) se regroupa avec celui de l’Indre-et-Loire. Les majoritaires du Loiret tentèrent d’éloigner Boubou de la commission exécutive de l’Union départementale CGT en janvier 1921, en le portant d’office démissionnaire pour absences fréquentes aux réunions. L’Internationale (des travailleurs) de l’Enseignement, à son congrès de Paris, les 14 et 15 août 1922, en fit son secrétaire adjoint plus particulièrement chargé de sa correspondance en espéranto dont il était un partisan convaincu. Boubou présenta à la tribune d’un autre congrès de cette organisation,
en août 1924 à Bruxelles, les résultats d’une enquête sur « la situation matérielle et morale de l’instituteur dans le monde » qui fit ultérieurement l’objet d’une publication des Éditions de l’Internationale. En octobre 1929, il contresigna la « plate-forme fédérale » qui entérinait la rupture de la Majorité fédérale de la Fédération unitaire de l’enseignement avec le Parti communiste et la direction de la CGTU » Le Maitron (notice Loïc Le Bars et Claude Pennetier).
Il milite à l’ITE (Internationale des travailleurs de l’enseignement) avec Georges Cogniot qui en est le secrétaire général en 1931. Il publie « La situation matérielle et morale de l’instituteur dans le monde« , Paris, 1925, 32 p. (publication de l’ITE).
En 1935, « Fervent partisan de l’unité ouvrière, il se réjouit de voir les deux CGT faire l’unité« (1). Il adhère à la Fédération des espérantistes prolétariens, à l’Internationale des espérantistes et au mouvement pédagogique Freinet créé en 1937.
Il est directeur du service pédagogique Espérantiste mondial (Le Populaire du Centre).
Marcel Boubou ne borne pas ses activités à son métier d’instituteur. « Avec la foi d’un apôtre, il œuvre sans cesse et par tous les moyens à l’émancipation de la classe ouvrière et au triomphe de la République. Pour cela il est un ardent syndicaliste, un partisan sincère et un espérantiste convaincu« . (2)
Bénévolement, il donne des cours d’Espéranto à la Bourse du Travail de la ville, ainsi que des cours gratuits d’Espéranto par correspondance à de nombreux collègues enseignants
Il sacrifie ses vacances à l’école d’été d’espéranto.
Après le 6 février 1934, la prise de conscience du danger fasciste s’affirmant, Marcel Boubou, malgré sa santé précaire, se lance dans le combat antifasciste.
« Il passe ses dimanches et souvent ses soirées en conférences, en réunions, dans les bourgs du Loiret pour rassembler les républicains et leur montrer le danger qui menace nos libertés » (2).
Il est membre de la Commission de contrôle départementale du mouvement « Paix et Liberté » en 1938.
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées.
La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 16 juin Orléans est occupé après de violents bombardements.
La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy.
Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Pendant l’Occupation, Marcel Boubou est membre du même réseau et du triangle communiste clandestin avec Robert Dubois, métallo aux usines Panhard d’Orléans et André Gaullier, cimentier couvreur.
Marcel Boubou est arrêté le 18 octobre 1941, à Orléans, par la police française, pour ses activités passées connues, en même temps que huit de ses camarades.
Conduit à la prison rue Eugène Vignat à Orléans, « il dit dans la cour de la prison à un de ses compagnons d’infortune : nous allons continuer la lutte dans les camps » (2).
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontsatalg 122). Au camp il est très lié avec Georges Cogniotqu’il connait depuis 20 ans, Georges Varenne (adhérent comme lui au mouvement Freinet) et Yves Jahan, enseignants eux aussi, et, comme eux, il donne des cours d’espéranto qui passionnent ses camarades internés (lire Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne).
Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux
articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et«une déportation d’otages».
Roger Gaudry mentionne sa présence au sein du convoi dans une lettre qu’il lance depuis le train le 6 juillet 1942. Lire dans le site : Les lettres jetées du train
Depuis le camp de Compiègne, Marcel Boubou est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Marcel Boubou est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 276 ».
Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Marcel Boubou meurt à Birkenau le 18 septembre 1942, d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 123). Cette date suit une importante « sélection » des « inaptes au travail » destinés à être éliminés dans les chambres à gaz de Birkenau.
Outre une plaque commémorative à son domicile quai des Augustins à Orléans, son nom a été honoré par l’inauguration d’une rue et d’une placette du quartier neuf de la Binoche, inaugurées en 1985, ainsi qu’à l’ancienne impasse Notre-Dame (Clos Notre Dame).
La mention « Mort en déportation » a été apposée sur les actes et jugements déclaratifs de décès en 2009.
Le plus jeune de ses frères, Henri-René, de douze ans son cadet « libéré des prisonniers de guerre comme ancien marin en décembre 1941 avait repris le combat » de sa femme et de son frère.
Arrêté le 21 février 1942, il est fusillé au Mont-Valérien le 21 août 1942.
Le Musée de la Résistance et de la Déportation de Lorris rend hommage à plusieurs déportés communistes du Loiret.
Ci-contre le panneau où Marcel Boubou est présenté.
- Note 1 : Henri Boubou, artisan cordonnier, était domicilié à Tours (Indre-et-Loire). Il se maria le 13 octobre 1928 à Tours avec
Odette Jarrassier. Il adhéra, ainsi que sa femme, en 1935 au Parti communiste. Prisonnier de guerre, il put se faire libérer en décembre 1941 et participa à la vie communiste clandestine. Il imprima et distribua des journaux clandestins. Le 21 février 1942, la police française perquisitionna son domicile et l’arrêta, ainsi qu’une dizaine de militants. Transféré à Paris, livré à la Sipo-SD, il fut interné et fusillé comme otage le 21 septembre 1942 à Suresnes (Seine) avec 21 résistants. Sa femme, également résistante, fut arrêtée le 22 février 1942 et déportée à Ravensbrück (Allemagne). Le Maitron, notice Claude Pennetier.
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- Note 2 :
La section syndicale du Syndicat National des Instituteurs a édité après guerre unebrochure intitulée « La section syndicale du Loiret à ses morts, héros et martyrs ». Une page est consacrée à Marcel Boubou. Mais également à Albert Toty, Jean Gauthier, Georges Vallée, Pierre Orieul, Madame Prieur, Marguerite Pivert, Robert Munsch, Georges Moreau, Jean Potet, Raymond Laforge, François, Robert Goupil, René Caillaud, Gabriel Beaumarié, Jean-Louis Vignat, Robert Giry, Ernest-Jacques Bildstein, Marie-Félix Lefebvre, Micheline Berton, Maurice Verdier, Jean Joudiou, O. Cormier, Mme Batby-Berquien, Lucien Bourgon, Robert Lejarre, Gaston Croisille, Charles Rocher. La plupart des notices sont agrémentées d’une photo, comme c’est la cas pour Marcel Boubou. Compte-tenu de la rareté de cette brochure, nous ferons volontiers parvenir un scan’ photo de ce ces notices aux chercheurs.
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Photographie de la plaque commémorant la mémoire de Marcel Boubou par Véronique Bury, in site Internet « Les plaques commémoratives, source de mémoire ».
- Lettre de sa belle-soeur Odette Jarassier (mars 1984) à Roger Arnould.
- Lettres de sa nièce, Marcelle André, (1984).
- Témoignage d’André Gaullier (15 mai 1973).
- Article de La République du Centre (1985).
- FNDIRP Loiret (1972).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenusimmatriculés)..
- « Ceux du groupe Chanzy« . André Chène (Librairie Nouvelle, Orléans 1964, brochure éditée par la Fédération du Loiret du Parti communiste.
- Division des archives des victimes de conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 20, page 33.
- Registres matricules militaires du Loiret en ligne.
Notice biographique rédigée en novembre 2007 et complétée en 2013, 2016, 2018, 2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com