Matricule « 45 470 » à Auschwitz

Cyprien Depardieu © Marie-Paule Pivain-Venot
 Cyprien Depardieu : né en 1889 à Aubigny-sur-Nère (Cher) ; domicilié à Orléans (Loiret) au moment de son arrestation ; marié, deux enfants ; typographe ; directeur du journal régional du PC « le Travailleur » ; candidat du PC aux législatives ; secrétaire de rayon du PC à Chartres ; arrêté le 23 septembre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz, où il meurt le 14 août 1942.

 Cyprien Depardieu est né le 9 novembre 1889 à Aubigny-sur-Nère (Cher).
Il habite au 33, rue de l’Empereur à Orléans (Loiret) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Léontine, Pauline Coco, 23 ans, couturière, née le 15 juillet 1866 à Aubigny-sur-Nère, et d’Eugène Depardieu, 33 ans charpentier son époux, né le 22 mars 1856 à Aubigny.
Ses parents se sont mariés le 28 novembre 1886. Il a deux sœurs aînées : Mathilde (1883-1970) et Eugénie (1888). Au moment du conseil de révision, Cyprien Depardieu  habite Aubigny-sur-Nère.

Il travaille comme typographe. Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m66, a les cheveux châtain noir, les yeux marron, le front moyen et le nez sinueux, rectiligne, le menton saillant, visage plein. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1909, Cyprien Depardieu s’engage pour trois ans le 16 septembre 1908 à la mairie de Cône. Il est incorporé au 82ème Régiment d’infanterie le 17 septembre 1908. Il est réformé n°2 par la commission spéciale de Bourges pour « néphrite chronique » le 29 septembre 1909, «certificat de bonne conduite » accordé.

Le 10 février 1912, à Aubigny-sur-Nère, Cyprien Depardieu épouse Marie-Louise Brossard,
née le 26 décembre 1890 à Sens (Yonne). Le couple a un garçon, Marcel (1), qui naît le 21 octobre 1912 et une fille, Renée qui naît le 16 septembre 1916.
Cyprien Depardieu est rappelé à l’activité le 9 octobre 1911 au 13ème Régiment d’infanterie, mais a été réformé n°2 par la commission de Montargis pour « néphrite chronique avec albuminurie » le 29 septembre 1911. Cet avis est maintenu le 2 décembre 1914 par le conseil de révision du Loiret et le 1er mai 1917.
Cyprien Depardieu travaille d’abord dans un moulin à Amilly (Loiret), puis devient typographe, à l’Imprimerie Léger de Montargis (Loiret). Il adhère au Parti communiste « il fut candidat aux élections législatives du 11 mai 1924 (…). Un rapport de police le signale comme contradicteur lors d’une réunion publique socialiste d’Orléans le 27 février 1926. (Maitron).

Cyprien Depardieu (à droite, les mains dans les poches) et son fils Marcel (à sa gauche derrière lui) dans la cour de « La Prolétarienne »

A partir de 1926, il dirige à Chartres (Eure-et-Loire), l’imprimerie-coopérative « La Prolétarienne« , 13, rue Daniel Boutet , qui imprime le journal régional du Parti communiste, « Le Travailleur« .
Il est secrétaire de Rayon du Parti communiste à Chartres, et candidat aux élections législatives de 1928.
« Ses fonctions d’imprimeur-gérant du « Travailleur » lui valurent d’être condamné à une amende pour injure à l’armée, par un tribunal du Loir-et-Cher. La cour d’appel d’Orléans prononça le jugement définitif : 100 F d’amende et 1000 F de dommages et intérêts pour diffamation à un adjudant de la garnison de Blois. Conformément aux consignes du Parti communiste, Depardieu refusa de payer. La saisie devait avoir lieu le 29 juin 1929, mais le produit de la vente risquant d’être presque nul, le directeur de la Sûreté générale demanda au ministre des Finances, par lettre du 20 juin, de ne pas mettre à exécution la saisie projetée (Le Maitron).
La « Prolétarienne » s’installe à Orléans en 1931. Cyprien Depardieu vient alors habiter au 33, rue de l’Empereur.
A Orléans, il est l’archiviste du Bureau de la Région communiste (une fonction qui a perduré après guerre dans l’organigramme de certains syndicats, comme FO).

Le Journal du Loiret 6 mai 1935
Journal du Loiret 13 avril 1932

Sa candidature est présentée aux Législatives du 1er mai 1932 et au Conseil général en 1934 à Pithiviers (Loiret). Il figure en 5è position des candidats du « Bloc ouvrier et paysan » lors des élections municipales de mai 1935 à Orléans avec ses camarades  et René Boulay (1284 voix) et Raymond Gaudry (1258 voix). Cyprien Depardieu recueille 1318 voix.
On notera la présence en fin de liste de 4 femmes (non électrices et non éligibles), Paule Nicot (1228 voix), Marguerite Weigant (1215 voix) Gabrielle Doitteau (1216 voix) et Louise Catrais (1218 voix).
Il dirigea la « Chorale ouvrière » à Orléans” (Le Maitron).

Par delà sa vie de militant au Parti Communiste Français et à la C.G.T., il apprécie le poète-chansonnier libertaire engagé, Gaston Couté (1880-1911), natif du Loiret, « monté » à Paris et dont les œuvres utilisent le patois beauceron ou l’argot.

Cyprien Depardieu avec le bliaud beauceron en 1930

Lui même se met volontiers en scène, devant famille et amis, disant ses poèmes comme « le gas qu’a mal tourné », en patois beauceron et en habit traditionnel (le bliaud beauceron en toile et le chapeau de feutre souple ou la casquette).

Orléans après les bombardements de juin 1940

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 16 juin Orléans est occupé après de violents bombardements. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Cyprien Depardieu est arrêté le 23 septembre 1941 à 6 h 30 à son domicile à Orléans, par la police française, pour « propagande anti-hitlérienne ». « Pendant une heure la police fouille le logement et le grenier« . N’ayant trouvé aucun document incriminant, les policiers l’appréhendent néanmoins. Sa fille demande « il part sans bagage ? Et sans clef ? ». Un policier rétorque « Là où il va , il n’en n’aura pas besoin » (cahier écrit par Renée Depardieu-Venot, mère de Mme Marie-Paule Pivain-Venot, petite fille de Cyprien Depardieu).
Il existe une autre date concernant l’arrestation de Cyprien Depardieu, qui est celle du 19 octobre 1941. Elle figure dans l’ouvrage « ceux du groupe Chanzy » par André Chène au cours de laquelle 9 autres communistes orléanais sont arrêtés (7 d’entre eux seront déportés  à Auschwitz : Marcel Boubou , Marcel Couillon , Robert Dubois , Henri Ferchaud , Raymond Gaudry , Joseph LhorensAndré Lioret).
Nous avons néanmoins choisi de retenir la date communiquée par la fille de Cyprien Depardieu pour ses précisions.
Il est conduit à la prison rue Eugène Vignat à Orléans. Il est remis aux autorités allemandes, à leur demande, le 3 octobre 1941 en vue de sa déportation comme otage. 

Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Roger Gaudry mentionne sa présence au sein du convoi dans une lettre qu’il lance depuis le train le 6 juillet 1942.
Depuis le camp de Compiègne, Cyprien Depardieu est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.470 ». 

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner au camp principal (futur Auschwitz I), approximativement la moitié du convoi.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Cyprien Depardieu meurt à Birkenau, le 14 août 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 221).
Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «décédé le 15 octobre 1942 à Auschwitz (Pologne)». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 25 mars 2008). Ceci était pourtant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.

 

Plaque fleurie à son domicile
Plaque à son domicile

Une plaque commémorative a été apposée à son domicile.
Homologué « déporté politique », il a été homologué comme adjudant à titre posthume au titre de la résistance intérieure française en 1950.

Article du 8 octobre 2017

Sa petite fille, madame Marie-Paule Pivain-Venot, a entamé des démarches auprès de la mairie d’Orléans pour qu’un lieu public de la ville porte le nom de son grand père, afin qu’on n’oublie pas « l‘action des résistants traqués pendant l’occupation nazie » (La République du Centre).
Un article est paru dans ce quotidien le 8 octobre 2017, rapportant quelques éléments de la vie de Cyprien Depardieu et les démarches entreprises par sa petite fille. Selon le quotidien, la demande aurait été prise en compte par l’adjointe au Maire en charge de la « coordination de proximité et de la gestion du domaine public ».

Buletin municipal de Saran 2023
Bulletin municipal de Saran, juin 2023, page 22

C’est finalement la municipalité de Saran qui accède à sa demande en 2023. Le square Cyprien Depardieu est inauguré le 30 avril 2023.
« Sollicitée par Marie-Paule Pivain, une de ses petites-filles, la municipalité de Saran a souhaité honorer la mémoire de ce résistant orléanais déporté à Auschwitz, en plus de la salle de l’atelier typographique de notre ville qui lui est déjà dédiée« , m’écrit M. Alexis Boche, conseiller municipal délégué à la communication.

Ci-dessous le  lien avec le bulletin municipal  https://www.calameo.com/read/001627715e892832c701 et et l’intégralité des discours
https://www.ville-saran.fr/inauguration-du-square-cyprien-depardieu

  • Marcel Depardieu

    Note 1 : Marcel Depardieu est trésorier de la région orléanaise des Jeunesses communistes en mars 1934 et il figure sur la liste Bloc ouvrier et paysan aux élections municipales de mai 1935 à Orléans (Loiret). Il est envoyé en Allemagne dans le cadre du « Service du Travail Obligatoire » pendant l’occupation (Le Maitron).

Sources

  • Photographie de la plaque commémorant la mémoire de Cyprien Depardieu par Véronique Bury, in site Internet «Les plaques commémoratives, source de mémoire».
  • « Ceux du groupe Chanzy« . André Chène (Librairie Nouvelle, Orléans 1964, brochure éditée par la Fédération du Loiret du Parti communiste.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 25. Article Jean Maitron et Claude Pennetier. Mise à jour par Marie Cécile Bouju, avec deux photos de Cyprien Depardieu communiquées par Mme Marie-Paule Pivain-Venot
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz
    (1946).
    © Archives en ligne du Cher. Etat civil et Registres matricules
    militaires.
  • Mail (7 mai 2023) de M . Alexis Boche, Conseiller municipal de Saran délégué à la communication m’informant de l’inauguration du square

Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2017, 2021, 2023) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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