Dans le second trimestre de 1943, l'union de la Résistance progresse avec la création, en mai 1943, du Kampfgruppe Auschwitz (Groupe de combat d'Auschwitz). 
Hermann Langbein

 

(Photo 1954 : Jozef Cyrankiewicz est alors le premier ministre polonais)

Lors d’une rencontre entre Hermann Langbein et Jozef Cyrankiewicz, responsable du groupe de résistants de la gauche polonaise, le 1er mai 1943, ce dernier propose la création d’une organisation internationale. Les négociations, amorcées à cette date, aboutissent.

Ernst Burger

Le « Kampfgruppe Auschwitz » est placé sous la direction d’Ernst Burger et d’Hermann Langbein, pour le comité international, de Jozef Cyrankiewicz et de Tadeusz Holuj pour les Polonais.

Tadeuz Holuj (1964 : écrivain, président du comité international Auschwitz). Photo G. Schindler, Fritzbauer intitute).

Ceux-ci apportent au Kampfgruppe une bonne liaison avec les résistants du parti socialiste polonais de Cracovie, eux-mêmes en relation avec Londres [1]. D’après Hermann Langbein, la BBC pouvait ainsi annoncer les événements survenus à Auschwitz avec un décalage de deux jours seulement [2]. Les groupes militaires polonais, moins actifs après la décapitation de leur direction militaire, et toujours méfiants à l’égard des communistes, n’adhérent pas à cet organisme [3].

L’admission du groupe français au Kampfgruppe est acquise dès la création de celui-ci : « Une réunion eut lieu dans une petite chambre du block 22, au rez-de-chaussée, à droite de l’entrée. Ce fut exceptionnel car il était évidemment très difficile de se réunir. C’était un dimanche après-midi, moment occupé par les séances de rasage. Les occupants de cette chambre étaient tous concernés par l’organisation clandestine. Ceux qui n’avaient pas à participer à cette entrevue étaient sortis et faisaient le guet. Une demi-douzaine de déportés participèrent à cet entretien, parmi lesquels Rudolf Friemel, Ernst Burger et le responsable du groupe des Français. Cette réunion faisait suite à la création du « groupe de combat d’Auschwitz » et avait pour but d’examiner les conditions de la participation du groupe des Français à son activité. Par la suite, le groupe français participa à l’action générale du Comité international » (Roger Abada ).

Si l’on considère la terreur et la délation qui régnaient à Auschwitz, on est frappé par l’importance et la diversité de ces actions. Le Kampfgruppe fait parvenir à la Résistance polonaise un nombre impressionnant de messages, concernant aussi bien des chiffres sur l’extermination des Juifs, que les noms des responsables SS et les plans des crématoires. Trois cent cinquante de ces lettres sont conservées en Pologne. La diffusion de ces informations eut des retentissements à Auschwitz. Elle aboutit notamment, entre autres raisons, au changement de commandant, en novembre 1943. Le 11 novembre 1943, Liebehenschel est nommé, en remplacement de Hoess, Commandant du camp principal et chef de la garnison SS. Il allait introduire dans ce camp des améliorations notables, jusqu’à sa disgrâce, en mai 1944.

Des « 45000 » aident Hermann Langbein emprisonné au block 11

Entre le 14 août et le 12 décembre 1943, les « 45 000 » sont placés en quarantaine au premier étage du block 11, la prison du camp. Deux d’entre eux peuvent, cependant, porter secours à Hermann Langbein, emprisonné dans un cachot du sous-sol depuis le 28 août 1943. « Nous apprenons que Langbein est enfermé dans une des cellules du sous-sol. Un mouchard l’aurait accusé d’avoir participé à l’organisation d’un groupe de détenus décidés à se soulever contre la SS à l’approche de l’armée russe. Nous sommes consternés. Nous devons tous beaucoup à Hermann et nous savons aussi qu’étant donné les hautes responsabilités qu’il assume au sein de notre organisation, il encourt sûrement de graves dangers. Et nous-mêmes, éventuellement. Il faut absolument essayer de faire quelque chose pour l’aider. (…) Les détenus des Bunker et du sous-sol se rendent régulièrement dans les lavabos du rez-de-chaussée pour faire leur toilette. C’est à cette occasion que, par l’entremise de Robert (Lambotte), nous prenons contact avec Hermann. A plusieurs, nous faisons le guet, tandis que Robert lui remet du pain et des journaux. Les relations avec l’organisation sont ainsi maintenues » (Georges Guinchan). Hermann Langbein a mentionné cette aide dans deux de ses ouvrages : « Pendant la toilette, j’ai rencontré mon ami Robert, mon ami français. Il m’a regardé, tout à fait étonné, effrayé. J’ai eu la possibilité de lui dire que je suis dans l’avant-dernière cellule dont l’aération donne sur la cour. Dès le soir, un journal est glissé à travers les barreaux de la fenêtre, un morceau de pain est enveloppé dedans[4]. S’il avait été surpris, sa mort était certaine[5] ».

Hermann Langbein reste pendant neuf semaines au Bunker. A six reprises, il connaît les sélections opérées par Grabner, se préparant chaque fois à mourir : « Jakob (…) nous dit dès le petit déjeuner « nous allons nettoyer le bunker ». Je sais ce que cela signifie. Je divise en treize le dernier pain et les oignons que Robert m’a donnés : « Mettez ça de côté. Ceux qui resteront en auront davantage » [6]. Mais il est épargné : « Les SS du département Politique, ne disposant d’aucune preuve, l’ont finalement relâché et il réintégrera son poste après deux mois de cellule, sous la pression du médecin-chef SS dont il était le secrétaire » (Georges Guinchan).
Il quitte le block 11 le 3 novembre, après que la Résistance ait réussi à prévenir Eduard Wirths qui ignorait, jusqu’alors, les raisons de la disparition de Hermann Langbein[7]. Toutefois, d’autres résistants du Comité international sont à leur tour menacés : « A peine sa libération est-elle opérée que deux autres dirigeants du Kampfgruppe sont eux aussi arrêtés. (…) Le nouveau commandant, sur l’insistance du médecin chef Wirths, amnistie tous les détenus enfermés dans les cachots du block 11. Cette mesure inattendue arrive à temps. Elle sauve, in extremis, deux responsables de notre organisation, Cyrankiewicz (Polonais) et Paul (Allemand), enfermés sur dénonciation » (Georges Guinchan). En vérité, Paul Wiehnold avait été incarcéré en même temps qu’Hermann Langbein, le 28 août 1943. Quant à Jozef Cyrankiewicz, il est emprisonné le 2 novembre dans une cellule du sous-sol. Le nouveau commandant d’Auschwitz, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel qui avait pris ses fonctions le 11 novembre 1943, est décidé à mettre fin au pouvoir illimité de la Gestapo dans le camp et au climat de terreur extrême que celle-ci entretenait[8]. Le 23 novembre 1943, à la suite d’une inspection au block 11, il décide de libérer des cachots 56 détenus sur 86, parmi lesquels se trouvent de nombreux membres du Kampfgruppe. Josef Cyrankiewicz demeure, pendant un temps, au block 11, dans une pièce du bâtiment. Une injection faite par l’intermédiaire de la Résistance provoque chez lui une forte fièvre et permet son transfert au Revier sous le prétexte d’un début de scarlatine.

1944 : La Résistance crée un comité militaire

En 1944, les données militaires dominent la vie aucamp avec d’autant plus d’acuité que la position d’Auschwitz, à la frontière orientale du « grand Reich », l’expose à brève échéance aux armées soviétiques. Cette perspective a des effets contradictoires : les détenus vivent dans un climat mêlé d’espoir et de crainte. Espoir d’être libérés, crainte d’être liquidés par les SS avant que cette libération n’intervienne.
Pour faire face à ce risque, les liens entre les différentes organisations de Résistance se resserrent. En mai 1944, un manifeste fut rédigé (…) et traduit en plusieurs langues pour appeler à l’union et à se préparer à la libération. (…) Les responsables du Comité international se réunissaient habituellement dans une petite pièce servant de débarras au block 4, dont le secrétaire Ernst Burger, était membre de la direction internationale. Un autre lieu, servant à la rédaction des textes, se trouvait à l’infirmerie, dans une pièce à la porte de laquelle était apposé un écriteau portant la mention « maladies contagieuses ». Ce qui nous protégeait, dans une certaine mesure, de l’arrivée inopinée d’un SS (Roger Abada).

Une véritable liaison est alors établie avec les prisonniers de guerre soviétiques : Lors d’une réunion des responsables du Kampfgruppe, dans la cave du block 4, dont le Viennois Ernst Burger était secrétaire, celui-ci rapporta que le contact avait, enfin, pu être pris avec un groupe de résistants russes qui réclamaient d’urgence des préparatifs pour un soulèvement armé conjointement avec les partisans[9].De même, un accord entre les groupes polonais nationalistes et le Kampfgruppe est conclu, grâce aux efforts de Josef Cyrankiewicz pour surmonter leur opposition à toute action avec les « Rouges ». La façon dont s’était passée la liquidation du deuxième camp d’extermination, Maïdanek, en juillet 1944, à l’approche des troupes russes, nous avait inquiétés. D’après les renseignements des « aryens » amenés à Auschwitz, la grande masse des détenus avait été liquidée et les autres s’étaient laissés emmener sans tenter de fuir, bien que c’eût été possible dans l’affolement du premier moment, grâce, notamment, à l’organisation clandestine.[10]

Au mois d’août 1944, un état-major militaire restreint fut créé à côté de la direction du comité international. Des déportés furent placés dans des kommandos qui se trouvaient dans des centres importants, centrale électrique, transports, armurerie, central téléphonique et des groupes para-militaires furent mis sur pied avec leurs responsables. Il fut, en outre, décidé de faire évader quelques membres de la direction clandestine pour coordonner l’action en vue de la libération du camp. Une première évasion était prévue pour le mois d’août 1944. Elle devait concerner deux Autrichiens, Ernst Burger et Hermann Langbein, et un Polonais Zbyszeck Raynoch. L’avant-veille du jour fixé, la direction clandestine fut informée que les partisans avaient été attaqués. Il fallut remettre l’évasion à plus tard. Entre temps, Langbein fut transféré au camp de Neuengamme (Roger Abada).

Des « 45 000 » sont impliqués dans ces opérations. Le Kampfgruppe devait se procurer des armes, des vivres, des cartes de la région, des médicaments, des adresses d’accueil pour les évadés et une liaison avec les groupes de partisans polonais. Un déporté (français) travaillant au garage des SS cachait, dans le tiroir d’un établi, des cartes et des documents destinés à ces évasions (Roger Abada). Pour la récupération des informations, comme pour leur transmission à l’extérieur, tout un réseau est mis en place : Henri Gorgue, qui faisait partie d’un kommando de serrurerie, transportait des messages camouflés dans des bouteilles vides d’acétylène et les remettait à un endroit convenu ; il fut également chargé de subtiliser une carte du front, alors qu’il effectuait des réparations à la Kommandantur du camp (Roger Abada). Georges Guinchan, en contact direct avec les dirigeants autrichiens, a pour mission la transmission du courrier : Ce service assurait la liaison entre le comité international et l’organisation polonaise de Résistance, située dans les environs du camp.[11]A cette fin, Georges Guinchan est affecté, en juin 1944, à l’infirmerie du camp des civils (Gemeinschaftlager) : Je devais m’occuper des papiers de Sécurité Sociale des civils hospitalisés dans le camp. Je secondais, au début, un civil polonais de Haute-Silésie. Mais, la situation se dégradant sur le front, il fut incorporé dans l’armée allemande. Son remplaçant était un ancien de la Luftwaffe, d’une cinquantaine d’années, versé d’office dans la SS. Je lui servais en même temps d’ordonnance et je gagnai assez vite sa confiance. Il me laissait lire les journaux et écouter les nouvelles à la radio. Par l’entremise du réseau existant en amont de la filière, j’avais pour mission de transmettre des messages destinés à l’organisation de résistance polonaise opérant dans la région des Beskides, le long de la frontière tchécoslovaque. D’autre part, je devais établir rapidement, vue la proximité du front, de nouveaux contacts avec des travailleurs civils du camp. Ce qui, en vérité, me demandera du temps, car la grande majorité d’entre eux étaient des STO tchèques et parce que je ne connaissais pas leur langue. Il faut comprendre aussi qu’ils se méfiaient de toute personne parlant l’allemand. Je devais examiner enfin les possibilités d’évasion, en cas d’urgence.

Les sabotages se multiplient

Parallèlement, cette situation nouvelle incite au sabotage et en favorise l’exécution. Les « 45 000 » sont nombreux à se livrer à ces actions. « Au kommando des couvreurs (…) nous scellions les tuiles des greniers des maisons des SS, qu’ensuite nous recouvrions avec du papier goudronné. Il fallait faire fondre le goudron. Plusieurs fois, le feu prenait dans le chaudron. Mais nos gardiens étaient des vieux soldats de la Wehrmacht moins tyranniques que les SS. Ils étaient étonnés devant tout ce gâchis. Ils ne devinaient pas que, dans la mesure de nos faibles moyens, nous sabotions le plus de marchandise possible. (…) J’étais souvent puni. Je participais le dimanche à des corvées plus ou moins pénibles.(…) Un jour, nous devions scier du bois, sous la garde de vieux soldats de la Wehrmacht. Pour ne pas nous fatiguer, nous avions retourné la scie sur le dos et faisions le mouvement de scier. Grâce à une rampe, notre gardien ne voyait que le mouvement de nos bras, mais il trouvait quand même que le tas de bois ne changeait pas beaucoup. Il vint vers nous et sembla étonné de la position de notre scie. Il nous dit, avec des yeux ronds, Nix gutt arbeit Franzouze et nous fit remarquer notre erreur. Nous lui disons : « Mais c’est exprès, comme cela nous aurons fini de scier quand Hitler aura gagné la guerre ». Heureusement, il ne comprenait pas (Pierre Monjault). Aux garages des SS, la Résistance est active : « Il y avait, à Auschwitz, deux grands garages, celui de l’administration et celui des travaux publics (…) De nombreux véhicules y étaient affectés et un matériel automobile, difficilement remplaçable en temps de guerre, y était entretenu. Il suffisait de décharger brusquement une batterie pour la rendre inutilisable. Une pièce enlevée à un démarreur mettait la voiture hors de service. Le travail pouvait se faire en prenant beaucoup de précautions et l’excuse de l’usure du matériel était invoquée. Un grand nombre de camions qui transportaient les victimes à la chambre à gaz et des voitures d’officiers SS furent ainsi longuement immobilisés. Le gaspillage du matériel allemand était également un moyen de réduire le potentiel militaire dans un petit secteur » (Roger Abada). A la cordonnerie, Jean Pollo, qui avait acquis la réputation d’être un bon travailleur, profite de la relative confiance que lui accorde le kapo pour sauter un point sur deux lorsqu’il pique les coutures des bottes destinées aux soldats de l’armée allemande : « Elles ne devaient pas tenir le coup bien longtemps », commente-t-il avec un large sourire.

A la D.A.W, des résistants payent leurs sabotages de leur vie : « Un autre kommando s’appelait la D.A.W, on y fabriquait des caisses à munitions (…) Il y a eu des actions de sabotage importantes (…) à tel point, qu’à une époque, les SS se sont fâchés. Ils ont, peut-être, trouvé quelque chose du point de vue de l’organisation. Ils ont exécuté des déportés polonais, mais des Français participaient à cette action ». (Roger Abada). « Tamowski, Tachek comme nous l’appelions a témoigné que le plus grand nombre de sabotages eurent lieu fin 1943 et printemps 1944 : les déportés faussaient les matrices des caisses à munitions » (Henri Peiffer)[12]. Parmi les autres « 45 000 » travaillant à la DAW, se trouvaient également René Aondetto et Gustave Raballand. Ce dernier laissait tomber sur la plaque en ciment de l’atelier, des fers ou des couteaux de raboteuse d’un mètre de long : « Inutile de dire qu’ils ne faisaient pas un pli ! Avec les plus longs morceaux, je faisais des couteaux, genre couteaux de boucher pour couper le pain au block. Mais uniquement pour les politiques. C’étaient, pour beaucoup, des anciens des Brigades internationales et j’avais l’espoir qu’ils s’en serviraient un jour contre les SS. D’autre part, avec un curé polonais, je mettais des pointes de 200 à rouiller avec du sel et de l’eau (le sel que les maçons utilisaient pour mettre dans le ciment pour l’empêcher de geler). Une fois bien rouillés, nous allions tous les deux les enfoncer » (Gustave Raballand

Voir aussi l’article : L’exécution de dirigeants de la Résistance intérieure du camp d’Auschwitz (décembre 1944),

 

  • [1]Hermann Langbein, La Résistance dans les camps de concentration nationaux-socialistes, Paris, Fayard, 1981. p. 143-144.
  • [2]Hermann Langbein, Hommes et femmes, op. cit., p. 28 et 253 et La Résistance, op. cit., p. 143, 171-192.
  • [3]Ces résistants restaient très marquées par le nationalisme, la méfiance à l’égard de la gauche et en particulier des communistes, ainsi que par de profonds sentiments anti-russes et une grande rancoeur vis-à-vis des Français.
  • [4] Hermann Langbein, Die Stärkeren, Cologne, Bund-Verlag, 1982, p. 174.Voir également Hermann Langbein, Hommes et femmes, op. cit., p. 109-110 et 242.
  • [5]HermannLangbein, Hommes et femmes, p. 242.
  • [6]Hermann Langbein, Hommes et femmes, p. 109.
  • [7]Hermann Langbein, entretien, Paris, mars 1992.
  • [8]Arthur Liebehenschel était, avant sa nomination à Auschwitz, le chef du département politique de l’Inspection des KL.
  • [9]HermannLangbein, La Résistance, op. cit., p. 405.
  • [10]HermannLangbein, Hommes et femmes, op. cit., p. 262.
  • [11]Georges Guinchan a répondu remarquablement à notre attente en assurant cette fonction dangereuse, mais aussi vitale pour notre organisation. HermannLangbein, attestation, Vienne, le 8 avril 1980, archives de Georges Guinchan.
  • [12]Stanislas Tamowski (46127), de Saint Pierre des Corps était ébéniste et travaillait avant la guerre comme menuisier à la SNCF.

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