Henri Dugrès à Auschwitz le 8 juillet 1942

Matricule « 45 501 » à Auschwitz

Henri Dugrès : né en 1891 à Sailly-le-Sec (Somme) ; domicilié  à Paray-Vieille Poste (Seine-et-Oise / Essonne) ; sellier aux chemins de fer, révoqué, puis sellier chez Citroën ; maire-adjoint communiste ; arrêté le 24 octobre 1940, interné aux camps d'Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 7 septembre 1942.

Henri Dugrès est né le 11 octobre 1891 à Sailly-le-Sec devenu Sailly-Flibeaucourt (Somme) en 1906. Henri Dugrès habite au 8, allée des genêts à Paray-Vieille Poste (Seine-et-Oise / Essonne) au moment de son arrestation.
Sa mère, Ernestine Wargnier est ménagère, son père Antoine Dugrès est serrurier. Il a quatre frères et une sœur.
Il est sellier aux ateliers du Landy des Chemins de fer du Nord  (à la gare du Nord à la Plaine Saint-Denis).
Conscrit de la classe 1911 Henri Dugrès  est incorporé au17è Régiment d’artillerie le 9 octobre 1912. Il est nommé « premier canonnier servant » en octobre 1913. Le 1er août 1914 la mobilisation générale est décrétée. Il est mobilisé dans son régiment pour la durée de la guerre. Il est « aux armées » jusqu’au 28 septembre 1918 date à laquelle il est blessé au cou par un éclat d’obus pendant des combats devant Tahure (au nord de Perthes-les-Hurlus, dans la Marne). Il est évacué sur l’hôpital temporaire du Lycée Michelet à Vanves, puis à celui de Montpellier.

Henri Dugrès est cité à l’ordre du jour du 17è régiment d’artillerie (n° 101 du 25/10/1918) « excellent canonnier ayant donné de
nombreuses preuves de courage. Blessé a conduit quand même sa voiture jusqu’à la position de batterie
».
Il reçoit la croix de guerre avec étoile de bronze. Le 6 novembre 1918, il rejoint son unité après 15 jours de permission. Il passe au 21è Régiment d’artillerie le 7 décembre 1918.
Il est démobilisé le 7 août 1919 et « se retire » à Sailly-Flibeaucourt.
Cheminot, il est classé « affecté spécial » au titre de la réserve de l’armée comme « employé permanent aux chemins de fer du Nord (…) ».

Henri Dugrès épouse Maria Teil
(1892-1977) le 20 janvier 1920 à Lubersac (Corrèze). Elle est née le 2 juillet 1892 à Meuzac (Haute-Vienne).
Il a repris son travail aux chemins de fer du Nord, mais il est révoqué après les grèves de 1920 auxquelles il participe (1) et trouve alors du travail comme sellier chez Citroën.
Le couple a une fille, Renée, Madeleine qui naît le 4 mai 1927 à Paray.
Militant communiste, Henri Dugrès est élu conseiller municipal et devient maire-adjoint de Paray Vieille Poste. 

En 1936 la famille habite au 8, allée des genêts à Paray.
Le 11 avril 1936, il est classé pour la réserve de l’armée comme « affecté spécial classe III à la société André Citroën, 143 quai de Javel à Paris 15è , comme sellier ».
Henri Dugrès est réintégré à la SNCF, aux ateliers du Landy, juste avant 1939 selon sa sœur.
Le 5 octobre 1939 le maire Léon Bertrand et tout le conseil municipal sont suspendus : à partir du 20 novembre 1939 et pendant toute l’Occupation, la commune est «administrée» (délégation spéciale présidée par M. Chrétien, puis par Marcel Souillat jusqu’à la Libération de Paray, le 24 août 1945).

Le 14 juin 1940, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 juin la gare de Juvisy est bombardée par la Luftwaffe. Le département de la Seine-et-Oise (une partie constituera l’Essonne le 1er janvier 1968) est occupé  malgré la résistance acharnée du 19e régiment de tirailleurs algériens, qui ne capitulera – faute de munitions – que le 16 juin. Le 14 juin, l’armée allemande est entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le maire de Paray, Léon Bertrand est arrêté le 24 octobre 1940, par la police française, en même temps que l’ensemble du Conseil municipal (cinq d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Henri Dugrès (arrêté à son domicile), François Malard, Marcel Ouvrier, Eugène Tartasse, Marcel Vaisse. Ces arrestations ont lieu dans le cadre des rafles organisées à partir du 5 octobre 1940 (avec l’accord de l’occupant) par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la Seine et de la Seine-et-Oise (élus, cadres du parti et de la CGT) avec la remise en vigueur du décret du 18 novembre 1939 sur «l’éloignement des suspects et indésirables».

Henri Dugrès est interné avec ses camarades, au camp d’Aincourt, en Seine-et-Oise, ouvert spécialement, le 5 octobre 1940 pour y enfermer les militants arrêtés.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Le maire Léon Bertand est déporté en Algérie.

En février 1942 selon sa fille, Henri Dugrès est remis aux autorités allemandes à leur demande.  Mais en fait, il fait partie – avec ses camarades de Paray – d’un groupe de 88 militants transférés le 27 juin 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis le camp de Compiègne, il est déporté à destination d’Auschwitz.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Henri Dugrès est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est immatriculé le 8 juillet 1942

Henri Dugrès est enregistré à l’arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 501 ».

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Henri Dugrès meurt à Auschwitz le 7 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 245). Néanmoins, son certificat d’état civil établi en France le 23 septembre 1946 porte toujours la mention «décédé le 30 décembre 1942 à Auschwitz (Pologne». Si la mention «Mort en déportation» y a été apposée (arrêté du 14 février 1989/ JO du 24 mars 1989), il serait souhaitable que le ministère corrige ces dates fictives qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les états civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995, et sur le site internet du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.

Le nom d’Henri Dugrès figure sur le monument aux morts du cimetière de Paray, ainsi que sur le monument «Aux Héros de la Résistance 1940-1945», place Maxime Védy, avec celui de 12 autres de ses camarades, fusillés ou mort(e)s en déportation.
A l’initiative du maire Léon Bertrand revenu de déportation en Algérie, la rue de l’école Jules Ferry (occupée par les Allemands en 1944), va porter son nom depuis la Libération.

Henri Dugrès est homologué (GR 16 P 198541) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Par un arrêté de janvier 1949 paru au Journal Officiel du 1er décembre 1949, il est homologué « adjudant-chef à titre posthume » au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 1er novembre 1940.

  • Note 1 : les grèves dans les chemins de fer et les mines du Nord en février-mars 1920 sont brisées par le gouvernement Millerand qui fait voter par le parlement une loi permettant la mobilisation de certains secteurs des réseaux de chemin de fer. La grève des cheminots, dans la première moitié du XXè siècle, est un délit passible de la correctionnelle.
  • Note 2 : 524 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Courriers de sa sœur Renée Samson-Dugrès (octobre 1978).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Mme Janine Henin professeur d’Histoire : envoi d’informations et d’une partie de la maquette du livre «Paray d’hier et d’aujourd’hui» / Collectif, Henin (J.), coord. Ville de Paray-Vieille-Poste, 1988.
  • Liste du Mouvement de Libération Nationale : dossier AU2.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. « Premier camp d’internement des communistes en zone occupée », Dir. C Delporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Site www.mortsdanslescamps.com
  • © Archives en ligne de la Somme, état civil et registres matricules militaires.

Notice biographique rédigée en août 2011, complétée en 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) .  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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