Matricule « 45 924 » à Auschwitz
Arduino Nicolazzo : né en 1900 en Italie ; domicilié à Argenteuil (Seine-et-Oise) ; magasinier ; syndicaliste et communiste ; dénaturalisé en novembre 1940 ; arrêté le 17 janvier 1941 ; interné à Aincourt puis Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt.
Arduino, Valentino Nicolazzo est né le 22 juin 1900 à Schio (Italie, province de Vicence en Vénétie).
Il habite au 31, rue Serpente à Argenteuil (Seine-et-Oise / Val d’Oise) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Silvia Chilese, née le 1er mai 1870, ménagère, et de Francesco Nicolazzo, maçon, né le 3 août 1869 à Isola (Italie).
Il a une sœur aînée, Elvira (devenue Madame Socal) née le 24 juin 1897 en Italie à Schio, et un frère cadet, Amaro, né le 5 avril 1904 en Suisse à Bruggen (Wahlkreis Sankt Gallen).
Leurs parents se sont mariés le 3 février 1895 à Schio. Son père, au chômage en tant que maçon, s’exile en Suisse avant guerre, avec son épouse et ses enfants. Arduino y apprend l’allemand à l’école de Saint-Gall (Sankt Gallen), ces années et cet apprentissage lui ont été très bénéfiques selon sa famille.
A l’entrée en guerre de l’Italie (24 mai 1915), le gouvernement Suisse exige le retour de la famille Nicolazzo en Italie. En 1921, il effectue son service militaire en Italie (la conscription italienne se fait alors à 21 ans).
En 1922, son père et sa sœur quittent l’Italie après la « marche de Mussolini sur Rome » (27 octobre 1922) et s’installent à Argenteuil (Seine, Val d’Oise). En 1923 la famille Nicolazzo et la famille Socal viennent les rejoindre : ils habitent tous au 28, route de Sannois à Argenteuil.
Le 14 novembre 1925 à Argenteuil, Arduino Nicolazzo épouse Olimpia, Vittoria Lupano, fille de cultivateurs, née en Italie le 6 avril 1905 à Occimiano (province de Casale). Agée de vingt ans, elle est caoutchoutière et réside 9, rue du Puits-mi-ville à Sannois.
Elle sera une militante communiste et syndicaliste, puis résistante. Le couple a une fille, Elvira, qui naît le 5 février 1927 à Sannois.
Arduino et son épouse ont demandé la nationalité française : il l’obtiennent par décret collectif du 15 juin 1931 (décret n° 6996-31) ainsi que leur fille Elvira.
Il est appelé au service militaire cette même année.
Les parents d’Arduino sont de conviction socialiste avant 1920. La prise du pouvoir par Mussolini les a contraints à quitter leur pays. C’est une famille instruite, cultivée. « Ils ont donné à leurs enfants le goût du travail bien fait et les joies que procure la culture en général, et la musique en particulier » écrit Maguy Cardon. « La maman aime chanter les airs d’opéra italiens, et Amaro le frère d’Arduino – manœuvre chez Gardy- joue du violoncelle au Casino d’Enghien. Arduino ne fait pas exception : il maîtrise parfaitement l’italien, le français, l’allemand, et s’est mis à l’apprentissage du russe ».
Arduino Nicolazzo travaille comme magasinier à l’usine Gardy d’Argenteuil (la Société française Gardy, 23, rue de La Voie-des-Bancs, à Argenteuil – fabrication de matériel électrique en porcelaine), qui emploie environ 1000 ouvriers. Il a su y gagner l’estime de ses compagnons de travail.
Dans ce quartier d’Orgemont où vit un fort pourcentage de population immigrée antifasciste italienne, Arduino est un militant communiste et syndicaliste connu et respecté.
Il participe activement aux grèves de 1936. Avec l’élection de Gabriel Péri comme député d’Argenteuil, les renseignements généraux assistent à toutes les réunions électorales du Parti communiste et repèrent les militants les plus actifs : il semble d’après sa famille que ce soit l’un des membres de ce service des RG qui l’arrêtera en 1940.
Les RG indiquent : « militant acharné », « propagandiste adroit » « organisateur de grèves ». Arduino Nicolazzo participe activement aux mouvements de grève de 1936.
En 1938, il mène « une campagne violente » contre les accords de Munich (il s’agit des accords signés entre l’Allemagne, la France, le Royaume Uni et l’Italie livrant de facto la Tchécoslovaquie à Hitler). C’est vraisemblablement à cette période qu’il aurait déclaré « ne plus être fier d’être français« , propos rapportés anonymement qui seront repris à charge par le directeur de la Police d’Etat lors de la procédure de retrait de sa nationalité française.
Les premiers congés payés sont pour le ménage Nicolazzo et son frère sources de bonheur : ils passent leurs premières vacances à Saint-Aubin-sur-mer (entre Dieppe et Saint Valéry en Caux).
Arduino Nicolazzo fait partie de l’association des «Amis de l’URSS», fait de la musique et de la photographie (il installe chez lui un labo photo).
Son père décède le 2 août 1940 à Argenteuil.
Arduino Nicolazzo est mobilisé le 21 novembre 1939 au Dépôt d’Infanterie n° 181 à Bordeaux.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 24 novembre 1940, Arduino Nicolazzo fait partie des 1097« individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique » (décret du 18 novembre 1939), qui sont assignés à résidence par le Préfet de Seine-et-Oise.
Dans le même temps, Arduino Nicolazzo est déchu de sa nationalité française par décret du 1er novembre 1940, décret publié au Journal Officiel le 7 novembre 1940 selon le site des Archives nationales. Cotes : BB/27/1422-BB/27/1445 du Ministère). Son épouse et sa fille sont également déchues de leur nationalité française.
Les documents originaux venant à l’appui du retrait de sa nationalité française figurant dans la base Dénat / France-Archives concernant Arduino Nicolazzo se caractérisent par une brutale simplicité et une absence d’argumentation : « communiste dangereux ».
Quant au « loyalisme pas assuré » il s’agit vraisemblablement d’une amplification par le directeur de la Police d’Etat d’une accusation formulée par les établissements Gardy à son encontre, qui l’ont accusé de mener une « propagande politique néfaste à la production de l’entreprise », ce que le rapport manuscrit de la commission traduit par « avoir essayé de freiner la production de l’usine pour laquelle il était mobilisé sur place au début de la guerre ».
Or Arduino Nicolazzo n’est pas « affecté spécial » sur son poste de travail à l’entreprise Gardy à la déclaration de guerre !
Agé de 38 ans, de la classe 1931/1920 il est placé pour l’armée en position « sans affectation » depuis le 15 janvier 1938 (courrier du Ministère de la guerre du 11 avril 1940 en réponse au courrier du Garde des Sceaux du 9 mars 1940, qui spécifie ensuite « Il a été mobilisé le 21 novembre 1939 au Dépôt d’Infanterie n° 181″ !
Après sans doute avoir eu connaissance de la situation militaire d’Arduino Nicolazzo, le directeur de la Police d’Etat écrit le 2 avril 1940 : » Durant les quelques mois de guerre qu’il a passé à l’usine Gardy, Nicolazzo n’a pas cessé, par ses paroles et par ses actes, d’essayer de freiner la production de cet établissement d’où il a été licencié et rappelé aux armées ». Rappelons qu’Arduino Nicolazzo est magasinier, ce qui n’est certainement pas une position stratégique pour freiner la production d’une usine de matériel électrique en porcelaine !
Le 22 juillet 1940, l’État français en effet avait décrété le réexamen de toutes les naturalisations accordées depuis 1927.
Il « entend, sinon débarrasser le pays des étrangers indésirables, du moins les placer sous contrôle étroit et, pour les plus dangereux, les priver de la citoyenneté française qu’ils auraient pu acquérir. L’anticommunisme va de pair ici avec la xénophobie » (Jean-Claude Magrinelli, chercheur au CRIDOR).
Pour ce qui concerne le convoi des « 45 000 », seuls trois préfets (pour un seul interné en Seine-et-Oise et dix en Meurthe-et-Moselle, dont un en commun avec le Doubs et le Maine-et-Loire, tous français d’origine italienne) ont procédé à de telles mesures.
Lire dans le site : Douze « 45 000 » dénaturalisés par Vichy
Le 16 janvier 1941, à la suite de distribution de tracts dans le secteur où il habite, le commissaire central du 2è district (Argenteuil) propose au Préfet Marc Chevalier qu’il soit arrêté en application de l’arrêté préfectoral du 19 octobre 1940 et conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise).
Arduino Nicolazzo est arrêté par la police française le 17 janvier 1941 selon sa famille qui cite Q… du commissariat d’Argenteuil comme étant celui qui procède à l’arrestation. Un mois après lui, sont arrêtés Pierre Darracq (déporté, mort en 1945 à Johanngeorgenstadt) et Emile Saloy, qui sera déporté avec lui à Auschwitz. Le 21 janvier, le Préfet de Seine-et-Oise confirme cet internement administratif. Arduino Nicolazzo est interné avec Emile Saloy au camp d’Aincourt.
Lire dans le site : Le camp d’Aincourt.
Le 27 juin 1941, il fait partie des quatre-vingt-huit internés d’Aincourt qui sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). Ils ont tous été désignés par le directeur du camp avec l’aval du Préfet de Seine-et-Oise.
Depuis ce camp, administré par la Wehrmacht il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Arduino Nocolazzo est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 924 ».
Selon le témoignage de rescapés il aurait demandé, en allemand, dès son arrivée au camp, les moyens de se laver, de passer à la douche.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de son décès à Auschwitz.
Son acte de décès sur lequel figure la mention « Mort pour la France » , daté du 23 février 1950, indiquait une date manifestement erronée « le 6 juillet 1942 », date du départ de Compiègne. Elle a été corrigée par un arrêté du 15 juin 1995 (paru au J.O. du 28 juillet 1995) en « décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz » « et non le 6 juillet 1942 » c’est-à-dire la correction habituelle en cas d’ignorance de la date de décès, soient 5 jours après le départ du convoi (lire dans le site Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz).
Arduino Nicolazzo est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 444558.
Son frère, Amaro, fut lui aussi arrêté et interné au camp de Voves. Il est décédé en 1980.
Son épouse, Olimpia, eut une grande activité dans la clandestinité : «son action concernait plusieurs arrondissements de Paris». Elle est décédée en 1968.
19 habitants du quartier d’Orgemont à Argenteuil ont été déportés, dont 3 dans la même rue Serpente (Pierre Darracq, né en 1922, déporté le 22 janvier 1944 et mort à Flossenbürg, Arduino Nicolazzo et Emile Saloy).
Le nom d’Arduino Nicolazzo figure sur le monument aux morts du cimetière d’Argenteuil, rue de Calais.
Pendant 45 ans, une cellule du Parti communiste d’Argenteuil porte le nom de « Nicolazzo-Darracq« .
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Témoignage d’Hélène Socal, nièce d’Arduino Nicolazzo, recueilli par Maguy Cardon-Krivopissko, ancienne maire adjointe d’Argenteuil, en 1991.
- Témoignages de Lucienne Etienne et de Jeannette Hulin (sœur de Pierre Darracq) recueilli par Maguy Cardon-Krivopissko .
- Acte de mariage (14 novembre 1925).
- Avis de décès (ACVG avril 1992).
- 3 photos de la famille Nicolazzo, avant guerre, remises à Maguy Cardon-Krivopissko par madame Hélène Socal.
- © Site Internet Mémorial-GenWeb.
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4 pages manuscrites de Maguy Cardon-Krivopisko, Résistante, ancienne Conseillère générale et maire adjointe d’Argenteuil,.
Notice biographique rédigée en février 1991 par Maguy Cardon-Krivopissko, conseillère générale honoraire d’Argenteuil (lettre du 6 février 1991) – et cousine de mon époux Pierre Cardon, complétée en août 2011, 2020, 2021 et 2024 par Pierre Cardon et Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com