Matricule « 45 350 » à Auschwitz

Albert Champin le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Albert Champin : né en 1904 à Limésy (Seine-inférieure - Seine Maritime) ; domicilié au hameau de Béquigny ; monteur ; arrêté en avril 1940, relâché à l’exode ;  arrêté comme otage le 22 octobre 1941 ;  écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 3 septembre 1942.

Albert, Lucien, Adolphe Champin est né le 8 avril 1904 à Limésy (Seine-inférieure – Seine Maritime). Au moment de son arrestation, il habite au hameau de Béquigny, au 54 rue Valbrière (Limésy, Seine-Inférieure – Seine Maritime).
Il est le fils de Jeanne Victoire Verdure et d’Adolphe Armand Champin son époux, né le 04 février 1886.

Son frère Joseph Champin (1902-1979)
Son frère Louis Champin (1909-1991)

Il a deux frères : Joseph (né le 1er novembre 1902-1979) et Louis (1909-1991).

Albert Champin se marie
(1), il est père de cinq enfants (trois d’entre eux sont vivants en 1948, dont Georges, Henri né le 23 juin 1934).
Albert Champin effectue son service militaire au 22ème régiment d’aviation, du 13 mai 1924 au 7 novembre 1925.
Sa fiche de signalement indique qu’il est « employé de culture », qu’il mesure 1m 52, cheveux bruns, visage rond, yeux bruns, et qu’il louche. Il est affecté dans la réserve au 302ème régiment d’artillerie de campagne.
Il habite alors Goupillères, qui jouxte la commune de Pavilly, le 15 juin 1929.
Il effectue une période militaire le 3 janvier 1936, est classé réserviste comme père de quatre enfants.
Le 30 novembre 1939, il est classé comme «affecté spécial» en tant que monteur aux Chantiers de Normandie à Grand-Quevilly.

Il est arrêté une première fois en avril 1940 pour «propos défaitistes» par la gendarmerie et relâché à l’exode. Il est rayé de l’affectation spéciale par décision du général commandant la 3ème région militaire le 7 mai 1940.

Soldats allemands à Limésy, photo © Joël Cois

Limésy et le canton de Pavilly sont occupés par des soldats de la Werhmacht, de l’Oberkommando 9, après le 10 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs, rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Albert Champin est arrêté à son domicile le 22 octobre 1941 pour «sabotage présumé, à la suite du déraillement sur la ligne Rouen-Le Havre» (mention au DAVCC). «Il est arrêté par les gendarmes de Pavilly à la suite d’un déraillement» témoigne sa femme en 1947.
«Considéré comme otage, vu ses idées, appartenant au Parti communiste» (dixit le maire de Pavilly en 1948).
Connu des autorités pour son ancienne appartenance au Parti communiste et habitant dans le canton de Pavilly, son arrestation a lieu dans le cadre de la rafle qui touche une centaine de militants communistes, ou présumés tels, de Seine-Inférieure et qui fait suite au sabotage, le 19 octobre, de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (au tunnel de Pavilly).
Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.

Ecroués à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) entre le 19 et le 30 octobre 1941. Trente neuf d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
L’enquête de gendarmerie effectuée en 1952 pour l’attribution du titre de déporté politique ou résistant mentionne les éléments suivants : «militant communiste notoire, Champin Albert avait déjà été arrêté en avril 1940 par l’autorité militaire française, pour propos défaitistes, mais il avait été relâché rapidement en cours d’exode. A été effectivement arrêté à son domicile à Limesy par les gendarmes de Pavilly dans la nuit du 22 octobre 1941, date de la rafle des militants communistes effectuée dans la région rouennaise».

Compiègne : Menu de Noël avec la signature d’Albert Champin, Noël 1941
Signature d’Albert Champin à Compiègne, Noël 1941

A Compiègne il reçoit le matricule « 1904 ». Il est affecté au bâtiment A2, chambre 8.
Plusieurs internés de cette chambrée seront déportés à Auschwitz avec lui.
Sur le « menu » de Noël 1941 d’Albert Vallet, repas fraternel organisé avec les pauvres colis reçus, on reconnait les noms ou signatures d’Emile Billoquet, Jean Binard, Emile Bouchacourt, Albert Champin, Marcel Le Dret, tous déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Ursin Scheid est fusillé le 10 mai 1942 à Compiègne.

Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il est déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Albert Champin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Albert Champin, identifié par son strabisme confirmé par son frère et son neveu. Identification 29 décembre 2023

On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro «45 350 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à mes tentatives de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Cette reconstitution n’avait pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules.
Nous écrivions alors « seule la reconnaissance, par un membre de sa famille ou ami, du portrait d’immatriculation publié ci-dessus pourrait désormais en fournir la preuve ». C’est désormais chose faire, grâce à un mail envoyé le 29 décembre 2023 par sa petite nièce, madame Maryse Courant, qui nous a écrit qu’elle : « a eu la confirmation verbale de mon père, qu’Albert CHAMPIN avait bien un strabisme à l’œil gauche« .
Le strabisme à l’œil gauche du déporté portant le matricule « 45 350 » à Auschwitz est très net et avait été identifié comme tel par son frère Joseph. De plus, ce numéro était plausible dans ma tentative de reconstitution des matricules.
Le n° « 45 350 » est donc bien le bon matricule.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Albert Champin meurt à Auschwitz le 3 septembre 1942 d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 164). La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès paru au Journal Officiel du 8 juillet 2009. Son acte de décès porte toujours la mention « décédé postérieurement au mois de juillet 1942 à Auschwitz (Pologne) » : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).
Il est déclaré «Mort pour la France » le 2 octobre 1948..
Il est homologué «Déporté Politique» le 21 décembre 1954, la carte est délivrée à sa veuve, madame Houdeville.

Plaque à Limésy

Son nom est honoré sur la plaque commémorative dédiée aux enfants de Limésy.

Note 1 : L’état civil de Limésy n’est pas consultable par internet pour l’année 1904. Nous n’avons donc pas connaissance des nom et prénom, ni de la date de naissance de son épouse. Seule la mention que la carte de « Déporté politique » a été délivrée à « madame Houdeville, veuve Champin« , nous confirme qu’il est bien marié.

Sources

  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres
    – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en décembre 1992.
  • Bureau des archives des conflits contemporains, Ministère de la Défense (dossier individuel consulté au Val de Fontenay en 2002 avant le transfert à Caen).
  • © Courriel d’octobre 2012 de Jean-Paul Nicolas, syndicaliste, collaborateur du Maitron (livret militaire d’Albert Champin).
  • Plaque à Limésy, photo © André Froidure / Géneanet.
  • © Menu d’Albert Vallet : courriel de son arrière petit-fils, Didier Rivière (19/12/2012).
  • © Photo de ses frères : courriel de sa petite nièce madame Maryse Courant (29 décembre 2023).

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018, 2022 et 2023. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

4 Commentaires

  1. Je suis née CHAMPIN Maryse, petite fille de CHAMPIN Joseph , frère de CHAMPIN Albert , Lucien, Adolphe. C ‘était donc mon Grand Oncle. Je vais chercher des photos de lui auprès de son fils qui apparemment vit encore à Pavilly (Seine Maritime). Mais mon père m’a confirmé qu’il avait bien un strabisme de l’oeil gauche. En attendant plus, je me permets de vous adresser photos de son père et de ses frères , sur le site DEPORTES.POLITIQUES.AUSCHWITZ@GMAIL.FR. Merci pour vos recherches cela m’a permis de découvrir la triste et cruelle histoire de mon grand oncle, car à la maison nous n’en parlions jamais. Cordialement

    1. Bonjour. Merci pour votre commentaire, pour les photos envoyées et pour la démarche que vous entreprenez. La confirmation du strabisme de votre grand-oncle par votre père nous permet d’ores et déjà d’authentifier son visage à Auschwitz. Je vous envoie un mail. Pierre Cardon pour Claudine Cardon-Hamet

    2. Je viens de lire les modifications que vous avez apporté à la biographie de mon grand oncle CHAMPIN Albert, et je me permets de vous signaler une erreur. En effet vous mettez qu’il avait 5 enfants, trois encore vivants dont Georges Henri né le 23 juin 34 qui vivrait encore à Pavilly. Or Georges Henri est mon père, fils de Joseph CHAMPIN, le frère de CHAMPIN Albert. Comme indiqué dans mon mail, je viens de contacter la personne qui vit sur Pavilly et qui pourrait être son fils, mais je n’ai pas encore la confirmation. Merci de votre compréhension. Cordialement

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