Plusieurs « 45.000 » rescapés ont évoqué le sort des Tsiganes d’Auschwitz-I et de Birkenau.

Les Tsiganes étaient arrivés à Auschwitz en février 1943 au terme d'un processus d'exclusion commencé dès l'avènement d'Hitler comme chancelier du Reich. Les jugeant "paresseux" et "étrangers à la communauté nationale", les nazis leur appliquèrent en Allemagne la réglementation et les décrets établis pour les Juifs.

Aux motivations économiques, sociales et policières, ils ajoutèrent des considérations raciales. Accusés d’être depuis de longues générations des « sang-mêlé », ils furent contraints aux stérilisations, subirent la destruction de leurs familles et des tribus, les déportations, les « expériences médicales ».

La déportation des Tsiganes d’Allemagne et d’Autriche «à l’Est du Grand Reich», en Pologne, est décidée par Heydrich en 1939 mais elle est interrompue en mai 1940. En décembre 1942, Himmler signe un nouvel ordre de déportation pour tous les Tsiganes d’Allemagne. Une ordonnance de l’Office central de la Sécurité du Reich, du 29 janvier 1943, donne l’ordre d’arrêter et de déporter dans les camps de concentration tous les Tsiganes du Reich et des pays occupés. Un camp spécial est créé à Birkenau où ils sont internés par familles entières [1].

Récit de Pierre Monjault « 45.909 »sur leur arrivée à Birkenau en 1943 et leur extermination en 1944.

«Un matin de printemps, nous voyons arriver des familles entières de Tsiganes, avec plein de choses, des charrettes, des mulets, des cages avec des canaris, les femmes en robes de couleur et les petits enfants en passant nous font des signes d’amitié et nous sourient gentiment. Nous les regardons avec tristesse, car nous savons où ils vont, eux ne doivent pas le savoir. Les S.S. leur avaient fait croire qu’un endroit était réservé pour qu’ils puissent installer leur camp tsigane. Mais, dans ce camp d’immenses tranchées avaient été creusées à leur intention. Ils ont tous été exterminés dans ces tranchées transformées ensuite en fournaise. Dans le camp, l’air était constamment empesté d’une odeur qu’il a fallu s’habituer à respirer, cela sentait comme lorsqu’on ferre les chevaux, la corne brûlée, plus cela allait, pire c’était. Je suis sûr que cette odeur devait se sentir à des kilomètres à la ronde». Pierre Monjault,45909, rescapé du camp d’Auschwitz, in « Quatre années de souffrance pour rester Français« , pages 30 et 31. Mémoire de 70 pages (23 juillet 1984).

Des Tsiganes du block 11

Plusieurs rescapés Français se souviennent à leur arrivée, le 14 août 1943, au premier étage du Block 11 du camp principal (la prison du camp) de la présence d’une famille tsigane :

«Au temps de notre quarantaine, les chambres du premier étaient occupées par trois familles de Tsiganes qui vivaient en commun. Il paraît qu’ils étaient les membres de la famille royale des Gitans» (Raymond Montégut).

Qui étaient ces Tsiganes objet d’un sort particulier ? Il est possible qu’il s’agisse des Dikultsch-Todorowitsch dont le cas est évoqué par le SS Pery Broad dans ses mémoires. Pery Broad était, à cette époque, membre de la Gestapo du camp : 

«Cette famille de neuf membres était de nationalité croate. L’ambassade de Croatie avait obtenu leur libération d’un bureau de la Kripo[2]. Or, tous les biens des Tsiganes, de même que ceux des Juifs « passaient en possession du Reich« . Des négociations prolongées avaient été nécessaires pour que la famille pût recouvrer son avoir. En été 1943, ils devaient enfin retourner en Croatie. Cependant, selon l’opinion de Grabner qui se sentait responsable du salut de l’Etat, ces Tsiganes innocents pouvaient troubler les relations amicales avec la Croatie en y rapportant des informations sur les conditions qui régnaient à Auschwitz.[3] Il en différait donc le relâchement, en informant toujours Berlin que la famille en question ne pouvait pas quitter la quarantaine à cause d’une prétendue épidémie de typhus. Un par un, les membres de cette famille succombaient aux dures conditions du camp. Il ne restait à la fin qu’un garçon de quatre ans, qui devint le benjamin de tous les internés qui le protégeaient et s’occupaient de lui. Mais personne ne se souciait plus de sa libération. A la liquidation du camp Tsigane, lorsque les détenus aptes au travail furent transférés dans les camps de concentration de Buchenwald, Mittelbau, et Ravensbrück, le petit fut expédié à la chambre à gaz avec les enfants et les vieillards incapables de travailler».[4]

Les détails fournis par les « 45.000 » sur la composition de la famille concordent avec le témoignage de Pery Broad. S’il s’agit bien des Dikultsch-Todorowitsch, il faut comprendre qu’au bout de quelque temps ceux-ci retournèrent au « camp des familles » de Birkenau. C’est, d’ailleurs, après le départ des Tsiganes du block 11 qu’une partie des Français fut installée dans la chambre n°2 : «Chacun avait alors son lit», écrit Gustave Rémy (matricule « 123124 » déporté en mai 1943). Gustave Rémy se souvient que les Tsiganes quittèrent le Block 11 avant le départ des Français. Roger Debarre dit avoir revu le « roi des Tsiganes », à Birkenau, après sa sortie de quarantaine, alors qu’il effectuait des travaux dans ce secteur. Quant à Gabriel Lejard et Jean Pollo, ils apprirent au camp que le « roi des Gitans » avait été gazé.

  • [1] 22 000 hommes, femmes et enfants furent, au total, amenés à Birkenau. La plupart des hommes furent évacués sur d’autres KL pour y travailler. Pour ceux qui restèrent dans « le camp des familles », les conditions d’hygiène étaient épouvantables. Le 1er août 1944, les derniers survivants étaient envoyés à la chambre à gaz.
  • [2] Kripo : police criminelle.
  • [3] Maximilian Grabner était le chef de la Gestapo du camp.
  • [4] Pery Broad, Auschwitz vu par les SS, op. cit., p. 200. La trace de l’internement de cette famille à Auschwitz a été retrouvée dans les archives du camp. Par contre, les témoignages des « 45 000 » sur les Tsiganes du block 11 sont semble-t-il, les seuls existant à ce jour.

Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé).
Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cet article. Mail deportes.politiques.auschwitz@gmail.com.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *