Matricule « 46 040 » à Auschwitz
Albert Récher : né en 1893 à Elbeuf (Seine-Inférieure/Seine-Maritime) où il est domicilié ; homme d’équipe, ouvrier d'usine de produits chimiques ; présumé communiste; arrêté le 21 janvier 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 11 septembre 1942.
Albert Récher est né le 5 novembre 1893 à Elbeuf (Seine-Inférieure/Seine-Maritime). Il habite au 14, rue de la Rigole à Elbeuf au moment de son arrestation. Il est le fils d’Augustine, Georgette Jouffray, 19 ans, rentreuse de lames (1) et de Cyrille Récher, 23 ans, dégorgeur en tissus de laine, son époux. Il a un frère cadet, Charles, Robert, né à Elbeuf le 24 octobre 1900. Leurs parents travaillent dans une des quarante fabriques textiles de Caudebec et habitent 15, impasse Leroy à Caudebec.
Conscrit de la classe 1913, matricule « 811 », Albert Récher est incorporé le 27 novembre 1913.
Il est mobilisé à la déclaration de guerre au groupe cycliste de la 1è division de Compagnie. Il « passe » au 26è bataillon de chasseurs à pieds sur décision du général gouverneur militaire de Paris le 25 mars 1915. A la date du 25 mars 1915, il est classé « service auxiliaire » par la commission de réforme pour « emphysème pulmonaire, insuffisance et rétrécissement mitral ». Etant donné qu’une des commissions de réforme proposera ultérieurement une pension, on peut penser qu’il a été victime d’un gaz de combat utilisé au début de la guerre (comme à Ypres en avril 1915). S’ensuivront une série de passages en commission de réforme, de réaffectations dans des services auxiliaires (janvier 1916, au 2è groupement d’Aviation). Il est réformé temporaire (15 mai, 20 novembre 1916).
Le 24 février 1917, Albert Récher épouse à Elbeuf, Marguerite, Mathilde Lambert. Elle est née le 2 juin 1897 à Elbeuf.
Le couple aura quatre enfants (Paulette, née en 1918, Liliane, née en 1919, Maurice, né en 1925 et Josiane, née en 1935, tous à Elbeuf. Ils habitent 49, rue des Trois cornets à Elbeuf.
Le 5 octobre 1917, il est classé service auxiliaire apte à servir aux armées par la commission de réforme de Rouen, et est rappelé le 21 novembre 1917.
Il « passe » au 103è Régiment d’artillerie lourde.
Il est déclaré inapte définitif par la commission de réforme d’Evreux du 26 décembre 1917. Mais il est à nouveau en « sursis d’appel » de septembre au 15 novembre 1918 et rentre au corps le 26 novembre. Il est proposé pour une pension d’invalidité temporaire par la commission de réforme du Grand-Quevilly le 18 mars 1919. Il est démobilisé le 27 juin 1919, avec un certificat de « bonne conduite ».
Il travaille vraisemblablement alors aux chemins de fer à Oissel comme homme d’équipe (classement dans la réserve au titre d’Affecté spécial aux chemins de fer de campagne).
En 1936, le couple Récher et leurs enfants habitent au 14, rue de la Rigole à Elbeuf . Albert Récher est presseur au chômage. Son épouse est débardeuse chez Fraenkel, Paulette et Liliane sont rentrayeuses chez Fraenkel.
A la veille de la guerre, Albert Récher a retrouvé du travail puisqu’il est est classé « Affecté spécial » pour l’armée au titre des « usines à démarrage rapide » (2) aux établissements Kulhmann à Oissel (usine de produits chimiques).
Dès la déclaration de guerre, Albert Récher est rayé du renforcement (i.e. son « affectation spéciale ») le 9 octobre 1939, comme la plupart des militants communistes et / ou syndicalistes affectés spéciaux considérés par le général commandant la 3è Région militaire comme « dangereux pour la sûreté de l’Etat ».
Il est réaffecté d’office au Dépôt d’artillerie 303. Mais il est rattaché à la « dernière classe de la réserve » en tant que père de quatre enfants, puis réformé définitivement le 1er décembre 1939 par la commission de réforme d’Evreux pour « sclérose des sommets avec laryngite ».
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état
civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Connu des services de police pour distribution de tracts communistes, Albert Récher est arrêté le 21 janvier 1942 à Elbeuf, deux jours après Marcel Carville
Leur arrestation est probablement ordonnée à la suite de la mort d’un caporal de la Wehrmacht, tué par balles le 21 janvier 1942 à Elbeuf. 9 otages sont exécutés. D’autres sont arrêtés.
Albert Récher est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) vers le 16 février 1942.
Il y reçoit le numéro matricule « 3614 ».
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Albert Récher est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 était inconnu. Toutefois, son arrière petite-fille en 2017 récupérait des photos de famille afin de procéder à son identification. Son arrière-arrière petit-fils, m’a envoyé deux photos qui permettent formellement d’identifier la photo du déporté matricule « 46040 » comme étant celle d’Albert Récher.
La photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz
Albert Récher meurt à Auschwitz le 11 septembre 1942 d’après le registre d’état civil d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 989).
Un arrêté ministériel du 31 janvier 1997 paru au Journal Officiel du 8 mars 1957 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais il comporte une date erronée : « décédé fin avril 1942 en Allemagne ». D’une part il s’agit sans doute d’une erreur de transcription (avril 1942 au lieu d’avril 1943) ou d’un témoin mal informé. D’autre part il serait souhaitable que le Ministère prenne en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 et consultable sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» (Sterbebücher von Auschwitz )et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français).
Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
Albert Récher a été homologué «Déporté Politique».
Son nom est honoré sur une plaque en Mairie parmi les « Déportés patriotes ».
Sa veuve habitait au 19, rue Henri à Elbeuf quelques années après la Libération. Elle est décédée le 23 novembre 1977 à Elbeuf.
Leur fille Josiane, comme sans doute les autres enfants, est « adoptée par la nation » en 1948.
- Note 1 : La rentreuse – noueuse assure les opérations de rentrage et de nouage qui font partie de la préparation au tissage.
- Note 2 : Usines aptes à entreprendre rapidement la production – dès le début d’un conflit – de produits primordiaux pour la Défense nationale. Une note manuscrite classée « secret » en explique la teneur (C.f. © site de Louis Renault).
Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Courrier de Paul Le Goupil. Instituteur, Résistant, arrêté le 13 avril 1943, déporté à Auschwitz, puis à Buchenwald, il a notamment effectué des recherches sur les actes de décès des déportés de Seine-Inférieure (16/09/2002).
- Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Liste «de noms de camarades du camp de Compiègne» (matricules 283 à 3800) collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris 18è, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Archives en ligne de Seine Maritime. Etat civil et Registre matricule militaire.
- Etablissements Kuhlmann © Archives du ministère de la culture.
- Courriel de son arrière petite-fille, Nadège Loue (février 2017) concernant l’identification du matricule.
- Courriel de son arrière arrière petit-fils, avec deux photos permettant l’identification de son matricule à Auschwitz (ce 8 juillet 2017, 75 ans jour pour jour après l’immatriculation d’Albert Récher à Auschwitz).
- Recensement d’Elbeuf 1936 (image 83/613).
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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