Matricule « 46 066″ à Auschwitz

Robert Roiné, décembre 1940 au Havre © Jacques Roiné, son fils
Robert Roiné 8 juillet 1942, Auschwitz
Robert Roiné : né en 1906 à Dinard (Ille-et-Vilaine) ; domicilié au Havre (Seine-Inférieure) ; marin, métallurgiste, suiveur en voirie ;  arrêté le 24 février 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt 

Robert Roiné est né le 12 janvier 1906 à Dinard (Ille-et-Vilaine).
Il habite au 16, rue Bazan au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Victoria, Francine Laforge, 22 ans, née le 23 mars 1883 à Saint-Lunaire (Ille-et- Vilaine), ménagère et de Louis, Joseph Roiné, 22 ans, né le 20 avril 1883 à Dinard (Ille-et-Vilaine), marin (inscrit maritime), puis électricien, son époux.
Ils habitent à Dinard au quartier Saint-Alexandre, 211, rue de la gare (désaffectée depuis 1986). La famille a déménagé en 1911.
En 1930, il est navigateur (chargé de la navigation à bord d’un bateau), et il est domicilié au 22, rue de la Gaffe au Havre.
Le 14 novembre 1930, il épouse au Havre, Julienne, Renée Auberville. Elle a 18 ans, sans profession, née le 19 avril 1912 au Havre, domiciliée au 48, rue Saint-Jacques.
Le couple a deux fils, Gaston (né le 7 février 1933 – décédé à Compiègne le 1er mars 2019) et Jacques (né vers 1940). Robert Roiné est un temps ouvrier métallurgiste.
En 1936, la famille habite au 16, rue Bazan au Havre.
Robert Roiné est alors « suiveur en voirie » (ouvrier qui suit les machines de terrassement).

Le Havre occupé, 1941 AJPN © D.r.

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940 et au Havre le jeudi 13 juin 1940, transformant la ville et le port en base navale. Paris est occupé le 16 juin. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». La Kreiskommandantur est installée à l’Hôtel de ville du Havre. A partir de 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes.

Dès le 22 juillet 1941, le nouveau Préfet de Seine Inférieure et Préfet régional, René Bouffet (il est nommé le 4 septembre 1940, et sera Préfet de la Seine d’août 1942 à 1944) réclame aux services de la Police spéciale de Rouen une liste de militants communistes du département. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état
civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517 de Rouen, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Robert Roiné est arrêté le 24 février 1942, au Havre à la suite de l’attentat du 23 janvier, place de l’Arsenal au Havre. Les Allemands opèrent immédiatement une rafle, notamment dans les cafés autour de la place. Annonce est faite que 30 otages seront fusillés si les coupables ne sont pas découverts (20 otages juifs et communistes internés à Compiègne seront fusillés). 

Extrait du livre de Marie Paule Dhaille-Hervieu. « Communistes au Havre

La rafle se poursuit le lendemain au Pont de La Barre en direction des milieux communistes et syndicalistes. Lire dans le blog Le Havre, sabotages et attentats : avril 1941-février 1942. Ecroué à la prison du Havre, puis à Rouen, il est ensuite remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Sa famille quitte le Havre en 1942 pour Compiègne, où ils espèrent le voir. Mais ce ne sera pas possible (souvenirs de Gaston, l’aîné des deux fils, âgé de 9 ans à l’époque).

Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Robert Roiné est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942

Demande d’identification

Le numéro «46 066 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules.
Quoique ce numéro ait été plausible, nous ne l’avions pas retenu car il y avait plusieurs autres possibilités.
Mais en 2021, un mail nous a été envoyé par Madame Daniela Thomas, une amie de Jacques Roiné, le fils de Robert Roiné,  nous indiquant que celui-ci avait formellement reconnu le visage de son père sur la photo d’immatriculation. La photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Les barbelés d’Auschwitz I © Claudine Cardon- Hamet

Robert Roiné meurt à Auschwitz le 21 août 1942 , d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1012).

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (Journal Officiel n°115 du 19 mai 1998). Cet acte de décès porte toujours la mention inexacte «décédé courant octobre 1942 à Auschwitz» : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).

Il a été déclaré « Mort pour la France». Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.

©Thierry Prunier / Mémorial Genweb

Son nom est honoré depuis 2016 sur le Monument commémoratif de la Résistance et de la Déportation, dans les jardins de l’Hôtel de ville du Havre : « Le 29 avril 1990, l’urne contenant des cendres de nos héros et de nos martyrs morts en déportation a été transférée dans ce monument » : en effet, lors de la préparation de l’exposition « Les visages des martyrs » réalisée en 2015 par l’Union des Syndicats CGT Le Havre, les recherches ont mis à jour un ensemble de dossiers de déportés, fusillés et massacrés non inscrits au monument « Résistance-Déportation-Souviens-toi » du Havre. Edouard Philippe, alors maire du Havre et député de Seine-Maritime, a accédé à la demande de la CGT que leurs noms soient inscrits au monument et honorés lors de la cérémonie organisée dans le cadre de la Journée Nationale d’Hommage aux Héros et Victimes de la Déportation, le 24 avril 2016. Parmi eux, neuf « 45.000 ».

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr».
  • « Communistes au Havre » Histoire sociale, culturelle et politique, 1922-1983, par Marie Paule Dhaille-Hervieu. Publications de l’Université de Rouen et du Havre (11 janvier 2010). Thèse de doctorat.
  • Mail de madame Daniela Thomas, avril 2021.
  • Photo de Robert Roiné en décembre 1940. Envoi en mai 2021 de M. Jean Gapihan, de la part de Jacques Roiné, 81 ans, qui était porte-drapeau aux journées de la déportation à Compiègne en 2021.

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire vive » sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2021, Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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