André Montagne © Dossier RATP
André Montagne : né en 1906 à Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze) ; domicilié à Levallois-Perret (Seine) ; conducteur, chef de train au Métro ; communiste ; interné aux camps d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 21 octobre 1942.

André Montagne est né le 30 octobre 1906 à Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze).  Il habite au 14, avenue du président Wilson à Levallois-Perret (Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation. Il est le fils d’Antoinette Chaux, 35 ans, ménagère et d’Emile Montagne, 36 ans, meunier, son époux.
Il est d’abord manœuvre. Il effectue son service militaire comme deuxième classe, dans l’infanterie (12ème région, 107èmeRI de Tulle), du 15 novembre 1926 au 27 avril 1928. Par son livret militaire, on sait qu’il mesure 1 mètre 64 et qu’il n’a pas le certificat d’études.
Sur recommandation du député de Corrèze, le radical-socialiste Henri Queuille, (André Montagne habite alors Saint Angel en Corrèze), il est embauché avec le grade  de «garde» à la Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain de Paris (la CMP dite « Métro ») en 1929, à la station Champerret. Il reçoit le matricule « 2717 » à la CMP.
André Montagne vient habiter Levallois-Perret en 1931, au 18, rue Martinval, puis au 9, le 5 octobre de la même année. Il s’inscrit à cette date sur les listes électorales. Le 28 octobre 1932, il déménage au 143, rue Jean Jaurès, et le 2 janvier 1933, il déménage au 91 de cette rue.
Le 30 juin 1934 à Saint-Angel, près d’Ussel (Corrèze) André Montagne épouse, Marie, Jeanne, Patient, corrézienne comme lui, âgée de 19 ans, née le 15 novembre 1915 à Saint-Hilaire-Peyroux (Corrèze). Et le 4 janvier 1935, le couple va habiter au 14, rue du Président Wilson.
Le 1er janvier 1936, André Montagne est nommé agent de conduite titulaire (ACT), toujours à la station de métro Champerret, où il restera affecté jusqu’à sa mobilisation.
Selon les archives du DAVCC, il est membre du Parti communiste.  Le 1er janvier 1937, il est « autorisé chef de train ».
Le 2 septembre 1939 André Montagne est mobilisé à la 7ème compagnie du 614ème RPI à Saint-Etienne.

Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

André Montagne est démobilisé le 25 juillet 1940 à Voutenay-le-bas (canton de Vizille). Le capitaine « V… » commandant sa compagnie ne peut lui donner les moyens d’un rapatriement à Levallois-Perret, mais l’autorise à se rendre chez ses beaux-parents, à Saint-Féréol. Même refus du commandant de la place de Brive où il se rend à son arrivée. C’est par l’entremise de la mairie de Saint-Féréol, via la Préfecture de Corrèze, qu’il rejoint Paris le 28 septembre 1940.
Le 29 septembre 1940, il sollicite la reprise de son service à la Compagnie du Chemin de Fer Métropolitain de Paris, qu’il réintègre à la date du 2 octobre 1940, avec rattachement à la station « Pont de Levallois ».

Registre journalier de la Brigade spéciale des RG

Mais il est connu des Renseignements généraux comme ancien membre du Parti communiste.
Il est arrêté le 9 octobre 1940, à Levallois, pour distribution de « tracts communistes » par des agents du commissariat de Levallois. Deux inspecteurs de la Brigade spéciale des Renseignements
généraux (Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux) arrêtent le même jour et pour le même motif deux autres de ses camarades levalloisiens (Aimé Doisy et Germain
Feyssaguet
).

André Montagne et ses deux camarades sont envoyés au Dépôt de la Préfecture de police de Paris. Ils sont inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (reconstitution de ligue dissoute). Le 15 octobre André Montagne, Aimé Doisy et Germain Feyssaguet sont condamnés par la 12ème chambre correctionnelle à une peine de prison de quatre mois. Ils sont écroués à la Santé, puis à Fresnes le 28 octobre 1940.
Le 14 octobre 1940, alors qu’il a été déféré dans les locaux de la Police, « D. », ingénieur en chef du service du mouvement envoie au domicile d’André Montagne un courrier recommandé lui annonçant : « en raison de votre absence sans autorisation depuis le 9 octobre, vous êtes considéré comme démissionnaire et rayé des Cadres de la Compagnie à compter du 14 octobre ».
Le 19 octobre l’ingénieur en chef propose au Directeur général des services d’exploitation d’adresser à André Montagne une lettre de révocation faisant suite à sa condamnation, connue par voie de presse le 16 octobre. Le directeur lui répond de se borner à considérer que l’agent est démissionnaire « nous le révoquerons lorsque nous aurons confirmation officielle de sa condamnation ». La confirmation du Préfet de police parvient à la direction générale le 27 janvier 1941.
Le 17 janvier 1941, à l’expiration de sa peine, et en application du décret du 18 novembre 1939 (1), il n’est pas libéré : il fait partie d’un groupe de 24
militants communistes conduits au Centre de séjour surveille (CSS) d’Aincourt en Seine-et-Oise (aujourd’hui dans le Val d’Oise), ouvert spécialement, en octobre 1940 pour y enfermer les communistes arrêtés (lire dans le site : Le camp d’Aincourt).

Certificat de présence à Aincourt

Le préfet de police de Paris, Roger Langeron, en informe le directeur de la CMP.

Le CSS de Rouillé – VRID

Le 6 septembre 1941, il est transféré avec 149 autres détenus d’Aincourt au CSS de Rouillé, où il est affecté à la baraque N 10 (2).

Le 9 février 1942, avec 51 autres internés, il est remis aux autorités allemandes à leur demande (lors de la préparation des listes suivantes de transfert – celle du 22 mai – de Rouillé vers Compiègne, son nom est rayé (« déjà transféré »).

Les autorités allemandes l’internent au camp allemand de Royallieu (Frontstalag 122) à Compiègne (Oise). Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, André Montagne est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 45891 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible (son homonyme André Montagne, rescapé portait le numéro « 45912 » ), ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules, et de l’absence de photographie d’Auschwitz. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.

André Montagne meurt à Auschwitz le  21 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 826).
La mention Mort en déportation est apposée sur son acte de décès (arrêté du 2 décembre 1996 paru au Journal Officiel du 19 février 1997). Cet arrêté porte néanmoins une mention erronée : décédé en juillet 45 à Auschwitz. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Son décès est enregistré en décembre 1947. Les listes électorales de Levallois en 1945 indiquent : « déporté, à maintenir sur les listes« . Une mention a été ajoutée ultérieurement « serait déporté, sans nouvelles« . Il ne figure plus sur les listes de 1946 et 1954.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué. La carte est adressée à Jeanne Montagne. Le nom d’André Montagne est honoré sur le monument aux morts de Saint-Angel, commune déléguée pour Beaulieu-sur-Dordogne.

Une curieuse anecdote m’a été racontée par son homonyme, André Montagne, rescapé d’Auschwitz : quelques années après son retour des camps, André, qui a quitté Caen pour s’installer en région parisienne, va chez le coiffeur à Levallois. Il ignore alors qu’un autre déporté du convoi du 6 juillet 1942, qui habitait Levallois, portait le même nom et prénom que lui. Le coiffeur ayant vu son matricule tatoué à Auschwitz sur son poignet gauche, le questionne et ils parlent de la déportation. Ayant décliné son nom, André Montagne sent alors que le coiffeur le regarde de travers… Le coiffeur avait en effet connu « l’autre » André Montagne ! André montre alors ses papiers et le coiffeur s’explique…

  • Note 1 : Le décret du 18 novembre 1939 donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Classée «secret», la circulaire n° 12 du 14 décembre 1939, signée Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, fixe les conditions d’application du décret du 18 novembre 1939 qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, des «individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique». Lire l’article très documenté et illustré sur le blog de Jacky Tronel (Histoire pénitentiaire et justice militaire) : Circulaire d’application du décret-loi du 18 novembre 1939.
  • Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
  • Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.

Sources

  • Archives définitives de la RATP, à la Maison de la RATP à Paris, dossier personnel d’André Montagne. Remerciements à Mme Laurence Loy et Mr. Thiriau.
  • Archives municipales de  Levallois (Mme Catherine Penel, lettre du 20 décembre 1991).
  •  Circulaire d’application du décret-loi du 18 novembre 1939.
  •  Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin – Juin 2003 – Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités
  • Liste d’otages XLT 42 (CDJC).
  •  Camp de Rouillé : archives départementales de la Vienne.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la
    ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté).

Notice biographique (complétée en 2016, 2019 et 2021), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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